Chapitre IV : de 1785 à 1786
4 Février 1785
Le capitaine du navire « El Volante » hâtait de son mieux son arrivée à Cuba, car il n’était qu’à quinze lieues de la Jamaïque. Il évitait tant que puisse se faire les navires anglais et les conflits qui pourraient en découler, ses passagers étaient puissants et d’importance pour le gouvernement espagnol. Son vaisseau transportait le nouveau gouverneur et capitaine général de Cuba Bernardo Gálvez ainsi que sa famille.
Marie-Félicité, appuyée sur le bras de son mari, tout en l’écoutant, regardait l’île se rapprochait. Il lui montra plusieurs petits bâtiments qui rôdaient sur les côtes de Cuba qui parurent plutôt vouloir s’éloigner d’eux que de les approcher. « C’est certain, ils font de la contrebande. Il faut dire que la longueur considérable de cette île si peu habitée facilite ce genre de commerce. Vous savez Felicidad, les Anglais sortent le soir de la Jamaïque et s’approchent des côtes de Cuba, qui leur sont familières pendant la nuit, et souvent même en plein jour dans les lieux les moins fréquentés. Nous dépensons énormément en soldats, en commis, en inspecteur pour surveiller la contrebande, mais cela n’y fait rien et pourtant nous punissons plus qu’aucune autre nation. Ceux qui sont pris sont condamnés aux mines, malgré cela ils n’hésitent pas à poursuivre leur commerce illicite. »
L’île de Cuba courait dans sa longueur d’est en ouest, sur une largeur très étroite et si étranglée, qu’en plusieurs endroits elle n’avait pas plus d’une douzaine de lieues. Sa plus grande largeur était au cap de la Veracruz, dont le vaisseau s’approcha d’assez près pour que ses passagers puissent reconnaître ses coteaux et ses montagnes lointaines. Marie-Félicité avec ses sœurs, Maria-Victoria et Antoinette-Marie, jouissait de l’aimable verdure qui couronnait les bords de cette belle île pendant que son époux et ses beaux-frères s’étendaient sur les possibilités économiques de la colonie. Les parfums suaves de ses fleurs s’exhalaient jusqu’à eux, mais aucune trace d’habitations n’animait ce tableau. Quand le navire dépassa le cap de la Veracruz, que la terre disparut de leur vue, la mer forma à la pointe du cap un profond enfoncement anguleux semé de rochers noirs à fleurs d’eaux et si serré, qu’on ne pouvait y voguer qu’en chaloupe. Le capitaine fit remarquer, bien qu’il ne sût pourquoi, que cet amas lugubre de rochers se nommait jardins de la reine. Ils retrouvèrent la vue de la terre de Cuba que vers le cap Corrientes, et elle se montra à eux également pavée de forêts touffues et aussi peu habitée. Ils finirent par dépasser le cap Saint Antoine, qui s’avançait en bec du côté de l’isthme rocheux du Yucatan. C’était dans cette partie au nord en face de la Floride orientale qu’était située la ville de La Havane, capitale de l’île, lieu de leur destination.
Cette ville, peuplée de plus d’environ quarante mille âmes, était l’entrepôt des relations de l’Espagne avec le Mexique, et le centre de ses forces de terre et de mer. La réussite de La Havane, le plus grand port de la région, et le plus grand ensemble de chantiers navals du Nouveau Monde, reposait sur sa très remarquable baie et sur l’escale obligatoire qu’il fallait y faire sur la route maritime passant par la mer des caraïbes et le golfe du Mexique. Cela avait rendu nécessaire sa protection militaire tant sa situation était convoitée par les autres nations. Son commerce était considérable, il avait pour objet non seulement de fournir aux besoins de la ville et de l’intérieur de l’ile, mais encore à celle du Mexique, et d’en exporter ses riches métaux. La Havane approvisionnait en même temps les deux Florides et la Louisiane en denrées coloniales et de quelques-unes venues d’Europe.
Marie-Félicité appréciait la ville dans laquelle elle avait déjà séjourné avant de faire le voyage pour Madrid et qui avait la magnificence de Séville. Elle aimait ses nombreuses places telles la Plaza Vieja, la Plaza de San Francisco, la Plaza del Cristo ou la Plaza de la Catedral, toutes entourées de nombreux bâtiments exceptionnels comme la Iglesia Catedral de La Habana, l’Antiguo Convento de San Francisco de Asís et le Palacio del Segundo Cabo . Elle appréciait ses maisons privées avec leurs arcades, leurs grilles en fer forgé et leurs cours intérieures. Elle avait aperçu ses rues étroites pleines d’une foule bigarrée où sa berline avait du mal à passer pour aller jusqu’à sa demeure, le Palacio de los Capitanes Generales, sur la Plaza de Armas.
À peine arrivées, Marie-Félicité et ses sœurs s’installèrent et se mirent à leurs aises au sein de l’immense bâtiment carré à parois épaisses de style baroque. Les appartements occupés par Marie-Félicité et sa famille donnaient d’un côté, sur la face avant du bâtiment dont les arcades étaient soutenues par des colonnes et un pavé de porcelaine Pelona qui portait les petits balcons de l’étage s’étendant devant les portes-fenêtres, et de l’autre sur une cour verdoyante, ouverte, surplombée par une galerie sur les quatre côtés au centre du bâtiment.
En tant qu’épouse du nouveau gouverneur et capitaine général de Cuba, Marie-Félicité reprit ses fonctions et activités mondaines, ouvrant sa table, organisant des soirées et des bals ou s’occupant avec humilité des nécessiteux. Elle n’eut pas le temps de profiter de son nouveau confort que de Madrid arriva une mauvaise nouvelle qui remettait en cause les fonctions de Bernardo. Son père Matías de Gálvez y Gallardo, alors vice-roi de Nouvelle-Espagne, était décédé, et cela depuis le 3 novembre 1784 à Mexico. Pour le récompenser de son administration du Guatemala, le roi Charles III l’avait nommé, deux ans plus tôt, vice-roi de Nouvelle-Espagne malgré son âge et son état de santé précaire. Par la même lettre qui amenait la triste nouvelle, Bernardo apprenait qu’il se devait de succéder à son père comme vice-roi de la Nouvelle-Espagne et qu’il devait donc déménager avec sa famille à Mexico.
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Le 16 mai 1785
Marie-Félicité rajusta son chapeau de paille afin que les rayons du soleil ne touchent pas la peau de son visage. Assise sur le banc accolé contre le bastingage du pont supérieur, elle écoutait sa fille aînée Faustina lui lire une histoire. Devant elle, la gouvernante de ses filles, doña Despointes, surveillait sa benjamine, Matilda, qui jouait avec son petit dernier, Miguel. La vigie avait annoncé la terre. D’ici la fin d’après-midi, ils seraient arrivés à Veracruz. À cette idée, elle songea à la déception qu’elle avait eue quand elle avait appris qu’au lieu de rentrer à La Nouvelle-Orléans ils partaient pour Mexico. Il avait fallu encore organiser son voyage, faire préparer les malles de toute la famille et choisir tous les objets et meubles qu’elle comptait emporter. Elle avait partagé sa déconvenue avec ses sœurs, qui tout comme elle, fatalistes, avaient tout organisé pour cet ultime voyage, du moins le pensaient-elles. Elle savait bien que Bernardo, s’il était fier de ce nouveau poste, n’en était pas moins triste, d’autant qu’il lui était dû suite au décès de son père. De son côté, elle avait espéré revoir sa famille et ses amis, elle n’avait jamais songé que sa destinée la mènerait aussi loin de sa maison, qu’elle traverserait par deux fois les océans. Elle rendait grâce à Dieu de n’avoir été que peu malmenée par des tempêtes et que tous les siens fussent sortis sains et saufs de ces voyages maritimes. Évidemment, elle ne pouvait décemment se plaindre, elle qui était la fille d’un négociant, elle allait devenir vice-reine du Mexique. Toutefois, elle avait la nostalgie de son pays et aurait tant aimé élever ses enfants en son sein. Elle avouait de bon cœur qu’il n’était pas courant d’avoir épousé par deux fois un homme qui l’aimait et qui la choyait. Malgré tout ce bonheur, en cet instant, son cœur était triste du chemin que prenait sa vie, même si celle-ci s’apprêtait à être glorieuse. Un pressentiment indéfinissable la taraudait. Faustina fit remarquer à sa mère qu’elle ne l’écoutait plus. Marie-Félicité se ressaisit, s’excusa auprès d’elle et reporta à nouveau son attention vers elle.
Le vaisseau passa devant l’île du fort San Juan de Ulua duquel ils furent salués par une canonnade. Faustina et Matilda étaient appuyées sur le bastingage, Bernardo leur expliquait ce qu’elles voyaient. Perrine surveillait de près Miguel qui lui aussi voulait voir. Marie-Félicité, abritée par son ombrelle, de son côté, sans mot dire examinait son nouveau pays, elle avait laissé Amanda et doña Despointes aidées de Paloma fermer les malles. Jésus lui s’occupait personnellement de celles de son maître. Tout se mettait en place pour débarquer. Maria Victoria et Antoinette-Marie rejoignirent leur sœur sur le pont troublant ainsi ses réflexions. À l’approche du port, ils découvrirent une foule enthousiaste venue acclamer leur nouveau vice-roi, son héroïsme en Louisiane était venu jusqu’à eux, ils en étaient très fiers.
Le navire amarré, Bernardo prit le bras de son épouse et suivit sa garde sur le port qui leur fit une haie d’honneur. Les attendaient sur le quai, tout ce qui comptait à Veracruz et cela n’était pas rien. Bernardo en était conscient. Le port était devenu le plus important Nouvelle-Espagne, le commerce atlantique avait créé une grande et riche classe marchande, qui était même plus prospère que celle de Mexico et le nouveau vice-roi, tout comme son père, avait bien l’intention de s’appuyer sur celle-ci pour gouverner au mieux. Il avait déjà expliqué cela à Marie-Félicité qui mettait toute sa séduction pour charmer les notables qui les accueillaient.
La famille Gálvez fut momentanément logée au Palacio de la ville avant que de poursuivre vers Mexico. Ils furent invités à deux soupers en leurs honneurs suivis d’un bal. Bernardo et Marie-Félicité furent encensés par les notables. Ils restèrent huit jours sur place, le temps de se remettre des affres du voyage et de préparer leur expédition jusqu’à la capitale mexicaine. Ils allaient devoir traverser une forêt tropicale avec une faune inquiétante et peut-être croiser des brigands qui en voudraient à leurs biens, certains n’avaient pas froid aux yeux, plus d’un convoi d’or ou de pierres précieuses n’arrivait pas à destination. Malgré l’inquiétude latente de Marie-Félicité, les huit berlines et la troupe, qui les accompagnaient, mirent dix jours à faire le trajet par voie de terre jusqu’à la capitale en passant par Cordoba et Puebla, où ils s’arrêtèrent pour se rafraichir et profiter de la fête que leur faisaient à chaque fois les villageois. Ils n’eurent à subir que les affres de la chaleur et une poussée de fièvre sans conséquence de Miguel.
Début juin 1785
Ils étaient enfin arrivés à Mexico. De la fenêtre de la berline, Marie-Félicité regardait s’approcher la capitale de la Nouvelle-Espagne, la ville la plus peuplée du continent américain. Située sur le bord d’un lac, au premier abord, elle trouva le lieu charmant. La ville bâtie de maisons sur pilotis était édifiée sur un terrain marécageux, traversé par un grand nombre de canaux. À sa création, tous les bâtiments aztèques avaient été détruits sauf les palais de l’empereur Moctezuma, dont Cortés avait fait sa résidence. Le plan de la nouvelle ville avait été dessiné par le géomètre Alonso García Bravo qui avait adopté un plan en damier. Ils entrèrent dans la ville où, dans les larges rues tirées au cordeau et coupées à angles droits, une foule curieuse, mélange d’Espagnols, d’Indiens et de noirs, s’était agglutinée. Bernardo expliqua qu’au lendemain de la conquête, les Espagnols avaient opté pour une séparation avec les Indiens dont ils craignaient une révolte aussi par prudence, le quartier espagnol était séparé des quartiers indigènes par un canal, dont les ponts pouvaient être relevés. Marie-Félicité n’était pas bien sûr que cela la rassurait.
« – Maman, regardez le palais ! » À sa vue, Marie-Félicité eut un frisson, une sourde angoisse irraisonnée la tenaillait. Sur la place principale de Mexico, la place d’armes, Bernardo et sa famille découvrirent le palais du vice-roi construit avec les pierres des ruines de la puissante capitale aztèque. Tous le trouvèrent très impressionnant avec sa façade grandiose, bordée au nord et au sud par deux tours imposantes et comprenant trois portes principales, chacune menant à une partie du bâtiment. La porte centrale ouvrait sur le patio principal. Ils en franchirent l’entrée et pénétrèrent dans la cour principale agrémentée d’une fontaine représentant Pégase et entourée d’arcades baroques à trois niveaux et des colonnes Renaissance. Descendus de leurs voitures, ils furent accueillis par les membres de La Real Audiencia y Chancillería, constituée des alcades et de leurs alguazils. En plus des membres du gouvernement, il y avait des hidalgos et de riches créoles. Après un bref discours de Vicente Herrera, qui avait remplacé à sa mort don Gálvez, le père de Bernardo, ils remontèrent dans leurs voitures et allèrent jusqu’à la porte sud qui ouvrait sur le patio d’honneur et sur l’arrière vers le jardin du vice-roi. Ils empruntèrent ensuite les escaliers menant au deuxième étage de la cour où Marie-Félicité et ses sœurs découvrirent leurs appartements. En dessous, la mezzanine servait aux fonctions de secrétariat et aux archives de la vice-royauté, la partie inférieure étant pour les serviteurs et les soldats.
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De sa fenêtre qui donnait sur le marché, Marie-Félicité pouvait voir sur sa gauche la acequia real, le canal menant à la lagune de Texcoco, et sur sa droite la cathédrale. La Plaza Mayor était le principal marché d’approvisionnement de la ville. La place était comble, elle grouillait d’activités et de vendeurs ambulants. Marie-Félicité avait du mal à voir autre chose que la saleté, la fumée, le vacarme et la promiscuité miséreuse qui régnaient sur la place. Amanda lui avait expliqué que le marché couvert nommé le Parían par les autochtones permettait de trouver des produits fins, vins et liqueurs espagnols, tabac, foulards, orfèvrerie, porcelaine chinoise, etc. Les boutiques étaient tenues par des Espagnols et les produits étaient coûteux. Le marché Baratillo qui s’étendait de ce dernier aux pieds du palais vendait des produits frais provenant de la vallée de Mexico : fruits, légumes, poissons. On y trouvait également des vêtements de seconde main, des produits de contrebande, des armes ou des objets de recel. Ce marché était fréquenté par les moins riches. Tout cela n’avait pas convaincu Marie-Félicité, pas plus que ses sœurs, d’aller y voir de plus près. Elles avaient par contre pris le temps de visiter en voiture les rues du voisinage, la belle rue de la Plateria, ou rue des Orfèvres. Elles avaient été ébahies en apprenant par le capitan qui les accompagnait qu’en moins d’une heure on pouvait y voir la valeur de plusieurs millions, en or, en argent, en perles et en pierres précieuses. La rue de Saint-Augustin, tout aussi fort riche, était la rue des Marchands de soie. Elles avaient parcouru la rue Tabuca, une des plus longues et des plus larges rues de la ville, où presque toutes les boutiques proposaient des ouvrages de fer, d’acier & de cuivre. Elles avaient été invitées dans les magnifiques maisons de la rue de l’Aigle qui tenait son nom d’un Aigle de pierre, d’une grosseur surprenante qui était au coin de la rue où les familles les plus riches habitaient, la plupart des gentilshommes, des courtisans et des officiers de la Chancellerie. Mais avant tout cela, elle avait accompagné Bernardo à l’église du Collège Apostolique de San Fernando sur la tombe de son père.
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Le statut de vice-roi de Nouvelle-Espagne n’était pas des plus simples et catalysait beaucoup d’ennemis dans l’ombre. La région se situait au carrefour de multiples routes commerciales, c’était le point de jonction entre les flux commerciaux atlantiques et pacifiques. Depuis les Philippines, venaient des produits de luxe, tissus, porcelaine, épices, laque puis étaient acheminés depuis Acapulco via Mexico jusqu’au port de Veracruz, port d’entrée des produits européens, que partaient les navires chargés d’argent jusqu’à Cadix et Séville, via La Havane, où les lingots étaient enregistrés et estampillés. Mexico était également un carrefour où se croisaient les routes commerciales terrestres. L’axe nord-sud était composé d’un ensemble de routes où les marchandises circulaient à dos de mulet. Extrait des mines septentrionales, l’argent arrivait dans la ville de Mexico avant d’être réexporté vers l’Espagne. L’axe est-ouest était un véritable pont continental permettant aux marchandises asiatiques non seulement d’alimenter les foires régionales d’Acapulco, de Mexico, de Puebla, de Jalapa et de Veracruz, mais également les marchés européens.
Bernardo, toujours aussi entreprenant, avait pris sa tâche à bras le corps, il ne savait pas faire autrement. Il tenait à poursuivre l’œuvre de son père et apporter sa vision. Sous le regard inquiet de Marie-Félicité, il s’activait dès l’aube jusqu’à tard dans la nuit donnant le meilleur de lui-même pour être digne de son nouveau poste et de ses objectifs. Elle lui conseilla en vain d’aller plus doucement, de prendre son temps, mais il argua qu’il y avait beaucoup à faire et ses actions le prouvèrent. Il commença par l’installation de l’éclairage public dans la ville. Il poursuivit la construction de la route vers Acapulco, et prit des mesures pour réduire les abus commis sur les Indiens dans le cadre de ces travaux, ce qui lui généra des ennemis. Qu’avait-on à se soucier du sort des indigènes ? Il se mit à dos Vicente Herrera, frustré de ne pas avoir gardé le poste de vice-roi, et avec lui une partie des alcades qui estimaient qu’il outrepassait ses prérogatives.
Il n’eut pas le temps de s’attarder à ce qui ressemblait à l’émergence d’une cabale, qu’une calamité désola la ville et la région de Mexico. En pleine saison des pluies, au milieu du mois d’aout, la température chuta à tel point que le gel s’étendit sur la région détruisant les récoltes et causant la famine. Marie-Félicité qui s’occupait des indigents. Elle avait toujours estimé, qu’en tant que privilégiée et de par son statut de vice-reine, cela faisait partie de ses charges, demanda de l’aide à son époux. Il fit prélever un pourcentage sur le revenu des loteries et autres jeux de hasard pour pourvoir aux besoins des plus pauvres, ce qui accentua la défiance des propriétaires qui voyaient là une intrusion dans leur négoce. Montrant l’exemple, Bernardo mit lui-même la main à sa bourse. Il donna douze mille pesos de son propre héritage et trouva cent mille pesos auprès d’autres donateurs pour acheter du maïs et des haricots pour la population. Il prit également des mesures en vue d’accroître la production agricole. Comme il ne voulait pas en rester là, il encouragea les sciences en finançant l’expédition de Martín de Sessé et Vicente Cervantes qui envoyèrent en Espagne un très riche catalogue des diverses espèces de plantes, oiseaux et poissons de la Nouvelle-Espagne.
Bernardo était franc, galant, aimable et simple. Il se déplaçait en ville dans un attelage ouvert tiré par deux chevaux, assistait aux corridas, pèlerinages et fêtes où il était accueilli généralement par des applaudissements. Cependant, l’Audiencia se méfiait de son vice-roi. Ses alcades et leurs cercles craignaient que sa popularité ne lui permît de suivre l’exemple américain et qu’il ne déclarât l’indépendance de la Nouvelle-Espagne. Ce doute avait été immiscé par un groupe de nantis que Bernardo et ses velléités à aider l’ensemble de la population gênaient. L’Audiencia insinua ses soupçons à Madrid et la Couronne mit en garde Bernardo. Il en avait vu d’autres, mais autant de défiance le rendit mélancolique. Il contournait cette conjuration larvée en s’appuyant sur les riches négociants et en lançant de grands projets. Pour cela, il utilisa une partie de sa fortune personnelle pour achever l’édification des tours de la Cathédrale et poursuivit la construction du Château de Chapultepec, entamée par son père, sur la colline de Chapulín qui tenait son nom des cigales qui l’habitaient. Il voulait faire de ce palais, édifié au sommet de la colline située en périphérie de la ville de Mexico, une résidence estivale. Bernardo donna la gestion du projet au capitaine Manuel Agustín Mascaró, en qui il avait toute confiance, son prédécesseur étant parti pour La Havane. Quelle ne fut pas sa surprise quand il apprit par Marie-Félicité, qui le tenait de Maria-Victoria, qu’on l’accusait de construire une forteresse avec l’intention de se rebeller contre la couronne espagnole, à partir de là ! Il ne changea en rien ses projets, d’autant qu’une épidémie de peste se déclencha provoquée par la famine difficile à juguler malgré tous ses efforts. Il fit installer sa famille dans le début de la construction afin de les isoler de la terrible maladie. Celle-ci fit des ravages malgré tout ce qui fut entrepris pour l’endiguer.
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Pâques 1786
Les piliers de l’intérieur de l’Église étaient tapissés d’un superbe velours cramoisi, bordé d’une large frange d’or et détenait une lampe dont le corps d’argent était d’une si grande forme, qu’il devait y entrer trois hommes pour la nettoyer. Marie-Félicité était éblouie par cette lampe enrichie de figures, de têtes de lion, et de différents ornements d’or pur. Elle fit comme tous. Elle s’agenouilla et se mit à prier devant la balustrade d’argent massif qui entourait le maître-autel. Elle remercia Dieu d’avoir épargné sa famille de la terrible calamité qu’avait été la peste et qui avait disséminé une partie de la population. Insidieusement, ses pensées allèrent à son époux qu’elle trouvait de plus en plus fatigué. Elle remercia tout d’abord Dieu et pria pour qu’il gardât son époux en pleine santé, car elle le savait fragile. Tout en écoutant les litanies hypnotiques de prêtres, ses pensées l’amenèrent à la prédiction de Rosalba. Elle n’y avait pas pensé depuis un certain temps, Bernardo n’avait pas eu de malaise depuis Madrid ou si peu que les tisanes préconisées avaient été salvatrices. Puis tout à coup, telle une fulgurance mystique, elle en fut certaine, elle se sut enceinte. « – Vous aurez encore le temps d’avoir deux enfants avant qu’il ne vous quitte. » Lui avait prédit la sorcière de La Nouvelle-Orléans et voilà qu’elle attendait ce deuxième enfant. De cela, elle était certaine. Elle se mit à prier avec encore plus de ferveur pour son mari et sa famille. Les larmes coulaient sur ses joues, ceux qui le virent furent émus devant tant d’émotion.
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Aout 1786.
Les jours passaient, pour Bernardo, en combat larvé avec les alcades de l’Audiencia et leurs accointances, et pour Marie-Félicité en inquiétude sourde. Elle luttait contre elle-même. Sa grossesse, bien qu’encore peu visible et toujours pas officialisée, jouait sur son humeur de façon excessive. Elle tenait toujours son rôle de femme du monde sans faillir, animant avec grâce soupers, bals, manifestations en tous genres. Entourée d’une cour composée des épouses et autres membres de la famille des hidalgos et des notables composant l’Audiencia, elle n’était jamais seule. Elle avait pour soutien ses deux sœurs qui ne la quittaient pour ainsi dire jamais et qui recevaient toutes ses confidences.
Marie-Félicité se préparait sans envie pour des combats de taureaux sur la place del Volador. Elle n’appréciait pas les corridas, elle ne voyait pas d’intérêt à regarder un animal se faire trucider sous les ovations énamourées de la foule pour le toréador. Elle reconnaissait le courage des toréadors, mais avait de la pitié pour les taureaux sacrifiés. Quoi qu’il en soit, elle se devait d’être aux côtés de son époux, la population adorait ses fêtes. Amanda ajustait délicatement sa robe à l’anglaise pour qu’elle ne la serrât point, mais la mette toutefois en valeur. Marie-Félicité ajustait le positionnement de son chapeau à larges bords et s’examinait machinalement dans la glace quand elle fut détournée de son introspection par l’entrée brutale d’Ignacio de Las Vegas, le secrétaire de Bernardo, qui lui avait toujours été fidèle et qui était visiblement bouleversé. « – Señora, Señora, vite ! Don Gálvez s’est trouvé mal ! » Elle prit ses jupes dans les mains, les soulevant, et se précipita dans le sillage du secrétaire qui avait fait demi-tour devant sa réaction. Ils traversèrent les appartements et entrèrent dans la chambre de Bernardo qu’avec Jésus ils avaient réussi à recoucher. À ses côtés se trouvait son valet qui à leur entrée se retourna les larmes aux yeux. « – Il est inconscient, señora ! »
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Un bruit persistant courait, on avait empoisonné le vice-roi. Il était tombé gravement malade et gardait le lit. Aucun remède ne le soulageait, il était de plus en plus exsangue. Marie-Félicité l’avait fait transporté dans un palacio à Tacubaya dont le climat était reconnu comme plus sain que le centre de Mexico. De plus, elle avait préféré l’éloigner des rumeurs de la cour de l’Audiencia. Bien que sa grossesse, désormais connue de tous, la fatiguait, elle ne quittait que très peu son chevet. Elle avait laissé ses enfants entre les mains de leurs servantes et de ses sœurs. Au sein de la cour du vice-roi, beaucoup s’apitoyaient sur le sort de la vice-reine, mais d’autres jubilaient à l’idée qu’ils allaient être débarrassés de don Gálvez. Tout ceci dura cinq mois, ils furent un martyr pour le couple. Marie-Félicité revivait ce qu’elle avait vécu avec Gilbert Antoine de Saint-Maxent, impuissante. Elle voyait petit à petit Bernardo perdre la vie. N’ayant plus d’illusions quant à son devenir, au début de mois de novembre, il fit venir à son chevet les alcades et leur remis ses fonctions gouvernementales, qu’il ne pouvait plus exécuter, à l’exception de la présidence de l’Audiencia. Dans les semaines qui suivirent, la douleur ne donna nul répit au malade, plus rien ne le soulageait même plus les tisanes de Rosalba. Les tourments de la maladie qui rongeaient Bernardo ravageaient l’âme de Marie-Félicité qui était impuissante à aider son époux. Cette dernière nuit, un moment de répit fut accordé à Bernardo, il remercia son épouse de tout ce qu’elle lui avait donné et lui demanda pardon dans un dernier souffle. Avant qu’elle ne comprenne ce qui se passe, l’âme de Bernardo avait quitté son corps. Quand elle le réalisa, elle défaillit laissant échapper un cri de bête blessée. Son entourage crut qu’elle allait perdre l’enfant, elle était proche du terme. Mais il n’en fut rien.
Le 28 novembre 1786, Bernardo Gálvez n’était plus.
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La mort du vice-roi fut consignée dans un acte enregistré devant l’Audience. La vacance du poste fut annoncée par cent tintements de cloches dans la cathédrale, auxquelles répondaient les autres cloches de la ville ; au même instant, on tira trois coups de canon puis un autre toutes les demi-heures. On répéta le tir dès le lendemain, dès quatre heures du matin, puis toutes les demi-heures, jusqu’à ce que le vice-roi défunt soit enterré. Son corps avait été embaumé et revêtu de son uniforme avec les insignes de son rang puis il avait été placé dans un beau cercueil au milieu d’une pièce transformée en chapelle ardente. Malgré son état Marie-Félicité tint à prier toute la nuit accompagnée de tous les familiers du vice-roi. Elle oscillait entre la colère et le chagrin. Au petit matin, le corps du vice-roi fut porté par huit évêques et conduit au monastère de Santo Domingo dans la salle De Profundis, dont les murs et le sol étaient recouverts de tissus noirs. Des autels érigés dans la salle permettaient aux membres du Cabildo, aux curés de la paroisse et aux communautés religieuses de célébrer des messes. Pendant ce temps, quatre pages ainsi que deux chapelains et des religieux des ordres de saint François, saint Dominique et saint Augustin, veillaient le mort. Marie-Félicité de son côté avait été alitée, la fatigue avait pris le dessus sur son chagrin. À ses côtés, ses filles s’étaient assoupies, terrassées elles aussi par le malheur.
L’enterrement eut lieu trois jours après. Un corps d’artillerie suivi par une compagnie de grenadiers ouvrit le cortège qui se refermait sur la milice urbaine et une compagnie de Dragons. Tous les villageois y assistaient ainsi que les ordres religieux, les congrégations, le curie ecclésiastique, le Cabildo de la ville, suivi du cortège des docteurs de l’université, de la haute noblesse, du tribunal des comptes et des membres de l’Audiencia. Tout le monde fut ému de voir Marie-Félicité soutenue par ses sœurs et précédée de ses enfants suivre le cercueil jusqu’au cimetière de San Fernando. Sa dignité était à la hauteur de l’estime que le peuple de Mexico avait pour elle.
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11 décembre 1786.
Douze jours seulement après la mort de Bernardo, Marie Félicité donna naissance à leur fille Guadalupe. Au baptême de l’enfant, dans un geste de respect, le gouvernement de la ville demanda de servir de parrains à l’enfant, ce que la mère accepta. Elle devinait qu’ils voulaient par ce geste faire taire la rumeur comme quoi Bernardo avait été empoisonné par ses ennemis avec l’approbation de la Cour ou tout au moins se faire pardonner de ce supposé crime. Elle savait qu’il était mort d’une longue maladie qui l’avait rongé intérieurement, mais elle les laissa faire.
Elle s’était très bien remise de l’accouchement, mais elle était plongée dans une grande affliction. Elle ne lâchait pas son nouveau-né, qu’elle gardait collé contre elle et qu’Amanda avait toutes les peines du monde à lui retirer pour le faire allaiter par sa nourrice. Marie-Félicité couvait son enfant, voulant se faire pardonner la mort du père. C’était irrationnel, mais elle ne pouvait se contrôler. Ses sœurs essayaient de la sortir de cet état léthargique, essayant de la ramener vers ses autres enfants qui avaient aussi besoin d’elle. Elle se morfondait, elle regrettait de ne pas avoir profité de son bonheur conjugal. Son entourage avait beau lui dire qu’elle avait obtenu bien plus d’affection de son époux que bien des femmes de sa caste, mais elle rejetait les arguments recherchant désespérément des souvenirs sur lesquels s’appuyer pour remonter la pente de la désespérance. Pour les fêtes de la nativité qui s’écoulèrent en prières pour le vice-roi disparu, Marie-Félicité ne se montra pas, elle ne voulait voir personne. Seules Amanda et ses sœurs pouvaient l’approcher. Deux mois s’écoulèrent sans qu’elle ne refît surface puis une lettre du roi arriva. À la demande de l’Audiencia, Ignacio de Las Vegas, qui s’était naturellement mis à son service, vint lui porter une lettre du roi exprimant son intention de maintenir Bernardo à son poste, et l’assurer de sa satisfaction pour sa conduite prudente et active comme vice-roi. Celle-ci était arrivée avant la mort de Bernardo. Elle ne comprit pas très bien pourquoi on la lui faisait connaître maintenant ; leur sentiment de culpabilité sûrement. Cette lettre était adjointe d’une invitation au sein de l’Audiencia au palais. Elle comprit que tous voulaient la voir réagir et c’est ce qu’elle fit. Elle fit ouvrir les rideaux de sa chambre et se fit habiller avec gout choisissant depuis bien longtemps la tenue qu’elle désirait porter. Une fois apprêtée, elle quitta le palacio de Tacubaya, ayant donné au préalable des ordres afin que sa famille retourne elle aussi dans leurs appartements au sein de la cour. Malgré le deuil, la vie de la famille Gálvez reprenait.
Elle fut reçue à l’Audiencia avec tous les honneurs. Le señor Jacobo de Villaurutia la fit asseoir au milieu des alcades et de leurs alguazils dans le grand salon d’apparat. C’était étrange, elle se serait crue au milieu d’une cour de justice. L’alcade Sánchez Pareja, bien que vieux et malade, avait été nommé comme vice-roi. Il déplia une lettre détenant le sceau royal. « – Señora, le roi vous fait savoir qu’il vous accorde une pension de cinquante mille réaux, six mille réaux à votre fille, Matilda de Gálvez, quatre mille à Doña Faustina Adélaïde Destrehan et six mille à votre dernière fille Guadalupe. Votre fils Miguel a été nommé « Comendador de Bolanos en la Orden de Calatrava. » Marie-Félicité fut surprise de tout cela, sachant que son fils Miguel quoiqu’il arrive était l’héritier d’une fortune considérable. Après un discours réitérant des remerciements à son époux pour tout ce qu’il avait fait pour la Nouvelle-Espagne et l’avoir congratulé pour ce qu’elle-même avait fait à ses côtés, don de Villaurutia l’a pris à part. « – Désormais, señora que désirez-vous faire ? » Voilà une question à laquelle elle ne s’attendait pas et qui la désarçonna. Elle jeta un regard énigmatique au vice-roi par intérim. Elle ne tenait pas à cacher quoi que ce soit, elle ne connaissait tout simplement pas la réponse. Elle réalisa toutefois que tous attendaient sa réponse, sa place n’était donc plus là. « – Señor, je ne sais encore, mais dès que je serai vous serez le premier à le savoir. » L’homme lui sourit avec paternalisme. « – Il n’y a pas d’urgence, señora. Vous êtes ici chez vous aussi longtemps que vous le désirez. »
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Mars 1787.
Marie-Félicité était revenue à Madrid. Le marquis de Sonora, oncle de Bernardo, lui avait écrit pour lui présenter ses condoléances, bien sûr, mais aussi pour l’inviter à revenir à Madrid. La lettre avait interrompu les tergiversations de ses pensées. Après avoir hésité entre un retour en Louisiane et entre un départ pour l’Espagne, elle avait tranché pour l’avenir de son fils. Elle était donc partie avec ses enfants, ses serviteurs Amanda, Jésus, Paloma, Perrine ainsi que doña Despointes, la gouvernante et Ignacio de Las Vegas qui était devenu son secrétaire personnel. Ses sœurs étaient restées à Mexico, leurs époux ayant des postes qu’ils ne pouvaient quitter. Juan Antonio Riaño y Barcena, l’époux de Maria Victoria, était devenu un Corregidor et Manuel de Flon, Comte de Cadena, l’époux de Antoinette-Marie, avait reçu le poste de gouverneur de la province de Poblana. Elle était donc rentrée seule. Après un court séjour à l’hôtel Sonora de la calle de Toledo, lors duquel le roi l’avait reçu en privé pour lui présenter ses condoléances, lui certifier son titre et ses droits en tant que vicomtesse de Galveston, comtesse de Gálvez, ancienne vice-reine de la Nouvelle-Espagne et épouse du gouverneur de la Louisiane et l’assurer de sa protection, elle s’était retirée dans leur maison de campagne au bord du Tage près d’Aranjuez.
Son arrivée à Madrid n’était pas passée inaperçue, tous connaissaient son malheur. Les premiers à se permettre une visite furent François Cabarrus et son épouse. Par eux, elle s’était informée des dernières nouvelles madrilènes, la santé du roi qui était chancelante, les humeurs du dauphin, des frasques de la dauphine, Marie Louise de Bourbon-Parme, du retour en grâce de Manuel de Godoy, de la fraîcheur des relations entre les comtes D’Aranda et Floridablanca. Cela fit chaud au cœur de Marie-Félicité.
Avec la saison d’été, comme chaque année, le roi aménageant au palais royal d’Aranjuez, toute la société madrilène immigra aux alentours. De ce fait, petit à petit, Marie-Félicité reçut des visites et le marquis et la marquise de Sonora vinrent s’installer dans leur demeure près de chez elle. Elle reprenait petit à petit gout à la vie, et se mit à suivre les conseils de Monsieur Cabarrus. Malgré son deuil, elle ne pouvait s’isoler de la société indéfiniment, elle avait des enfants dont elle devrait assurer leur avenir. Elle se devait de tenir son rang. Si elle ne pouvait participer aux grandes manifestations, diners, bals, soupers ou spectacles, elle acceptait les invitations faites dans l’intimité d’un cercle réduit. Elle était conviée par tout ce qui comptait dans l’entourage du roi. Elle comprit très rapidement, bien que veuve et âgée de trente-deux ans, elle était encore un parti intéressant. Elle en était flattée, consciente que sa fortune personnelle y était pour quelque chose, mais bien décidée à éviter tout remariage.
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17 juin 1787.
Marie-Félicité s’était installée sous la pergola donnant sur le vaste jardin de style français ponctué de statues de marbre blanc, de cascades et de fontaines où canards et carpes s’y reposaient et s’y nourrissaient. Essayant de se concentrer sur un livre qui lui avait été offert par Monsieur Cabarrus, elle écoutait distraitement Faustina jouer du piano sous l’œil attentif de son professeur pendant que Miguel et Matilda jouaient un peu plus loin sous un chêne sous l’attention complaisante de Paloma. Amanda sortit de la maison à petits pas précipités, cela intrigua Marie-Félicité, devinant que quelque chose n’allait pas. « – Madame, madame, un serviteur de don Sonora est là ! Don Sonora a eu un grave malaise, doña Sonora souhaiterait que vous la rejoigniez.
– Dis-lui que j’arrive et rejoins-moi dans ma chambre, il me faut me changer.
Quelques instants plus tard, Marie-Félicité se présentait chez don Sonora. De suite, elle comprit que c’était grave. Son intuition ne l’avait pas trompé. Les tristes mines du personnel venaient le confirmer. Le majordome la guida jusqu’à l’étage où doña Sonora était en larmes dans les bras de sa fille. Cette dernière, à son arrivée lui annonça la mort de don Sonora.
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L’enterrement de don Sonora eut lieu juste avant le départ pour San Ildefonso du roi, de la cour et de tout ce qui gravitait autour. Il fut enterré en grande pompe dans la ville même, à l’église San Antonio, la chapelle royale. Sous la belle coupole supportée par des arcades, le roi vint rendre hommage à son ministre et pour cela recula son départ pour son lieu de villégiature.
Quand tous furent partis, la famille Gálvez resta esseulée à Aranjuez, ce que Marie-Félicité apprécia. Elle avait besoin de calme et de temps, le décès de l’oncle de Bernardo avait ravivé la douleur de la perte de son époux. Ils restèrent en famille, s’occupant d’eux, soignant leur blessure. Quand l’automne vint, ils partirent pour Madrid.
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Sur la calle Del Almendró à quelques pas de la plaza Moros, bravant la tempête de neige, un carrosse arriva devant l’hôtel particulier de la comtesse de Galvez. À deux pas du palais, Marie-Félicité de Saint-Maxent, épouse du feu comte de Galvez, en appréciait son confort, pas très grand, mais assez spacieux. Elle s’y était installée avec ses quatre enfants à la mort de son époux. Elle avait eu le plaisir d’être accueillie à Madrid comme la vice-reine du Mexique, ce qui avait compensé ce choix fait pour ses enfants au détriment d’un retour dans sa Louisiane tellement aimée. Elle était reçue et appréciée à la cour de Madrid ce qui aida à son installation en Espagne.
De la voiture descendirent deux femmes qu’un valet précéda pour leur faire ouvrir la porte. A l’intérieur de l’hôtel, Marie-Félicité s’apprêtait à passer à table quand Jésus vint la prévenir de la présence de ses invités inopinés. Quelle ne fut pas sa surprise d’apprendre que c’était sa mère et sa sœur ainée Marie-Elizabeth. Elle se précipita aux devants de ces dernières. Elle tomba dans les bras de sa mère qu’elle n’avait pas vu depuis quatre année quant à sa sœur cela remontait à 1775.
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14 décembre 1788
Le roi Charles III était mort. Les dernières années de sa vie avait été attristée par la discorde avec son fils, et en particulier avec sa belle-fille,
Marie-Louise de Bourbon-Parme, la fille de Marie-Thérèse d’Autriche, ainsi que de la mort de son fils préféré quinze jours avant la sienne. L’Espagne avait perdu l’un de ses plus grands rois et son peuple comme son fils le savait. Les grandes familles et sa famille l’amenèrent jusqu’à la crypte royale du monastère d’El Escorial. Après lui, la charge royale s’avéra être des plus lourdes pour le nouveau roi, Charles IV. Si, lui était fortement impressionné par le poids de ce nouveau pouvoir, et pourtant il avait plus d’une fois critiqué son père, son épouse, Marie-Louise, avait décidé de le prendre à bras le corps. Seize jours après l’accession au trône du prince des Asturies, elle fit nommer comme cadet surnuméraire au Palais Royal son amant Manuel Godoy. Cela crispa bien l’élite et fit parler tout un chacun, mais que pouvaient-ils faire ? De plus si le roi laissait faire, à part commenter les faits, ils ne pouvaient que rester spectateurs. L’un des salons qui en parlaient le plus était celui de Marie-Félicité. Son grand deuil étant terminé, elle s’était violentée et avait ouvert sa demeure. Elle devenait célèbre pour son salon à l’esprit si français auquel participait écrivains célèbres et politiciens, y compris le comte D’Aranda, Monsieur Cabarrus, Gaspar Melchor de Jovellanos, Leandro Fernández de Moratín, Francesco Sabatini ou Ignacia Clemente, veuve du ministre des Finances, Miguel Muzquiz, comte de Gausa et les Français de passage à Madrid. L’un des besoins qui l’avaient fait sortir de son malheur avait été soulevé par Marie Élisabeth de la Roche, sa mère. Outre le malheur qui avait frappé pour la deuxième fois Marie-Félicité, elle était venue avec sa fille aînée pour aider Gilbert-Antoine de Saint-Maxent à sortir d’un imbroglio. Il avait été innocenté de ses affaires, le gouverneur Miró y Sabater avait été remplacé par Monsieur de Carondelet, mais on ne lui avait toujours pas rendu ses biens. Sa fortune s’était effondrée, Élisabeth comptait sur la position de ses deux filles au sein de l’oligarchie espagnole pour dénouer cela. Le comte D’Aranda fut mis à contribution.
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Marie-Félicité était à nouveau invitée à toutes les manifestations dont il fallait être. Sa popularité était restée intacte malgré son éloignement au Mexique et la perte de son époux. Sa beauté et son intelligence pétillante en faisaient une des invitées incontournables de toutes soirées. Au grand bal d’ouverture de la saison au Palais Royal de San Ildefonso, elle fut si rayonnante que Manuel Godoy l’invita à danser. Il fut enthousiasmé par la belle Condesa comme tous la nommaient et cela fit sourciller la reine qui n’aimait pas que l’on marche sur ses platebandes. Il n’en fallait pas tant pour la rendre suspicieuse. De ce jour Marie-Félicité fut mise sous surveillance.

Carlos IV d’Espagne
Cet été là, vinrent de France des nouvelles qui laissèrent toute la cour d’Espagne ébahie, le peuple de France s’était révolté contre son roi. Ils avaient mis à bas la forteresse royale. Plus les nouvelles arrivaient, plus elles inquiétaient le roi Charles IV. Il avait accédé au trône avec une large expérience des affaires de l’État, mais il était dépassé par les répercussions des événements qui survenaient en France. Son manque de volonté personnelle lui fit petit à petit mettre le gouvernement dans les mains de son épouse Marie-Louise et de son favori Manuel Godoy. La mort de Charles III, le déclin économique et les dysfonctionnements de l’administration qui s’en suivirent mirent au jour les limites du réformisme et pourtant les premières décisions de Charles IV avaient démontré une volonté similaire à celle de son père. Il avait même nommé le comte de Floridablanca Premier ministre. Ce dernier avait pris des mesures comme l’annulation des retards de contributions, la limitation du prix du pain, la restriction dans l’accumulation des biens de mains mortes, la suppression des majorats et donna une impulsion au développement économique, mais la révolution qui grondait aux frontières changea radicalement la politique espagnole. Lorsque les nouvelles de France parvinrent en Espagne, la nervosité de la couronne s’accrut et l’isolement semblait être le meilleur moyen d’éviter les propagations des idées révolutionnaires à l’Espagne. Il mit fin aux projets réformistes du règne précédent et les remplaça par le conservatisme et la répression.
L’intelligentsia se multiplia. Elle infiltra tous les cercles et le salon de Marie-Félicité fut particulièrement espionné au vu du nombre de Français qui le fréquentaient. Dès les événements, des aristocrates français traversaient la frontière et rapidement se retrouvaient dans son hôtel. Ce qui avait été un cercle mondain ou la culture française prévalait, était devenu un passage incontournable pour les nouveaux réfugiés. Comme le sujet principal était les événements révolutionnaires, et bien que ce ne fut que plaintes envers eux, le salon fut très vite perçu, comme un danger politique d’où les nouvelles idées contre le pouvoir royal pouvaient se diffuser. Marie-Félicité aurait bien été surprise si elle avait connu ses doutes, elle aurait cru plus crédible la jalousie de la reine.
Le vent commença à tourner pour la belle Condesa et ses amis. Entre le comte de Floridablanca et la reine, l’étau se resserra. Pour commencer Gaspar Melchor de Jovellanos fut exilé à cause de ses idées en faveur du libéralisme et Pedro Rodríguez de Campomanes fut privé de ses charges suite aux manigances du 1er ministre.
Le comte de Floridablanca ne voulant pas en rester là et désirant écarter le comte D’Aranda, se servit de François Cabarrus comme levier et à cette fin s’appuya sur la jalousie de la reine. Il ne lui faisait jamais oublier le salon de Marie-Félicité et surtout le fait que les hommes lui tournaient autour. La reine Marie Louise, qui n’appréciait pas les compliments que l’on faisait sur la belle Condesa, et qui ne se souvenait que trop de ceux faits par son amant, cherchait un moyen de l’éloigner de la cour et de Madrid, mais pour cela il lui fallait une raison. Elle était consciente qu’elle ne pouvait faire dans l’arbitraire et qu’elle ne pouvait imposer à son époux quoi que ce soit au sujet de celle qui avait été vice-reine du Mexique. Elle était, de par la notoriété de feu son époux le Conde Gálvez, quelque peu intouchable. Se laissant guider, sans s’en rendre vraiment compte, par le comte de Floridablanca, elle mit la suspicion sur monsieur Cabarrus, ami de son ennemie. Elle rappela à son époux son éloge de Charles III, lors d’une séance de la Société économique de Madrid, dans laquelle il insistait sur le rôle crucial et positif de la philosophie des Lumières dans le développement économique de l’Espagne, lui faisant remarquer à quel point cela allait à l’encontre de ses propres choix. De plus, cela attisait la haine des membres de l’Inquisition et de tous les ennemis des Français et de leur Révolution. Mais ce qui mit le feu aux poudres fut une phrase anodine, un ragot.
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Juin 1790
Marie-Félicité, ses enfants, sa mère et sa sœur s’étaient installés dans leur demeure d’Aranjuez, reproduisant le rituel annuel. Dès les premiers jours de leur arrivée, leurs amis les visitèrent et la maison fut à nouveau remplie d’invités. Comme tous les mercredis Marie-Félicité faisaient salon et tous s’y pressaient. Ignacia Clemente et la comtesse de Montijo s’étaient isolées à l’ombre d’un arbuste près d’une des fontaines où la maîtresse de maison avait fait installer des tables et des chaises pour prendre collation. Elles semblaient avoir quelques secrets à partager. Maria Antonia de Galabert y Casanova, Mme Cabarrus, piquée par la curiosité, les interrompit. « – Alors, mesdames, que nous cachez-vous là ?
– Oh ! Maria Antonia, rien de bien secret. Nous parlions du beau Manuel Godoy et des têtes qu’il faisait tourner.
– Il vaut mieux pour lui qu’il garde la tête froide s’il ne veut pas perdre sa position, la reine pourrait le prendre mal.
– De quoi parlez-vous, mesdames ?
– Rien de bien original, Marie-Félicité. Nous parlions des relations entre Manuel Godoy et Sa Majesté.
– Mesdames, voyons, nous ne pouvons ici étaler les frasques de la reine, cela ne se fait pas. Et elle partit d’un rire cristallin qui entraîna celui de ses amies. Mais parmi les personnes présentes, quelqu’un trouva fort intéressant ce qu’il venait d’entendre.
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La reine ne décolérait pas. Comment cette Française osait-elle se moquer d’elle ? Sans donner le sujet de la médisance, elle demanda au roi que Marie-Félicité et sa famille soient tenus en résidence surveillée, et pour appuyer sa demande elle sortit de sa manche ses accointances avec François Cabarrus soupçonné de détournement de fonds. Pour étayer ses accusations, elle se fit appuyer par le Premier ministre, le comte de Floridablanca. Celui-ci présenta, au roi Charles IV, un rapport démontrant les supposés agissements du banquier l’accusant d’avoir disposé de la banque San Carlos comme de son propre bien et d’avoir confié à ses créatures tous les emplois qui en dépendaient. Il n’en fallut pas plus pour persuader le roi, qui fit arrêter le banquier le 24 juin 1790, et le fit jeter en prison au château de Batres, a deux lieues au sud de Madrid. Pour compléter l’action, bien qu’il ne fût guère convaincu, il fit bannir Marie-Félicité de la cour et de Madrid, tout comme plusieurs personnes de l’entourage de la famille Cabarrus.
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Ce fut la stupeur au sein des trois femmes ! Quelle ne fut pas leur surprise quand elles virent devant la porte un capitan avec une lettre de cachet assignant Marie-Félicité à demeure ! La belle Condesa fut abattue par la nouvelle. Elle était assignée à résidence pour soupçons d’accointances avec l’ennemie. Quel ennemi ? Comme sa sœur, Marie-Élizabeth, n’était pas concernée par l’ordre royal, et qu’elle pouvait sortir du domaine Gálvez, elle partit aux nouvelles et pour cela se rendit chez le comte D’Aranda. Bien qu’un peu suspicieux et méfiant, le comte la reçut. Il estimait que cela valait mieux faisant partie des intimes de la comtesse de Gálvez, il ne pouvait l’ignorer. Il se savait surveillé, bien sûr, mais même le comte Floridablanca ne pouvait rien malgré ses manigances, car bien sûr lui aussi avait ses espions et détenait des informations dérangeantes pour le ministre. Lui-même avait bien été pris de court par la chute de Cabarrus, mais il mettait déjà en place de quoi rétorquer. Quant à la reine, il avait compris ce qui lui importait et là aussi il avait des cartes à abattre et Marie-Élizabeth pouvait l’y aider.
Il l’accueillit dans un salon intime de son hôtel afin de la mettre à l’aise. Il fit servir un café et des mignardises puis attendit que sa servante fût sortie.
« – Je suppose, Señora, que vous venez me voir pour la lettre de cachet ?
– Vous êtes déjà informé ?
– Ma chère, tout Aranjuez en est informé. Ce genre de nouvelles va très vite.
– Mon Dieu ! Que va-t-on penser ?
– Que la comtesse de Gálvez est une héroïne.
– Une héroïne ?
– Bien sûr. Entre nous la reine aurait pu jouer plus finement que d’afficher sa jalousie. Évidemment avec Floridablanca, on ne pouvait à s’attendre à mieux.
– Mais peut-on faire quelque chose ?
– La meilleure action pour l’instant est de se faire oublier. Si je puis me permettre, il serait bon que vous rentriez à Malaga et que votre mère pense à retourner en Louisiane, quant à la comtesse Gálvez, le mieux est qu’elle se fasse discrète. Rassurez-vous, je m’occuperai d’elle, je ne l’abandonnerai pas. Cela risque de paraître un peu long à la comtesse, mais il faut abattre ses cartes au bon moment.
Marie-Élizabeth sortit de son entretien très sceptique.
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Juin 1792.
Il lui fallut attendre deux ans ! Deux ans, qu’elle était enfermée dans sa demeure avec de très rares visites, chacun évitant d’être mêlé à l’ostracisme de la belle Condesa. Marie-Félicité prit son mal en patience, d’autant que le comte D’Aranda avait tenu sa promesse, il ne l’abandonnait pas. Il lui donnait des nouvelles et la visitait discrètement régulièrement. Elle partagea son temps entre ses enfants et son jardin. Elle fut donc très surprise quand Jésus lui annonça Manuel Godoy. Elle le fit patienter dans le salon pendant qu’elle peaufinait sa vêture. Elle passa une robe à l’anglaise de couleur sombre, croisa sur sa poitrine un fichu de linon blanc aux bords brodés. Elle ne voulait en aucun cas paraître légère. Tout en arrangeant sa coiffure, elle réfléchissait. Que pouvait bien lui vouloir l’amant de la reine ? Car c’était désormais de notoriété publique, même au fond de son bannissement elle en avait eu les ragots. Elle savait bien que le comte D’Aranda cherchait à obtenir sa grâce par son intermédiaire, ils s’étaient trouvé un point commun, l’un comme l’autre désirait écarter le comte de Floridablanca. Avaient-ils réussi ? Elle descendit retrouver son invité inattendu.
Elle trouva celui qui venait de devenir le duc d’Alcudia, ce qu’elle avait appris depuis peu, le nez levé vers un tableau la représentant au-dessus de la cheminée du salon. « – Vous admirez ce vieux tableau, don Godoy ? » L’homme se retourna avec un large sourire.
– Vieux ? Cela ne se voit pas doña Gálvez ! Mes hommages, madame.
Elle accepta le sous-entendu galant avec un léger sourire et lui tendit la main qu’il effleura puis elle ouvrit la porte-fenêtre donnant sur le jardin. « – Profitons du soleil, don Godoy, assoyons-nous sur la terrasse, Amanda nous porte le café. » Comme chaque fois qu’elle était inquiète, elle gardait son ancienne nourrice, devenue depuis longtemps sa gouvernante de sa maison, près d’elle. « – Vous avez un très beau jardin, madame. J’en avais entendu parler, mais je n’avais pas eu l’occasion de l’admirer.
– Vous voyez, il n’est jamais trop tard. Un peu de café ?
– Avec plaisir.
Don Godoy prit la tasse qui lui était tendue. Il tourna, deux trois fois, sa cuillère en argent dans la tasse de porcelaine et avala une gorgée. Elle lui connaissait une belle conversation et lui reconnaissait un certain charme, elle savait qu’il s’attirait l’affection et l’amitié facilement. Elle ne pouvait toutefois pas s’empêcher de se méfier, elle lui devait de façon indirecte son bannissement de la cour. Elle attendait donc qu’il se décidât à lui annoncer la raison de sa venue. « – Madame, j’ai spécialement fait le déplacement pour vous apporter une invitation au bal d’ouverture de la saison au Palais Royal. J’espère que vous pourrez vous y présenter. J’y ai joint une lettre de cachet du roi annonçant la fin de votre assignation à résidence. J’espère que nous aurons l’occasion de vous revoir briller dans nos soirées, elles sont devenues un peu ternes depuis votre absence. » Marie-Félicité en resta coite. Elle n’en croyait pas ses oreilles. Que s’était-il donc passé pour que ce soit don Godoy lui-même qui vienne la prévenir ? Elle le remercia avec retenue, ne voulant pas lui montrer son soulagement et sa joie d’être à nouveau libre. Il resta encore un moment parlant de tout et de rien, puis la remercia de son accueil s’excusant de la quitter si promptement, sa charge le réclamant.
Ce fut par don D’Aranda qu’elle apprit la disgrâce de don Floridablanca par Charles IV d’Espagne et son emprisonnement à Pampelune et le jugement déclarant François Cabarrus innocent. Ce dernier avait donc été gracié et indemnisé d’un montant de six millions de reaux et titré Conde de Cabarrús, vizconde de Rambouillet et nommé gentilhomme de la Chambre. L’un et l’autre devaient cela aussi à don Godoy.
***
1795
Bien qu’elle évitât d’y mettre de l’éclat, elle fut accueillie à la cour comme à la ville avec chaleur. Si elle reçut beaucoup chez elle, elle ne refit pas officiellement salon et se méfia de qui rentrait chez elle. Elle n’avait jamais su qui avait médit sur elle. Les années passèrent, jonchées de bonnes et de mauvaises nouvelles, dont le décès de son père, l’été précédent, qu’elle n’avait jamais revu depuis son départ de Louisiane et la déchéance de don D’Aranda qui n’avait pas réussi à sauver le cousin du roi, Louis XVI de France. Dans les heureuses nouvelles, elle eut la joie de marier sa fille Faustina avec Benito Pardo de Figeroa.
Ce fut après les fêtes du mariage, lors desquelles don Godoy avait fait l’honneur d’être présent, qu’elle suggéra à ce dernier d’envisager de faire parvenir une ouverture à la République au moyen de la correspondance qui subsistait entre François Cabarrus et sa fille, Térésa devenue l’épouse du conventionnel Tallien. Cette requête avait été proposée par François Cabarrus qui voyait l’Espagne s’enliser dans une guerre avec la France, Marie-Félicité avait accepté de faire l’émissaire. Cette démarche ne fut pas étrangère à la conclusion de la paix avec la France.
Ce fut l’une des dernières apparitions en public de Marie-Félicité de Saint-Maxent Comtesse de Gálvez. Elle décéda cinq ans plus tard à Madrid, Espagne.
fin
Cette nouvelle inspirée d’une histoire vraie met en scène des personnages réels et des personnages fictifs ainsi que des événements et des dialogues inventés à des fins dramatiques et afin de compléter les vides des biographies. Les illustrations des personnages ne sauraient être confondues avec les personnes réelles.
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