Les filles du Roy
L’année 1663 marque un changement majeur dans l’histoire de la Nouvelle-France. Devant les difficultés vécues par la colonie depuis sa fondation, le roi Louis XIV décide de reprendre en main l’administration et le développement de ses territoires en Amérique du Nord. Parmi les nombreux problèmes qui attirent l’attention du souverain, la question du peuplement et celle de la disproportion entre les sexes dans la colonie sont particulièrement importantes. Le déséquilibre démographique causé par l’absence de politique migratoire des anciens administrateurs voués à l’exploitation des ressources naturelles se résume assez simplement : il n’y a pas assez de femmes en Nouvelle-France pour assurer son peuplement.
Pour répondre à cette impasse démographique, Louis XIV décide de favoriser le passage de jeunes femmes célibataires, appelées les Filles du roi, depuis la France jusqu’à la colonie, en vue de les marier aux colons et d’encourager la formation de familles. Cette immigration féminine, amorcée en 1663, est dirigée par l’intendant des finances du royaume, Jean-Baptiste Colbert, appuyé à partir de 1665 par le premier intendant de la Nouvelle-France, Jean Talon. Entre 1663 et 1673, des centaines de jeunes femmes acceptent ainsi de migrer vers la colonie en échange d’avantages consentis par le roi. Ce dernier assure non seulement leur traversée à ses frais, mais s’engage de plus à les vêtir et, pour certaines, les munir d’une dot d’au moins 50 livres afin de faciliter leur union. Il s’agit pour la plupart d’entre elles d’une occasion de s’extirper de leur condition et de commencer une nouvelle existence. Si quelques jeunes femmes issues de la bourgeoisie et de la petite noblesse comptent parmi les Filles du roi, la grande majorité de celles-ci sont tirées de milieux défavorisés; environ le tiers sont choisies parmi les orphelines de la Salpêtrière, à Paris. D’autres proviennent des orphelinats, couvents et institutions de charité du nord-ouest de la France.
En 1663, 38 Filles du roi viennent s’établir en Nouvelle-France; 36 d’entre elles font partie du premier contingent arrivé le 22 septembre 1663. Des femmes assurent la direction des cohortes qui suivent, dont Anne Gasnier, épouse de Jean Bourdon, procureur général au Conseil souverain, qui traverse l’Atlantique à plusieurs reprises pour recruter des immigrantes auxquelles elle offre l’hébergement dans sa maison de Québec. La capitale de la colonie dispose d’ailleurs d’un bâtiment érigé par Talon où logent temporairement les Filles du roi avant qu’elles ne se dispersent majoritairement dans le gouvernement de Québec, mais aussi dans ceux de Montréal et de Trois-Rivières. À Montréal, les Filles du roi sont notamment accueillies par Marguerite Bourgeoys. Supervisées, elles choisissent elles-mêmes leur mari. Dans un milieu où les hommes prêts au mariage sont au moins six fois plus nombreux que les femmes dans la même situation, les Filles du roi n’ont généralement pas tardé à trouver un époux. Elles prennent parti généralement dans les semaines qui suivent leur arrivée.
Pendant dix ans, elles sont entre 764 et 1 000 à profiter de cette initiative royale et à s’installer dans la colonie. Le taux de natalité en Nouvelle-France atteint alors les 63 naissances par 1 000 habitants. Conséquemment, les Filles du roi ont largement contribué à faire doubler la population coloniale de 1666 à 1672.
En raison de leurs origines modestes, les Filles du roi ont souvent été représentées à tort comme des femmes de mauvaise vie. Par contre, les recherches les plus récentes démontrent que les filles choisies pour être envoyées en Nouvelle-France sont sélectionnées selon des critères assez stricts. Pour les premières cohortes, on exige même des certificats de bonne conduite témoignant de la rigueur morale des femmes tirant parti des générosités royales pour passer dans la colonie.