À cause des vents dominants venant de l’ouest, notre embarquement fut décidé pour le 15 du mois de septembre de l’an 1736, c’était un samedi, l’appareillage devant avoir lieu dans l’après-midi. Avec en tête sœur Élizabeth, notre petit groupe fut le premier à arriver, suivaient, encadrées des deux ursulines et de gardes armées, l’autre groupe, celui des filles, les filles des rues. Nous nous présentâmes sur le quai au pied de l‘échelle de coupée sous les yeux des curieux. À la vue du navire, je ne pus m’empêcher de m’appuyer sur le bras de ma compagne la plus proche, Marie-Angélique Dessert, qui me regarda inquiète. La traversée était une rude épreuve que même les marins et les autres passagers n’entreprenaient pas sans crainte, alors moi qui ne la désirait pas…
Comme La plupart des navires de haute mer c’était un bâtiment à trois mâts. La première chose que nous vîmes de lui, depuis le carrosse, ce fut le grand mât central, le mât de misaine à l’avant et le mât d’artimon à l’arrière. Je ne pu m’empêcher de frissonner en contemplant les voiles rectangulaires montées sur des vergues, les focs et autres voiles à l’avant appuyées sur le beaupré et la voile d’artimon sur une « corne d’artimon ». C’était cela qui allait m’emmener loin de mon pays, où il est vrai plus rien ne me retenait. Le vaisseaux était d’aspect ventru et à fond plat. Il était baptisé « le goéland ». Bien qu’il fut à première vue quatre fois plus long que large, il semblait lourd et lent, mais il me semblait stable. Il devait bien se comporter en mer, du moins je le supposais. Ne croyez pas que je parle dans le vide. Je vous rappelle que je suis née au bord de la Dordogne et que mon séjour à Bordeaux m’avait permis d’acquérir quelques connaissances dans le domaine de la navigation. Dans cette ville, c’était le deuxième sujet de conversation après le vin bien sûr. Arrondie sur l’arrière, la flûte, c’était le nom de ce type de navire, je l’appris par la suite comme beaucoup de choses, n’avaient pas de tableau et le gouvernail portait sa barre au ras du couronnement surmonté d’une tête de femme en bois peint.

arrière de l’aurore navire négrier un peu plus grand que l’assemblée nationale dessin jean bellis
Le second du capitaine nous attendait devant la coupée de la rambarde. À première vue, il n’était pas enthousiasmé de nous voir. Sous le coup de l’émotion, je n’y fis pas attention sur l’instant, mais le capitaine, lui-même, campé sur la dunette, nous examinait. Sœur Élizabeth sans hésitation s’avança sur l’échelle. J’aspirais un grand coup, malgré la peur qui me tenaillait, je n’avais pas d’autres choix que de la suivre. La première chose que je ressentis ce fut le balancement du pont qui me déséquilibra quelque peu. Je fus aussitôt happé par l’activité sur les ponts du navire. Évidemment, seule l’énergie du vent pouvait faire avancer le navire et, seule, la force des hommes, grâce à des poulies, cabestans, leviers, permettait d’effectuer les manœuvres, aussi étaient ils déjà en action pour l’appareillage. Il fallait monter dans les mâts par des échelles de corde pour manœuvrer les voiles, c’était des plus impressionnant, combien de fois crus-je que l’un des hommes allait chuter. Il y avait à bord un vaste réseau de cordages et de poulies, y compris le très gros cordage de mouillage des ancres manœuvré par le cabestan. Le navire avait beau être grand, il devait emporter environ 350 tonneaux de vivres, la place réservée aux passagers était fort limitée, comme nous devions nous en rendre compte. À fond de cale avait été mise en vrac la marchandise lourde qui servait de lest. Au retour, elle serait remplacée par des pierres qui iraient paver quelques rues de France. Il y avait au-dessus de la cale deux ponts sous le tillac, et le pont à l’air libre. Dans ces ponts fermés, on s’entassait pour se protéger des intempéries. Une partie de ces entreponts était toutefois réservée pour les animaux vivants que l’on amenait pour les colons ou encore pour notre consommation au cours du voyage, tels des bœufs, des cochons, des volailles.
À peine, étions-nous sur le tillac que le second s’adressa à sœur Élizabeth. Après l’avoir salué respectueusement, il lui signifia que si nous les filles à la cassette pouvions rester sur l’entrepont à notre guise, de préférence chaperonnées, en aucun cas les autres, nos compagnes moins avantagées par le sort, ne devaient rester seules sur les mêmes lieux. De plus, elles ne devraient avoir aucune communication avec les officiers et les gens de l’équipage.
Sur ce il fit signe à un matelot de nous accompagner jusqu’à la sainte-barbe où nous avaient été réservées un espace exigu, nos comparses de voyage étant séparées de nous par une simple cloison. Nous fûmes aussitôt assaillies par les odeurs de fumiers en ces lieux clos. Heureusement que l’odorat est un sens qui s’habitue et qui oublie.
Ne croyez pas que par ce que nous étions des filles à la cassette, nous avions un régime particulier quant à notre confort. Tout le monde, fonctionnaire du roi, missionnaire, religieuse, officiers, soldats, engagés, fils de famille, marchands, commis et émigrants volontaires, étaient serrés comme des sardines, car, en plus des passagers et des membres d’équipage, le bateau contenait les marchandises et la nourriture pour la traversée, c’est-à-dire des provisions pour deux mois environ. Chaque espace était donc utilisé à son maximum. Il y avait bien sûr des exceptions, quelques personnes aisées ou jouissantes d’une certaine notoriété et qui arrivaient à négocier avec le commandant l’usage d’une couchette d’état-major vacante. Au pire, elles pouvaient disposer d’une couchette sur cadre fixe, structure en bois fixée à la muraille du navire. Ce fut le cas d’un couple de planteurs, qui rentrait à Saint-Domingue où le navire faisait escale. Dans notre cas, nous dûmes nous contenter de paillasses certaines doubles, mais pour la plupart simples afin de faciliter le rangement durant la journée, car elles étaient remisées pour pouvoir installer bancs et tables pour les repas.
Nous fûmes fort dépitées de cet arrangement, d’autant que l’entrepont était quasiment plongé dans le noir. Il était chichement éclairé par les sabords de charge qui se trouvaient à l’arrière, percés sur l’arcasse du navire. Les écoutilles étaient pourvues de caillebotis, ce qui apportait un complément d’air et de lumière. C’était une pauvre consolation, nous étions quelque peu abattus. Aucune d’entre nous n’était rassurée, car lorsque le navire réussirait à quitter le port et à s’engager sur l’Atlantique, nous savions, nous imaginions qu’une foule d’aléas pourraient venir entraver le voyage comme les naufrages, les avaries, les attaques des corsaires. Sœur Élizabeth sentit notre désarroi, aussi elle nous mit en prière. Pendant ce temps, au-dessus de nous, nous entendions les manœuvres d’appareillage, les craquements de la coque sous l’effort, le claquement des voiles, le navire prenait la mer.
La vie s’avéra dure sur le bâtiment, outre l’entassement, la traversée fut marquée par les habituelles incommodités. La première qui nous toucha et cela à peine l’ancre levée, ce fut un mal de mer tenace. Il nous teint, pour la plupart d’entre nous, une quinzaine de jours, allongés. Tripes et boyaux ne voulaient rien savoir. La seule qui ne fut pas atteinte à sa grande surprise fut la petite Capucine Saurignac qui contre toute attente avait le pied marin. Elle nous soigna avec un mélange d’eau et de vinaigre, que le chirurgien du navire lui avait fourni et qu’il nommait l’oxycrat.
Dans la liste des incommodités, outre la lourde atmosphère qui régnait dans les batteries, les odeurs humaines qui se mêlaient à celles des bœufs, moutons, porcs, poules, il y avait le froid et l’humidité que nous ne pouvions ignorer, d’autant que dans un premier temps ils furent des plus mordants, à cause du mauvais temps persistant. Nous le supportions difficilement, car l’on ne pouvait pas faire de feu pour se réchauffer ou pour cuire les aliments, par crainte des incendies. Il arrivait également que nos paillasses fussent détrempées, les vivres et les marchandises gâtés par l’eau qui s’infiltrait partout dans le bâtiment. De plus les feux ouverts étant proscrits, nous ne pouvions utiliser des lanternes. Nous n’avions pas la licence d’en allumer à notre guise. Nous étions donc la plupart du temps dans l’obscurité.
Pendant la traversée, le quotidien devint rapidement assez monotone. Lorsque le temps le permettait, la vie à bord se résumait à de longues promenades sur le pont, entrecoupées de jeux de société ou de hasard pour les autres passagers, ainsi que de musique et de chant. Nous passions notre temps à converser et à observer les autres navires au hasard des rencontres sur l’océan. Nous avions très peu d’activités et nous étions vite désœuvrés. Heureusement, il y avait les repas pour briser la monotonie de la traversée. La cuisine se situait sous le gaillard avant. Une cheminée traversait le pont, c’était une structure en briques réfractaires et le seul endroit où se trouvait un feu ouvert. Une grosse marmite y était suspendue, parfois une broche pour les volailles destinées à l’état-major. Le coq préparait les repas pour tous.
Habituellement, trois repas par jour nous étaient servis, chacun recevait sa portion dans une écuelle en terre cuite ou dans une assiette en bois. Au petit déjeuner, on ne se nourrissait que de biscuits, sauf qu’après quelques semaines de navigation, ils furent remplis de petits vers. Quant au déjeuner et au dîner, ils se composaient d’un potage fait de semoule de seigle ou d’avoine, parfois de maïs, de fèves ou de pois, auquel on ajoutait de la graisse ou de l’huile d’olive de façon à ce que le tout soit nourrissant. Le seul repas chaud était celui de midi. Heureusement que trois ou quatre fois par semaine, il arrivait qu’au déjeuner et au dîner, l’on nous donnât du lard, de la morue ou du hareng. Aussi toutes les fois que cela fut possible, les hommes essayèrent d’améliorer le menu quotidien par les produits de leur pêche : thon, marsouin, requin, etc. Comme boisson, nous avions du cidre et de l’eau douce tant que celle-ci ne fût pas trop corrompue. Conservée dans des tonneaux de bois, l’eau potable, au bout d’une vingtaine de jours de navigation, avait pris un goût amer et une couleur brunâtre. Elle s’était emplie d’asticots, de petites larves qui dégageaient une odeur nauséabonde. Il fallut dès lors se boucher le nez pour avoir le courage d’en boire. Le dimanche, jour exceptionnel, on mettait du vin sur les tables.
Il y avait aussi d’autres désagréments qui semblaient mineurs, mais qui engendrèrent bien des douleurs. Notre hygiène personnelle laissait beaucoup à désirer. L’eau douce était trop précieuse pour qu’on la gaspille à laver le linge ou sa personne. Imaginez la puanteur qui régnait dans l’entrepont où les sabords étaient presque continuellement fermés, de plus entre les hommes et les bêtes, les parasites y pullulaient. Toutes les fois que nous sortions de l’entrepont, nous nous trouvions couverts de poux. J’en ai trouvé jusque dans mes chaussures. Je n’étais pas née dans la cuisse de Jupiter, bien sûr, je n’oubliais pas d’où je venais, mais je m’étais habituée rapidement pendant mon séjour à Bordeaux comme à Paris au confort d’un cabinet de toilette dans lequel je passais beaucoup de temps pour me préparer, aussi celui du navire était un enfer journalier. Les commodités étaient des poulaines de simples sièges percés à la vue de tous dont l’évacuation devait être un tuyau de plomb tombant le long de l’étrave. La mer se chargeant du nettoyage. Elles étaient à l’usage des hommes. Nous autres femmes utilisions des bailles, des sortes de seaux en bois, que nous vidions par-dessus bord. L’hygiène étant lamentable, nous utilisions des morceaux d’étoupe pour nous nettoyer au moins les parties intimes, parfois nous nous toilettions avec de l’eau de mer ce qui apportait d’autres désagréments à cause du sel contenu dans l’eau. L’eau douce étant donc réservée à la boisson, il n’était pas question de toucher aux réserves pour se laver ou pour laver notre linge, nous utilisions donc là aussi l’eau de mer. Parfois, quand il pleuvait, les matelots mettaient une bâche dans le canot pour la récupérer et dans ce cas, elle pouvait servir pour la lessive. Les plus fainéants se contentant d’accrocher leur linge à un filin qu’ils laissaient traîner dans la mer, à l’arrière du bateau. De toute façon pour toute hygiène corporelle, on se contentait d’exiger des matelots qu’ils se peignent tous les jours, se lavent les pieds régulièrement et changent de chemise, une fois par semaine. Par tradition, ils se rasaient le samedi, ou plutôt se faisaient raser par un mousse. L’état-major plus raffiné disposait d’un valet pour son linge. Quant à nous, passagers, nous faisions à notre guise et faisions de notre mieux pour garder un semblant d’humanité. Dans ces conditions, les maladies se développèrent aisément.
Nous étions à peine remise de notre mal de mer, qu’un ouragan affreux, qui après avoir enlevé une chaloupe et des pièces d’eau menaça à tout moment d’engloutir le navire. Durant deux jours entiers, l’équipage s’épuisa à actionner les pompes. On s’aperçut alors, après l’accalmie, que la ligne équinoxiale était dépassée, aussi l’équipage décida de procéder au traditionnel « baptême du bonhomme tropique ». Pendant quelques jours, notre équipage fit de grands préparatifs, pour la célébration du fameux baptême du Tropique. C’était une sorte de carnaval autorisé sur le navire par le capitaine, afin de nous distraire. Beaucoup d’entre nous se trouvaient dans le cas d’être soumis à la classique ablution tropicale, puisque nous en étions à notre premier voyage. Cela commença dans l’après-midi, une grêle de pois secs et de gargousses tomba, des hunes, sur le gaillard. Elle annonçait le courrier du Bonhomme, ou Roi du Tropique. Nous étions toutes joyeuses de cette festivité qui bouleversait la monotonie de notre quotidien. Un gabier, très joliment vêtu en postillon, descendit de la grande hune, il fit claquer son fouet ce qui nous fit éclater de rire, nous faisions semblant d’avoir peur. S’avançant vers le commandant, il lui remit une lettre, de la part de son souverain. Cette lettre réclamait le tribut d’usage, payable par tous ceux du bord qui entraient, pour la première fois, dans ses états. Une tente avait été plantée, au pied du grand mât, sous laquelle se dressait un autel surmonté d’une croix, et de tous les attributs de la navigation : cartes marines, compas, octant… Le roi Tropique descendit de la grande hune. Il avait une barbe blanche d’étoupe, et, bien que couvert de fourrures, il feignait de grelotter, en dépit d’une température de 26°. Tout l’équipage s’était déguisé, les déguisements étaient fort ingénieux, un tout jeune homme imberbe, au joli visage, représentait Amphitrite, épouse du vieux Tropique, des mousses, en tritons, lui faisait cortège, d’autres marins étaient grimés en esclaves du Tropique, barbouillés de différentes couleurs. Après avoir défilé sur le gaillard et fait le tour de la tente, le Bonhomme y pénétra, et le cortège se rangea autour de lui. Son secrétaire appela de tous ceux qui devaient recevoir le baptême. Si sœur Élizabeth fut exemptée de ce jeu, elle consentit que nous subissions cette tradition, tout en en surveillant la moralité. Nous nous amusâmes beaucoup, nous fîmes bonne chère, ce fut la seule joie du voyage, elle perturba nos inquiétudes et notre morosité. Elle fut aussi le dernier moment de paix.
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Le manque d’hygiène, l’entassement sur le pont et les repas monotones étaient d’excellents bouillons de culture pour les maladies. La mauvaise nutrition nous rendait très peu résistants, et le danger de périr d’une épidémie déclarée à bord était grand. Les biscuits et les salaisons dont on se nourrissait avaient rapidement été gâtés par les vers qui y grouillaient. L’absence de légumes frais engendra une épidémie de scorbut. L’épouvantable maladie redoutée de tous toucha tout d’abord un mousse puis deux des ribaudes qui étaient venus avec nous. Le capitaine demanda au chirurgien de distribuer du jus de citron, seul remède connu de lui.

La mort de saint Scholastique, études de têtes et de mains – Nicolas de Plattemontagne -(1631-1706)
Cela ne fut pas assez rapide pour empêcher le mal de se propager, tout comme sœur Élizabeth, je fus l’une des victimes de cette maladie. Elle se manifesta à moi par une grande fatigue, puis par des œdèmes aux membres, puis des hémorragies des muqueuses du nez et des gencives, et des ecchymoses nombreuses sous la peau. Je fus soignée à temps, mes dents ne se déchaussèrent pas jusqu’à tomber. Sœur Élizabeth mit un peu plus de temps à se remettre, mais Cunégonde d’Orlon, la brune aux cheveux filasse, n’eut pas notre chance. La maladie l’emporta avec une rapidité qui surprit tout le monde. Elle mourut d’épuisement tout comme les deux premières filles qui en furent atteintes. Elles furent emportées par une hémorragie massive. Il y eut plusieurs cas parmi les colons, dont un patriarche. Tous furent immergés rapidement, afin d’éviter toutes autres maladies contagieuses, après une messe dite par le capitaine. Ceux qui survécurent étaient à peu près rétablis quand après avoir passé l’île de Gonâve nous avons accosté à Port-au-Prince à Saint-Domingue. L’eau douce qui était rare à bord croupissait dans des futailles, nous profitâmes de cette escale pour faire une aiguade, afin d’en renouveler la provision. L’escale servit aussi à livrer des marchandises et à en prendre d’autres. On nous adjoint aussi un groupe de malheureux nègres, une dizaine enchaînés, femmes et hommes pêle-mêle, visiblement maltraités. Contrairement à moi, aucune de mes comparses n’en avait déjà vu. Comme elles s’étaient lancées dans des supputations quant à leur devenir, ce fut moi, cette fois-ci qui les instruit. Bordeaux m’avait appris cela aussi. Du port, je ne peux pas dire grand-chose. Nous ne fûmes pas autorisées, pas plus les ribaudes que nous, à descendre à terre. Ce fut donc appuyé depuis la rambarde que je constatais que ce port était une petite agglomération dont les cases, qui n’avaient que le rez-de-chaussée, étaient perdues dans une immense enceinte et dont les larges rues semblaient impraticables à la moindre pluie. Je ne fus pas contrariée de ne pas visiter la ville même si j’aurais apprécié de marcher sur un sol ferme. Nous y restâmes trois jours puis nous appareillâmes pour notre destination finale.
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Dans la mer des Caraïbes, alors que nous craignons les pirates qui pullulaient, tremblant à la moindre voile, nous avions été farcies d’histoire toutes plus monstrueuse les unes que les autres quant au sort que pouvaient nous réserver les forbans, nous n’eûmes qu’un incident qui fit plus de peur que de mal. Un jeune marin voulant nous impressionner, enfin surtout Françoise, notre rousse plantureuse, tomba à la mer. Le sauver ne fut pas une sinécure. En écho à sa chute retentit le terrible cri : « – un homme à la mer ». Nous nous précipitâmes tous jusqu’à la rambarde pour voir le pauvre homme se débattre, nager n’était pas dans ses habitudes. Ce fut un affolement général, le navire continuait de courir sur son aire et s’éloignait du naufragé. Il ne pouvait pas interrompre sa course comme cela. Un marin avait aussitôt lancé une bouée à l’homme qui se débattait dans les flots, un large disque composé d’éléments en liège, au centre duquel se dressait un piquet. L’homme put s’approcher de celle-ci et s’accrocher aux cordes qui garnissaient son pourtour à cet effet, avant de s’y hisser. Dans le même élan, des marins avaient mis un canot à la mer pour repêcher le naufragé. Heureusement, il fut récupéré par ses camarades, car cette bouée aurait pu devenir un objet de mort lente. Le navire même ayant fait demi-tour aurait pu parfaitement ne pas réussir à le localiser et en admettant que le malheureux ait réussi à se jucher sur la bouée, il serait mort de soif après une lente agonie. Ce fut ce que nous racontèrent les marins une fois l’insouciant repêché.
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C’était le milieu de la journée quand le grand moment arriva. Nous nous faisions, mes comparses et moi-même, la lecture sur le tillac. Un prêt du capitaine nous avait permis de nous divertir de cette façon. Il nous avait prêté, par ironie sûrement, de l’abbé Prévost, « l’histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut ». Sœur Élizabeth n’avait pas bronché. Quand je connus la fin, je compris le message en filigrane. Nous savions toutes lire, moi aussi bien qu’elles, j’avais fait mes lettres avec le curé de mon village et puis j’avais amélioré cela avec les cours du précepteur de mon ancien amant. Ma lecture était parfois encore un peu hachée, mais pas plus que mes consœurs. Ayant aperçu la terre, la vigie, postée sur la hune, afin de repérer les récifs et les voiles ennemies, cria : « – terre… terre… » interrompant sans hésitation notre activité, nous nous précipitâmes du côté indiqué pour voir, pour découvrir le lieu de notre destination, voir la terre qui devait nous accueillir. Le premier signe qui nous avertît fut la vue de l’immense rivière mêlant ses eaux bourbeuses aux vagues bleues du golfe du Mexique. Je fus tout d’abord frustrée dans mes attentes aussi je fis écho au désappointement de mes comparses, qui ne voyaient rien ou peu s’en fallait. Les côtes de ce fleuve étaient si parfaitement plates qu’on ne pouvait deviner en pleine mer aucun des éléments qui couvraient leur surface. Nous contemplions toutefois avec un certain soulagement cet océan boueux qui venait à notre rencontre, car il nous apprenait que nous touchions au but, de plus après huit semaines de traversée nous étions fatiguées et lassées.
Cependant, ce n’était pas sans regret que nous quittions ces ondes bleues et brillantes dont l’aspect changeant avait si longtemps été notre principale distraction, pour naviguer sur le sombre courant vers lequel s’élançait notre vaisseau. Il faut dire que nous étions aussi inquiètes que contentes d’arriver au but, car nous ne savions pas ce qui nous y attendait. Longtemps avant qu’aucun autre signe visible ne nous annonçât la terre, se reposant sur les îles de boue qui s’élevaient sur la surface des ondes, nous découvrîmes un grand nombre d’oiseaux, inconnus de nous, avec de volumineuses poches sous le bec qui étaient des pélicans. Un pilote, sur une petite embarcation, vint au-devant de nous pour nous guider au milieu des divers obstacles que cachaient les eaux sombres. Je n’avais jamais contemplé une scène d’aussi complète désolation que cette entrée du Mississippi. C’en était déprimant et n’annonçait rien de bon. Sœur Élizabeth, en compagnie des deux ursulines, qui ne devaient pas être loin de mes pensées, priait avec ferveur. Un seul objet s’éleva sur la surface de ces écueils, ce fut le mât d’un vaisseau depuis longtemps submergé. Le navire n’avait pas du pouvoir traversé la barre. Il était resté à la même place, comme pour porter témoignage de sa destruction et mettre en garde les nouveaux arrivants dans ses eaux fourbes. J’en eus un frisson. Dans quel pays de malheur avais-je été envoyé ? Mes autres comparses durent penser la même chose, car elles se rapprochèrent et Marie Angélique Dessert prit ma main et la serra.
Peu à peu, des joncs d’une énorme grosseur se montrèrent à notre vue, et à quelques milles de plus, toujours au milieu de la boue, notre voyage nous amena en face d’un amas de huttes appelées le village de la Balise. Le lieu paraissait bien misérable pour servir de refuge à l’homme, pourtant plusieurs familles de pilotes et de pêcheurs y vivaient.
Pour passer la barre, il n’y avait qu’une solution, alléger le navire, en transbordant dans le village le plus possible de marchandise et de passagers. Une fois la chose faite, ce ne fut pas sans péril, car il fallut passer dans les canots et à la rame être conduite à la plage, nous n’étions pas très fières, les pilotes firent passer à notre navire la barre et les bancs de sable. Nous regardâmes de loin la périlleuse opération, nous étions toutes inquiètes d’être acculées sur ce banc de sable, car le port à nos yeux n’était que cela. Le piège passé, à notre soulagement nous rembarquions et tout fut rechargé à bord. Notre périple put se poursuivre.
Pendant une grande partie de l’année, le courant de ce fleuve était assez paisible, étant rompu fréquemment par de nombreux méandres, ce qui en restreignait la force. Il traversait une région immense et presque plate, le navire ne pouvait le remonter qu’avec peine et lenteur, il ne pouvait jouir de l’avantage des marées, dont l’action y était si faible qu’il ne pouvait en tirer parti, et le concours des vents, si utiles à la navigation, ne pouvait produire de résultats efficaces attendu que le même vent pouvait y être favorable ou contraire dans la même heure, à cause du changement brusque et fréquent du cours de ce fleuve.
Pendant plusieurs milles au-dessus de son embouchure, le fleuve que nous devions remonter n’offrait que des rivages boueux, des joncs énormes et de monstrueux crocodiles se délectant dans la vase. Ce fut la première fois que je vis ces animaux monstrueux que nous avaient décrits des marins pendant le voyage. Mes comparses et moi-même étions alors restées septiques. Nous avions supposé qu’ils voulaient nous effrayer pour démontrer quelques bravoures. Toujours était-il que cela ajouta encore à la tristesse du paysage, tout comme la grande quantité de bois flottant, qui se dirigeaient vers les différentes embouchures du fleuve. Des arbres d’une énorme longueur, conservant quelquefois leurs branches, et plus souvent leurs racines entières, victimes des fréquents orages, flottaient avec le courant. Parfois, ils s’accrochaient les uns aux autres, et réunissaient au milieu de leurs branches tout ce qui se trouvait sur leur passage. Cette masse ressemblait à une île flottante dont les racines narguaient les cieux, tandis que les branches humiliées fustigeaient les ondes dans leur vain courroux. Lorsque ces masses s’approchaient du vaisseau, nous n’avions qu’une peur, ce fut qu’elles percutent la coque de notre navire.
Cette navigation nous parut bien longue et bien traînante, nous mîmes plus de dix jours, à remonter de la Balise, poste établi à l’embouchure du fleuve, jusqu’au-devant de La Nouvelle-Orléans, lieu de notre destination, un trajet de trente-cinq lieues, au plus.
Pendant les quinze à vingt premières lieues ne s’offrirent à mes yeux sur les deux rives que monotonie et tristesse. Il faut dire que je n’avais pas le cœur à contempler le décor grandiose qui nous entourait. Un peu de mauvaise foi voilait mon regard. L’anxiété de l’arrivée et tout l’inconnu qu’il en résultait plongeaient mon âme dans un profond tourment et tout ce que je voyais n’y mettait pas de baume. Je regardais sans vraiment voir, les plages basses et marécageuses, qui en beaucoup d’endroits, étaient noyées par le fleuve, inhabité et inhabitable, et où n’existaient qu’une végétation informe et sauvage de joncs humides ou d’arbres dont les troncs croupissaient dans la bourbe, et couverte, en outre, de reptiles divers, et d’insectes désolants. Nous fûmes rapidement, entourées par des ennemis que nous apprîmes à connaître ainsi qu’à nous en protéger, les maringouins, et ces mouches cruelles auxquelles on a donné, sur les lieux, le nom bien significatif de « Frappe d’abord » voilà ce qui se présentait au coup d’œil, dans ce vaste espace. Toutes autant que nous étions, nous n’avions pas le cœur bien vaillant, et les prières de sœur Élizabeth avaient bien du mal à alléger nos idées sombres.
C’était à environ quinze lieues de La Nouvelle-Orléans que commençaient les établissements de la Colonie, qui étaient d’abord bien peu de chose, et ne présentaient qu’une langue de terre cultivable entre le fleuve et des marécages. Au-delà du coude que forme le fleuve, appelé le Détour des Anglais, un petit nombre de plantations, de simple bungalows entourés de champs cultivés sur lesquels on apercevait quelques hommes noirs courbés sur leurs labeurs, se succédaient les unes après les autres, le long des rives du fleuve. D’où j’étais, je pouvais distinguer aisément l’ensemble et cela sans me fatiguer la vue. Enfin après dix journées de navigation, le bâtiment qui nous portait, avançant lentement, tantôt à la voile, tantôt à la toue, arriva devant là Nouvelle-Orléans.
Après avoir navigué un peu plus de deux mois, nous avions donc abordé enfin au rivage désiré. Jusque là, le pays ne nous avait offert rien d’agréable à la première vue. Cela n’avait été que campagnes stériles et inhabitées, où l’on voyait à peine quelques roseaux et quelques arbres dépouillés par le vent. Mais quel ne fut pas notre désappointement, quand en plus, alors que nous étions arrivées, nous ne vîmes nulle trace d’hommes ni d’animaux ? L’inquiétude nous submergea, tout cela pour ceci ? Le capitaine fit tirer quelques pièces de notre artillerie, et à notre grand soulagement nous ne fûmes pas longtemps sans apercevoir une troupe de citoyens de La Nouvelle-Orléans, qui s’approcha de nous avec de vives marques de joie. Nous n’avions pas découvert la ville, car elle était cachée, de ce côté-là, par une petite colline. En fait, le rivage était défendu des invasions de la rivière par un chemin élevé sur une digue que l’on appelle ici Levée et sans le secours duquel les habitations disparaîtraient promptement. La rivière devant être évidemment plus haute que ne le serait le rivage sans ce travail.
Nous découvrîmes alors l’anse demi-circulaire que le fleuve formait, devant cette ville, une forme de croissant, qui lui tenait lieu de port, le long duquel venaient mouiller les bâtiments, l’un à côté de l’autre, et si près du rivage, qu’au moyen de deux fortes traverses planchéiées en forme de pont, on communiquait, sans gêne et de plain-pied, de la terre à chaque bâtiment, et le décharger de même avec la plus grande facilité.
Lorsque nous arrivâmes, les pluies constantes que nous subissions depuis la veille donnaient à cet accident du terrain, la digue, une apparence plus frappante, et prêtaient aussi à une scène toute naturelle l’aspect le plus contre nature qu’il soit possible d’imaginer.
Il est difficile d’imaginer qu’un pareil paysage manquant totalement de beauté à nos yeux fatigués put nous paraître si agréable à atteindre, mais la forme et la nuance des arbres, des plantes si nouvelles pour nous, et la privation où nous étions depuis si longtemps de tous les objets et de tous les sons qui venaient de la terre contribuaient à nous faire paraître magnifique ce sol marécageux. Nous étions impatients de toucher aussi bien que de voir la terre, car la navigation depuis la Balise jusqu’à La Nouvelle-Orléans avait été difficile et fatigante, et les dix journées que nous y avions employées nous avaient paru plus longues qu’aucune de celles que nous avions passées à bord, aussi tout cela en avait accentué ce soulagement.
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À peine descendus du navire, nous fûmes reçus à notre grande surprise comme des gens venus du Ciel. Coupé de toutes nouvelles, ces pauvres habitants s’empressèrent pour nous faire mille questions sur l’état de la France et sur les différentes provinces où ils étaient nés. Nous étions tétanisées, sœur Élizabeth et les deux ursulines essayant de faire barrage. Ils nous embrassaient comme leurs frères et comme de chers compagnons qui venaient partager leur misère et leur solitude. On nous conduisit de suite chez le gouverneur. Les rues, point pavées, étaient bien alignées et assez larges, bordées d’un petit trottoir large, de quatre à cinq pieds, surélevé et couvert d’une traverse en bois de cyprès, comme il avait abondamment plu c’était un vrai cloaque, une abomination. Nous fûmes surpris de découvrir, en avançant, que, ce qu’on nous avait vanté jusqu’alors comme une bonne ville, n’était qu’un assemblage de quelques pauvres cabanes. La plus grande partie des maisons étaient construites en bois, à rez-de-chaussée, surélevés sur des espèces de pilotis et des fondements en briques, et couverts en bardeaux. Elles s’avérèrent habitées par cinq ou six cents personnes.
Le bâtiment où résidait le gouverneur général, était une simple maison, à un étage, situé face au fleuve, dont une des parties latérales était bordée d’un jardin en forme de parterre, et la partie opposée donnant sur une rue, était agrémentée par une galerie basse et fermée en claire-voie, et le reste par des cours palissadées où sont les cuisines et les écuries le tout offrant plutôt l’aspect d’une hôtellerie que le coup d’œil imposant d’un gouvernement.
Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville, le gouverneur, se présenta à nous depuis le haut de sa galerie puis demanda à Sœur Élizabeth, aux deux ursulines et au capitaine du navire d’entrer dans sa demeure. Face au fleuve, sur le pas de sa porte, nous restâmes à attendre, futurs colons, ribaudes, et nous mêmes, encadrés d’hommes armés et de la population qui n’en avait pas fini avec nous. Nous étions un tant soit peu surpris de l’accueil, mais ici tout était nouveau et nous étions épuisés. Le gouverneur s’entretint longtemps en secret avec le capitaine, ainsi qu’avec les sœurs qui nous chaperonnaient. Je ne sus que bien plus tard ce qui se passa pendant lors de cet entretien. Le gouverneur était en colère, on ne lui avait amené que la lie, la fange de la France, ce n’était pas cela qu’il espérait.
Revenant ensuite à nous, il nous considéra, l’une après l’autre. Ce fut à cet instant en regardant le manège que je me rendis compte à quoi nous ressemblions après ce voyage. Nous avions bien essayé de nous maintenir dans un état respectable, mais à vrai dire, à ce moment-là, nous étions très près de ressembler à des souillons. Nos vêtements lavés avec l’eau de mer étaient raidis par le sel. Nous étions brûlées par le soleil. Nos cheveux asséchés ressemblaient à de la paille. Nous avions de tristes mines. Cela ne sembla pas troubler outre mesure le dirigeant de la colonie. Nous n’étions plus qu’au nombre de vingt-neuf, la maladie avait emporté six d’entre nous. J’englobe celui des ribaudes avec le nôtre, puisque de toute façon nous étions toutes en quelque sorte des filles à la cassette. Certaines, ainsi que leur descendant, le diront par la suite haut et fort, ce n’est pas moi qui les désapprouverais. Le Gouverneur nous ayant longtemps examinées, il nous envoya au couvent des ursulines afin de retrouver une santé avant que d’être présenté.
Nous fûmes accueillies à bras ouverts par les dames Ursuline, elles s’occupèrent de nous sans distinction, et de nobles dames de la colonie vinrent nous aider à nous mettre en valeur. Je sus plus tard que certaines venaient faire leur marché, et parmi les filles pour leurs fils, et parmi nos garde-robes pour elles-mêmes. Sœur Élizabeth, bien qu’officière de l’hôpital général de la Salpêtrière de Paris, avait envisagé cet intérêt et à notre grande surprise nous avions vu apparaître trois grosses malles pleines à ras bord de tout ce qui constitue une toilette de qualité.
Elle vendit la totalité du contenu. Je cédais moi-même deux des miennes, j’étais la plus fournie en toilette, ce détail joua en ma faveur accréditant une respectabilité. Ce qui fut mon meilleur atout fut mon petit savoir en lecture et en écriture qui entérina la qualité de ma candidature.
Pendant ce séjour au couvent, nous fûmes nourries et récurées, car il n’y a pas d’autre mot après un voyage tel que celui-ci entre la crasse et le sel. Nous retrouvâmes rapidement une meilleure mine. Nous nous mîmes à faire des pronostiques sur nos futurs prétendants. Toutes avaient décidé que j’aurais le meilleur d’entre eux, en toute modestie je ne voyais pas pourquoi. Sœur Élizabeth, qui s’était prise d’affection pour moi, ramenait toute foi, tout le monde à la tempérance. De toute façon quel était un bon parti dans un endroit pareil ?
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Le gouverneur avait fait appeler divers jeunes gens de la ville et des alentours qui languissaient dans l’attente d’une épouse respectable. Les notables de la ville luttaient contre une propension de la gent masculine à prendre des concubines parmi les indigènes et les négresses qui peuplaient la colonie. Nous fûmes présentés les uns aux autres lors d’une soirée organisée à cet effet. Les filles cherchaient des hommes qui avaient une maison ou une terre. Les colons, de leur côté, essayaient de choisir les femmes, les mieux portantes, pour le travail de la ferme. Le gouverneur nous donna une semaine pour nous décider.
Mon sort fut toutefois un peu différent, ma joliesse et mon éducation alliée à un nom, bien que préfabriqué par les circonstances, amenèrent à moi trois des meilleurs partis de la colonie. Bien que je ne le sus pas alors, le gouverneur me fit jouer aux dés, et le gagnant réclama ma main. Ce qu’il ne savait pas plus que moi, c’est que j’allais épouser les trois, chacun à leur tour. J’acceptai donc monsieur de Lamarque qui avait l’avantage d’avoir une plantation aux abords de la ville, de ne pas être vieux voire d’avoir du charme. Il y eut ensuite l’étape du notaire, puis celle du mariage à l’église. Le curé nous maria toutes ensemble à l’église Saint-Louis sur la place d’armes face au fleuve. Nous nous quittâmes sur les marches de l’église, la plupart restaient à la ville en tant que femmes d’artisan quant aux autres, tout comme moi, elles partaient sur les terres de leur époux.
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Cinquante ans déjà… Depuis ma chaise à bascule, sous la véranda de ma plantation, tout cela me semble bien loin et me fait bien sourire