la véritable histoire d’Evangeline (chapitre IX)

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Les Acadiens quittent Maryland pour aller en Louisiane .

Comme je vous l’ai déjà dit, Petiots, pendant trois ans, nous avons vécu content et heureux dans le Maryland, lorsque nous avons reçu la nouvelle qu’un nombre d’Acadiens, exilés tout comme nous, s’étaient installés en Louisiane, qu’ils y prospéraient et récupéraient leurs fortunes perdues sous la bienveillance du gouvernement français.

Francis Back

Francis Back

Ces nouvelles nous troublèrent, et plongèrent notre esprit dans l’expectative, nous ne parlions plus que de cela. Cela donnait lieu à des conjectures extravagantes, et nous redonna l’espoir de voir, une fois de plus, ceux dont nous avions été si cruellement séparés. Cela regonfla nos cœurs. Ces nouvelles n’étaient pas précises, nous étions toujours ignorants du sort de ceux qui, comme nous, avaient été exilés de Saint-Gabriel.

Cette incertitude assombrit nos espoirs et entacha notre joie et notre bonheur, augmentant notre inquiétude.

L’angoisse de cet inconnu devint insupportable, nous avons finalement discuté sérieusement de l’opportunité d’émigrer en Louisiane. Les plus timides d’entre nous prenait notre témérité pour une folle entreprise, mais le désir de chercher nos frère exilés a grandi en nous et chaque jour cela est devenu plus vif. Ce désir est devenu si profondément enracinée dans nos esprits, que nous avons conclu qu’il nous fallait partir pour la Louisiane, où la bannière de France flottait au-dessus des coeurs de véritables français.

Nous avons annoncé notre volonté à nos bienfaiteurs, les Familles Brent et Smith, et, sans se laisser abattre par les périls qui nous attendaient, et les obstacles que nous allions devoir surmonter, nous avons préparé notre périple du Maryland à la Louisiane.

Nos amis mirent toute leur éloquence pour nous dissuader de notre volonté, mais nous avons résisté à toutes leurs instances, même si nous étions profondément touchés par cette nouvelle preuve d’amitié. Nous avons cédé tout ce que nous ne pouvions emporter, et avons gardé les wagons et les chevaux pour transporter les femmes et les enfants, ainsi que les bagages. En tout, nous étions deux cents personnes, et parmi eux, cinquante étaient bien armés, et prêts à affronter n’importe quel danger.

Claude Picard (déportation des Acadiens

Claude Picard (déportation des Acadiens

Nous avons avancé lentement, les wagons placés au centre, tandis que vingt hommes à l’avant, et autant à l’arrière, défilaient quatre de front. Dix des plus braves et des plus actifs de nos jeunes hommes avaient pris la tête avec une courte avance par rapport à la colonne, et formaient notre avant-garde. Nos forces étaient distribués avec sagesse, pour notre sécurité, car la route devant nous s’enfonçait dans la montagne, et dans un pays sauvage et morne habité par les Indiens.

Nous avons obtenu, comme éclaireur et guides, deux Indiens bien connus de la famille Brent, et dans lesquels, nous avons pu placer notre confiance. Nous avons eu l’occasion, de reconnaître plus d’une fois de la chance de nous être assurés de leurs services. Notre voyage était plein de tristesse car nous quittions des amis aimables et généreux, amis qui nous avaient soulagé dans nos besoins, et qui avait prouvé la valeur de leur amitié fraternelle. Nous les avons quittés, attirés par des espoirs qui pouvaient se révéler illusoire, et quand nous avons saisi leurs mains pour un dernier adieu, nous avons eu du mal à trouver les mots, ils nous ont manqué, et nos larmes et nos sanglots leur ont exprimé notre reconnaissance pour les bienfaits dont ils nous avaient si généreusement couverts. Eux aussi pleuraient, touchés au cœur par de si éloquentes expressions de notre gratitude. Leurs derniers mots étaient des mots d’amour illuminés par un ardent désir de voir nos espoirs se réaliser.

Howard Chandler Christy: Evangeline

Howard Chandler Christy: Evangeline

Nous partîmes en direction de l’ouest, et nous avons bientôt perdus de vue les toits hospitaliers des familles Brent et Smith. Nous avons de nouveau eu l’impression que nous étions de pauvres exilés errants à travers le monde à la recherche d’une maison.

Notre voyage, Petiots, était lent et fastidieux, mille obstacles entravaient notre progression. Nous avons rencontré des torrents rapides et profonds que nous ne pouvions traverser, faute de bateaux. Nous avons voyagé à travers la montagne où les chemins étroits et dangereux serpentaient sans fin sur ses versants et par vaux et par monts, nous avancions sur des pentes escarpées, où un faux pouvait nous faire chuter dans des gouffres béants. Nous avons souffert de tempêtes et de pluies diluviennes, et la nuit, quand nous nous arrêtions pour reposer nos membres fatigués, nous n’avions que la toile de nos tentes pour nous abriter de ces intempéries.

Ah! Petiots, nous avons été soumis à des épreuves douloureuses! Mais nous avons été bercés par l’espoir que loin, très loin en Louisiane, nous trouverions nos parents et nos amis. Ce rêve radieux éclairait notre chemin, il brillait tel un phare sur lequel nous gardions nos yeux rivés. Il endurcit notre cœur contre les souffrances et les privations presque trop grandes pour être prises en charge autrement.

Robert Griffing: la prise de Mary Jemison

Robert Griffing: la prise de Mary Jemison

Ainsi, nous avancions sans crainte, oui, presque gaiement, et la nuit, quand nous montions nos tentes dans quelque endroit solitaire, nos chansons acadiennes rompaient le silence et la solitude, et, comme la douce brise, elles flottaient sur les collines, leurs couplets légers retentissaient de nouveau en nous si clairement et si distinctement, qu’ils semblaient être l’écho de la voix de quelque ami.

Tant que nous avons voyagé en Virginie, sauf les obstacles présentés par les routes d’un pays aux reliefs variés, notre progression, bien que lente était satisfaisante. Les gens étaient généreux, et nous ont fourni avec abondance de l’aide. Mais quand la population blanche s’est fortement clairsemée et quand nous sommes arrivés dans la province sauvage et montagneuse  qui, nous dit-on, portait le nom de Caroline, alors, Petiots, il nous fallut un coeur vaillant et ferme de résolution, pour ne pas abandonner l’idée de gagner la Louisiane par la voie terrestre que nous suivions.

Pendant des jours et des semaines, nous avons eu à marcher péniblement dans des forêts sans fin, notre chemin coupait à travers des bois si épais de broussailles, qu’ils étaient presque imperméables à la lumière. Un ennemi cruel pouvait se poster, se cacher en embuscade pour nous tuer, car nous étions maintenant dans le cœur du territoire indien, et les sauvages nous suivaient, furtivement, jour et nuit. Nous pouvions les voir, hideux, avec leurs visages tatoués et leurs coiffures de plumes, effrayant en apparence, nous rôdant autour, et en épiant nos mouvements. Nous étions toujours sur le qui-vive, s’attendant à une attaque à tout moment, car nous pouvions entendre distinctement leurs  féroces hululements.

Ah! Petiots, c’est alors que notre angoisse devint extrême. Les cœurs les plus vaillant grandirent en faiblesse sous la pression de ces malheurs accumulés. Nos nuits étaient sans sommeil, soucieuse et la famine nous tenaillait, nous étions l’image du découragement et du désespoir. Pendant deux longs mois, nous avons ainsi peiné jour après jour, et nuit après nuit,  nous étions épuisés de ce voyage sans fin apparente, le découragement nous laissât croire que nous avions échoué.

L’heure était sombre, pleine de pressentiments inquiétants, et nous étions abattus par cet exile plein de tristesse et d’appréhension.

Meyer Straus

Meyer Straus

Mais une sorte de Providence veillait sur nous. L’espoir de trouver notre parentèle perdue soutenait nos esprits fatigués. On nous avait dit que la Louisiane était une terre d’enchantement, où un printemps perpétuel régnait. Une terre où le sol était extrêmement fertile, où le climat était tellement agréable et tempéré que le ciel était perpétuellement serein, au point de mériter à juste titre le nom d’Eden d’Amérique. Cette idée nous souriait effaçant la distance vers cette terre promise, vers ce pays, cela guidait nos pas fatigués. La nostalgie s’effacerait le jour où nous foulerions son sol, et respirerions une fois de plus l’air pur dans lequel flottait la bannière de la France.

Enfin nous arrivâmes à la rivière Tennessee, là où elle s’incurve gracieusement autour de la base d’une montagne surgissant à une hauteur de plusieurs centaines de pieds. Ses rebords étaient rocheux et escarpés, et vers le bas, plongeant au moins de cinquante pieds, nous avons pu voir, dans ce gouffre ses eaux qui coulaient majestueusement vers le grand vieux Meschacebé. Il était hors de question de traverser la rivière  à cet endroit, et nous avons suivi son cours sur le bord abrupt de ses berges , avançant prudemment évitant le danger menaçant.

Cette nuit-là, nous avons dormi dans une grande grotte naturelle sur le bord même du précipice, au bord du fleuve. À l’aube de la journée, nous avons repris notre marche, et avons avancé. Le pays devint de plus en plus plat, et après quatre jours harassants, nous nous sommes arrêtés et avons campé sur une colline près d’une rivière, se jetant dans le fleuve. Nous y avons rencontré un groupe de Chasseurs et de trappeurs canadiens qui nous ont fait un accueil chaleureux, et nous ont réapprovisionné en venaison. Ils nous ont informés que la façon la plus facile et la moins fatigante pour atteindre la Louisiane était de flotter sur les rivières Tennessee et Meschacebé. La suggestion a été adoptée, et nos hommes aidés par nos amis canadiens, ont abattu les arbres pour construire une embarcation adaptée.

Là, Petiots, un grand malheur nous arriva. Nous avons connu une grande perte avec la mort de René Leblanc, qui avait été notre chef et conseiller dans les heures de nos doutes douloureux. La vieillesse avait brisé sa constitution, il avait dépérit, et les fatigues de notre long pèlerinage, l’avaient mené dans la tombe sans une plainte. La mort de ce héros, de ce chrétien, qui nous consolait quand nous pleurions à ses côté, et qui nous encourageait dans nos problèmes, nous affligea cruellement, et la nuit au cours de laquelle il fut exposé, préambule à son enterrement, le silence ne fut pas troublé, dans notre camp, sauf par nos chuchotements, comme si nous craignions de troubler le repos de l’homme grand et bon qui dormait du sommeil éternel. Nous l’avons enterré au pied de la colline, dans un bosquet de noyers. Nous avons gravé son nom et une croix sur l’écorce de l’arbre abritant sa tombe, et après avoir dit les prières pour les morts, nous avons fermé sa tombe, mouillés par les larmes de ceux qu’il avait tant aimés.

Franck Dicksee: Evangeline

Franck Dicksee: Evangeline

Mon récit n’ai pas gai, Petiots, mais la sombre morosité va maintenant être dissipée par le soleil radieux de la joie et du bonheur.

Notre bateau était lourd, mais il servit notre but. Nous y avions stocké nos bagages et nos fournitures, nous avons vendu nos chevaux et nos chariots à nos amis canadiens, nous avons pris congé de nos guides indiens et nous avons lâché les amarres du bateau. Nous avons flotté en aval, nos jeunes hommes poussant l’aviron, et chantant des chansons acadiennes.

Rien d’important ne se passa suite à notre embarquement. Pendant la journée, nous naviguions, et la nuit, nous amarrions notre bateau en toute sécurité, et campions sur les rives de la rivière. Enfin, nous nous sommes lancés sur le eaux tumultueuses du Mississippi et sur ce noble fleuve avons flotté jusqu’au Bayou Plaquemines, en Louisiane, où nous avons débarqué. Une fois de plus nous marchions sur le sol français, nous étions libérés de la domination anglaise.

Joseph Rusling Meeker: bayous

Joseph Rusling Meeker: bayous

La nouvelle de notre arrivée se propagea et un grand nombre d’exilés acadiens affluèrent vers notre campement pour nous accueillir et nous souhaiter la bienvenue. Ah! Petiots, comment puis-je décrire notre joie et notre ravissement, quand nous avons reconnu des visages familiers. Saisissant les mains, le cœur trop plein de parole, nous avons pleuré comme des enfants. L’amour et le bonheur reprirent possession de notre  cœur  ce jour-là. Plus d’une femme pressée à son sein un mari depuis longtemps perdu. Plus d’un parent aimé serrait avec extase un enfant aimant. Ah! Un tel moment, nous a remboursé toutes nos souffrances et nos privations, et nous avons passé la journée dans la joie, la convivialité et la gaieté.

La suite de mon histoire sera vite dit, Petiots. Peu de temps après, nous sommes partis pour la région du bayou Teche, où des terres nous avaient été concédées par le gouvernement. Nous avons dirigé notre chemin, dans des marécages sombres, à travers les bayous sans nombre, à travers des lacs jusqu’à ce que nous ayons atteint Portage Sauvage, à Fausse Pointe, qui nous était destinées. Le lendemain, nous étions à la Poste des Attakapas, un petit hameau à deux ou trois maisons, un magasin et une petite église en bois, situé sur Bayou Teche que nous avons traversé en bateau.

Là, plusieurs Acadiens se sont séparés afin de s’installer sur les terres mises à leur disposition.

Vous ne devez pas imaginer, Petiots, que la région du Teche, tout comme aujourd’hui, était parsemée de florissante fermes, d’élégantes maisons et de beaux villages. Non, Petiots, elle a exigé de la persévérance de la part de vos pères acadiens pour s’y installer. Bien que belle et pittoresque, il était une région sauvage habitée, la plupart du temps, par des Indiens et par quelques hommes blancs, des trappeurs et des chasseurs de profession. Ses immenses prairies, couvertes de mauvaises herbes aussi grandes que vous, étaient communes et des troupeaux de bovins et de cerfs y erraient sans encombre, sauf par le chasseur et la panthère. Telle était la région où vos ancêtres se sont installés, et qui grâce à leur énergie s’est transformée en un jardin regorgeant de richesses.

Meyer Straus (le bayou teche.

Meyer Straus (le bayou teche.

Les Acadiens se sont enrichis dans un pays où personne ne meurt de faim s’il est laborieux, et où l’on peut facilement devenir riche s’il craint Dieu, et s’il est économe et ordonné dans ses affaires.

Petiots, j’ai tenu ma promesse, et je vous ai raconté mon histoire. Vos pères acadiens étaient les martyrs d’une noble cause, et vous devez toujours être fiers d’être leurs fils des martyrs et des hommes de principe.

« – Grand-mère – lui avions nous  dit, comme nous l’embrassions tendrement – vos mots ont imprégné nos cœurs bien disposés et affectueux, et ils porteront leurs fruits. Nous sommes fiers aujourd’hui d’être appelé Acadiens, car il n’y a jamais eu peuple plus noble, plus dévoué au devoir et plus patriotes que les Acadiens qui devenus exilés, ont bravé la mort elle-même, plutôt que de renoncer à leur foi, leur roi et leur pays. « 

fin

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