L’histoire vraie d’Evangeline
Emmeline Labiche, Petiots, était une orpheline dont les parents étaient morts quand elle était toute enfant. Je l’avais prise à mon domicile, et l’avais élevée comme ma propre fille. Elle était douce d’humeur, et affectueuse! Elle avait grandi et à l’âge adulte avait toutes les attractions de son sexe, et, bien que pas d’une beauté dans le sens donné habituellement à ce mot, elle était considérée comme la plus belle fille de Saint-Gabriel. Son regard doux, transparent, de couleur noisette, reflétait ses pensées pures; ses cheveux bruns foncés tombaient en ondulations gracieuses sur son front intelligent, et en boucles sur ses épaules, son sourire envoûtant, son visage mince, symétrique, contribué à donner à son apparence tous les attraits de la beauté pour une jeune fille.
Emmeline, qui venait de terminer sa seizième année, était à la veille d’épouser un des plus méritants, des plus laborieux et des mieux fait de sa personne,Louis Arceneaux, un jeune homme de Saint-Gabriel, . Leur amour mutuel datait de leur première année, et tous admettaient que la Providence désirait leur union comme homme et femme, elle, la jeune fille la plus belle, et lui, le plus méritant des jeunes gens de Saint-Gabriel.
Leurs bans furent publiés dans l’église du village, le jour nuptial fut fixé, et leur amour longtemps rêvé fut sur le point de se réaliser, quand l’invasion barbare de notre colonie eut lieu.
Nos oppresseurs nous poussaient à la mer, où leurs navires roulaient à l’ancre, quand Louis résistant fut brutalement blessé. Emmeline assista à toute la scène. Son amant fut aussitôt transporté à bord de l’un des navires qui leva l’ancre. Une forte brise bientôt conduit le navire hors de la vue. Emmeline, sans larmes et sans voix, se tenait à la même place, immobile comme une statue, et lorsque la voile blanche disparut au loin, elle poussa un cri sauvage perçant, avant que de tomber évanouie sur le sol.
Quand elle revint à elle, elle s’accrocha à moi, je l’a serrée dans mes bras, et dans l’agonie du chagrin, elle sanglota piteusement. «- Maman, maman – dit-elle, bégayant sous l’émotion – il est parti, ils l’ont tué, que vais-je devenir ? » J’apaisai sa douleur avec des mots pleins de tendresse jusqu’à ce qu’elle cessât de pleurer. Peu à peu, sa violence se calma, mais la tristesse de son visage affichait la douleur qui dévorait son cœur, ne jamais partager son amour avec son prétendant engloutissait son âme.
Ainsi, vécut-elle au milieu de nous, toujours si douce, raisonnable, mais languissante, l’humeur triste avec un sourire douloureux affiché sur son visage. Nous en étions venus à voir en elle, non pas un être terrestre, mais plutôt un ange, notre ange gardien, et c’est pourquoi nous en sommes venus non plus à l’appeler Emmeline, mais Evangeline, ou petit ange de Dieu.
La suite de son histoire n’est pas gaie, Petiots, et mon pauvre vieux cœur s’arrête, chaque fois que je me rappelle la misère de son destin.
Et alors que notre grand-mère parlait ainsi, toute sa personne était tremblante d’émotion. «- Grand-mère – lui avons-nous dit – nous sommes vivement intéressé par l’histoire Evangeline, il faut nous dire ce qu’il advint d’elle par la suite.
– Petiots, comment puis-je refuser de répondre à votre demande ? Je vais maintenant vous dire ce qu’il est devenu de la pauvre Emmeline – et après être resté un certain temps dans une réflexion rêveuse, elle reprit son récit – Emmeline, Petiots, a été exilés au Maryland avec moi. Elle était, comme je l’ai dit, mon enfant adopté. Elle habitait avec moi, et elle m’a suivi dans ma longue migration du Maryland à la Louisiane. Je me dois maintenant de vous détailler les nombreux dangers qui nous assaillirent pendant notre voyage, et les nombreux obstacles que nous avons dû surmonter pour atteindre la Louisiane…J’anticipe sur ce qui me reste à vous dire mais sachez que lorsque nous avons atteint le Teche pays, à la Poste des Attakapas, nous y avons trouvé une population rassemblée pour nous accueillir.
Nous sommes venus par voie de terre, Emmeline marchait à mes côtés, mais elle ne semblait pas remarquer le magnifique paysage qui se déroulait devant nos yeux. Hélas! il était sans importance pour elle. Que nous marchions sur les rives poétiques de la Teche, ou errions dans les sites pittoresques du Maryland, elle, elle vivait dans le passé, et son âme était toute absorbée dans la douleur du regret. Pour elle, l’univers avait perdu toute saveur, elle ne ressentait rien devant ses beautés, sa fraîcheur, et ses splendeurs. L’éclat de ses rêves était grisé, et elle respirait dans une atmosphère de ténèbres et de désolation.
Elle marchait à côté de moi d’un pas mesuré lorsque tout à coup, elle me saisit la main, et, comme fasciné par une vision, elle resta immobile, sur place. Le sang de son cœur imprégnait ses joues, et avec le ton cristallin d’une voix vibrante de joie: «- Mère! Mère! – cria-t-elle – c’est lui! C’est Louis! pointant vers la haute silhouette d’un homme couché sous un grand chêne. » Cet homme était bien Louis Arceneaux.
Avec la rapidité de l’éclair, elle vola à son côté, et dans l’extase de la joie: «- Louis, Louis – dit-elle – je suis votre Emmeline, votre Emmeline, depuis longtemps perdue! M’avez-vous oublié? »
Louis pâlit, son visage avait la couleur de la cendre et baissa la tête, sans prononcer un mot. «- Louis – dit-elle, douloureusement impressionné par le silence de son amant et sa froideur – pourquoi te détourner de moi? Je suis toujours votre Emmeline, ta fiancée, j’ai gardé intacte ma promesse envers toi. Pas même un mot de bienvenue, Louis ? » Interrogea-t-elle. Les larmes commencèrent à monter à ses yeux. «- Dis-moi que tu m’aimes encore, que la joie de me revoir étouffe ta parole. «
Louis Arceneaux, la voix tremblante, répondit: « – Emmeline ne me prétend pas tant de bonté, car je suis indigne de toi. Je ne peux plus t’aimer, Je me suis engagé auprès d’une autre. Arrache à ton cœur le souvenir du passé, et pardonne-moi.» Et aussi vite il s’éloigna, et fut bientôt perdu de vue dans la forêt.
Pauvre Emmeline, elle se mit à trembler comme une feuille, je lui prit la main, elle était glacée. Une pâleur mortelle se répandit sur son visage, et son regard était vide. « -Emmeline, ma chère fille, viens » Dis-je. elle me suivit comme un enfant. Je la serrai dans mes bras.
– Emmeline, ma chère enfant, console toi, il y a sûrement encore du bonheur pour toi.
– Emmeline, Emmeline – murmura-t-elle à voix basse, comme si elle essayait de se souvenir de ce nom – qui est Emmeline ? » Puis, regardant mon visage avec peur, les yeux brillants ce qui me fit frémir, elle dit avec une voix étrange, anormale: «- Qui êtes-vous? » Et elle se détourna de moi. Son esprit avait décroché, cette dernière secousse avait été de trop pour son cœur brisé, elle avait sombré dans la folie.
Comme il est étrange, Petiots, que les êtres, pure et céleste comme Emmeline, doivent lutter contre le sort, et être ainsi exposés à l’adversité. Est-il vrai, alors, que Dieu, le bien-aimé, se dévoile toujours dans la douleur ? Est-ce que Emmeline était trop éthérée pour être un être de ce monde, et que Dieu la voulait en son doux paradis ? Il ne nous appartient pas, Petiots, de résoudre ce mystère et d’examiner les décrets de la Providence. Nous ne pouvons que nous incliner devant sa volonté.
Emmeline n’a jamais recouvré sa raison, et une profonde mélancolie s’installa en elle. Son beau visage était régulièrement éclairé par un triste sourire qui la rendait d’autant plus sainte. Elle n’a jamais reconnu une quelconque personne hormis moi, et niché dans mes bras comme un enfant gâté, elle me donnait les noms les plus attachants. Aussi douce et aussi aimable que jamais, chacun la plaignait et l’aimait.
Lorsque, pauvre folle, Emmeline se promenait sur les bords de la Teche, elle cueillait les fleurs sauvages qui jonchaient sa route, et fredonnait des chansons acadiennes, ceux qui la rencontraient lui demandaient pourquoi une si belle et une si douce jeune fille avait été visitée par la colère de Dieu. Elle parlait de l’Acadie et de Louis avec des mots d’amour, et personne ne pouvait l’écouter sans verser des larmes. Elle se croyait encore la jeune fille de seize ans, à la veille d’épouser l’élu de son cœur, qu’elle aimait avec tant de constance et de dévouement, qu’elle imaginait que les cloches de l’église du village sonnaient pour son mariage, son visage s’illuminait, alors et son corps tremblait de joie extatique. Et puis, brusquement elle passait de la joie au désespoir, son visage changeait et, tremblant convulsivement, haletant, luttant pour s’exprimer, et pointant son doigt vers un objet invisible, avec des accents aigus et perçants, elle criait: « – Mère, mère, il est parti, ils l’ont tué, que vais-je devenir ? Et poussant un cri sauvage, surnaturel, elle tombait dans mes bras. »
Enfin sous les ravages de sa maladie mentale, elle expira dans mes bras sans lutte, et avec un sourire angélique sur les lèvres.
Elle dort maintenant dans sa tombe, à l’ombre du grand chêne près de la petite église de la Poste des Attakapas, et sa tombe fut fleuri tant que votre grand-mère a pu la visiter. Ah! Mes Petiots, triste fut le sort de la pauvre Emmeline, Evangeline, notre petit ange de Dieu.
Et enfouissant son visage dans ses mains, grand-mère pleura et sanglota amèrement. Nos cœurs se gonflèrent aussi avec émotion, par empathie des larmes roulèrent sur nos joues. Nous nous sommes retirés doucement et avons laissé seule notre chère grand-mère, à ses pensées et pleurer pour son Evangeline, son petit ange de Dieu.
libre traduction de : Acadian Reminiscences by Felix Voorhies