la véritable histoire d’Evangeline (chapitre IV)

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Les nuages menacent le ciel acadien, Les anciens de la colonie se rencontrent en conseil pour discuter de la situation.

Six mois s’écoulèrent sans que nous ne reçûmes le moindre renseignement sur ce qui était advenu à nos braves jeunes hommes. Cela a contribué à augmenter notre malaise, et à attrister nos pensées, nous avons pressenti dans nos cœurs qu’ils ne reviendraient jamais. « Nos prémonitions s’avérèrent que trop bien fondée – dit ma grand-mère, d’une voix hésitante – Nous n’avons jamais su ce qu’avait été leur sort ».

Nous savions cependant que la guerre avait encore progressé, et que les Français étaient en train de perdre du terrain chaque jour. Les Anglais dirigeaient tous leurs efforts contre le Canada, et semblaient avoir perdu de vue l’Acadie dans la tourmente et la fureur de la bataille. Malgré notre inquiétude et notre appréhension, la paix et la tranquillité de la colonie restaient imperturbables. Hélas! nous nous bercions d’illusions, notre sécurité n’était qu’un mirage, et la tempête, qui balayait le Canada, fondait sur nous en une nuée furieuse et incontrôlée.

Notre jour venait, et, nous étions condamnés à être les victimes d’un destin cruel, nous étions sur le point de subir des souffrances au-delà de l’endurance humaine, et de faire l’expérience inégalée d’une succession d’outrages et de cruauté. »

Notre grand-mère, à ce stade, fut vaincu par son émotion et pencha sa tête. Intimidés par l’admiration mêlée de respect, que ses nobles sentiments et l’amour ardent qu’elle conservait pour son pays perdu, nous la regardions en silence, et comprenions maintenant pourquoi elle pleurait toujours quand elle parlait de l’Acadie. Après avoir maîtrisé ses émotions, elle essuya ses larmes et reprit son récit d’un ton triste.

« – Petiots, votre grand-mère pleure toujours quant à son cœur revient le souvenir de ses souffrances et de ses erreurs. Je suis une vieille femme et mes larmes apaisent ma douleur. Les cicatrices d’un cœur blessé ne guérissent jamais entièrement, seuls, la joie et le bonheur ne laissent aucune trace de leur passage, comme vous l’apprendrez plus tard bien entendu. Mais pourquoi vous dire tout cela ? Vous apprendrez bien assez vite ces sombres expériences, plus que de toutes les paroles et les maximes, aussi sages et judicieuses soient-elles, elles vous enseigneront la vie.

Un bruit vint à Saint-Gabriel annonçant que les troupes Anglaises avaient débarqué en Acadie. D’où venait la rumeur, nul ne pouvait le dire, et il était impossible d’en retrouver la source, et bien qu’incertaine, ces nouvelles créaient une inquiétude considérable dans la communauté. Les mauvaises nouvelles allaient vite, Petiots, il semblait que quelque mauvais génie avait plaisir à expédier des messagers ailés pour propager celles-ci sur la terre. La rumeur fut confirmée d’une manière aussi tragique qu’inattendue.

Un matin, à l’aube d’un jour, on retrouva un jeune homme gisant inconscient sur le pré vert devant l’église. Son bras était brisé, et il avait saigné abondamment, ce fut avec la plus grande difficulté que nous le rendîmes à la vie. Quand il ouvrit les yeux son regard était terrifié, et, malgré sa faiblesse, il fit un effort désespéré pour se lever et fuir.

Nous l’avons apaisé avec des mots d’amitié, il poussa un profond soupir de soulagement. Il avait une fièvre ardente, et ses lèvres desséchées tremblaient en murmurant des paroles incohérentes. Dans le presbytère, nous l’avons déshabillé et avons pensé ses blessures, et quand il eut récupéré de l’épuisement causé par la perte de sang, il nous raconta ce qui lui était arrivé. Nous avons écouté ses paroles dans une attente angoissée pleine d’anxiété. »

Claude Picard: le grand derangement

Claude Picard: le grand derangement

« Les Anglais – dit-il – ont débarqué leurs troupes sur la côte orientale de l’Acadie, et commettent les cruautés les plus atroces. Leur inhumanité dépasse tout entendement. Ils pillent et brûlent nos villages, et ils poussent le sacrilège à faire main basse sur les vases sacrés de nos églises. Ils séparent les femmes de leurs maris, les enfants de leurs parents, et ils conduisent leurs malheureuses victimes vers la mer, et les embarquent sur des navires qui naviguent immédiatement pour des terres inconnues. Ils épargnent seulement les traîtres venus à leur foi et à leur roi. Hier, ils ont attaqué notre village au crépuscule, et ont commis les mêmes outrages, des cruautés immondes. Ils ont tout réduit en cendres, et à la moindre protestation de notre part nous étions exposés à être abattu comme des hors la loi. Ils ont poussé les habitants de mon village à la mer comme du bétail, et quand, par épuisement, l’un d’eux tombé sur le côté de la route, j’ai vu ces démons leur imposer avec la crosse de leurs mousquets, de se lever et de marcher. Je leur ai échappé, dans l’obscurité de la nuit, avec un bras fracassé par une balle perdue. J’ai couru épuisé par la perte de sang et je suis tombé où vous m’avez trouvé. Ils sont en train d’envahirent l’Acadie, et ils ne vous épargneront pas mes amis si vous leur montrez quelques hostilités. Votre ville sera attaqué dans peu de temps, et vous ne pourrez pas leur résister. Abandonnez vos maisons, et rechercher la sécurité ailleurs, si vous avez le temps et la chance de le faire. »

Franck Dicksee: Evangeline

Franck Dicksee: Evangeline

«Vous pensez bien, Petiots, que notre dilemme fut grand à l’entente de cette terrible nouvelle. Nous étions là, ne sachant que faire, même si le temps était précieux, et même s’il fallait concevoir un plan pour assurer notre sécurité et notre protection. Dans l’urgence critique de notre situation notre alternative fut de nous retourner vers notre vieux curé pour obtenir des conseils et les appliquer. Il nous a donné des mots d’encouragement, et se retira avec nos aînés dans sa chambre. Nous sommes restés dans le cimetière, regroupés et parlant à voix basse, nos âmes plongées dans les pensées plus sombres et les plus désespérées.

Ah! Petiots, je me souviens de l’heure mortelle, cette heure qui s’écoula alors que les hommes tenaient conseil dans la chambre du curé, elle nous sembla aussi longue qu’une année. Notre bonheur, notre vie elle-même, en fait, était en jeu et dépendait de leur délibération, et nous attendions cette terrible décision notre esprit plein d’angoisse. Enfin, nos anciens, accompagnés de notre curé, sortirent de cette maison les visages tristes, mais plein d’une ferme résolution inscrite sur leurs fronts.

suite au prochain numéro.

libre traduction de : Acadian Reminiscences by Felix Voorhies

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