épisode 16
Été 1794, Le mensonge qui sauve
Fin du mois de mai 1794.
Il y avait chaque jour de nouveaux arrivants à la prison des Carmes. Le chevalier Edwin Saint-Aubin-du-Cormier, ce jour-là, était de ceux-là. Il avait fait partie de ce que l’on commençait à appeler la chouannerie. Il n’avait rien contre la révolution qui désirait l’égalité, il était un membre pauvre de l’aristocratie Bretonne, ni contre le roi dont il respectait le pouvoir, mais comme beaucoup de ses compatriotes, il avait été choqué par la Constitution civile du clergé réprouvé par le Pape. Ce fut donc naturellement qu’il rejoignit le marquis de La Rouërie, et la conjuration bretonne qui venait de perdre ses droits et qui désirait les recouvrer. Il avait participé à l’attaque de Mellé sous les ordres du chevalier du Boisguy, et avait été de ceux qui avaient chassé les 200 hommes qui occupaient Saint-Brice. Quelques jours plus tard, passé le moment d’euphorie, il avait été arrêté dans le pays de fougères, et avait été conduit à Paris. Il avait tout d’abord été interné au Luxembourg, il y était resté trois mois, mais le manque de place l’avait conduit jusqu’aux Carmes. Il ne se faisait pas d’illusion, il n’y resterait pas longtemps.
Il fut conduit vers sa nouvelle geôle avec virulence et brusquerie par les gardes. Lui faisant traverser la cour, il remarqua, une scène incongrue en ces lieux. Une madone d’une beauté à couper le souffle berçait un nourrisson dans ses bras. Il devait rêver, il s’arrêta de stupeur et fut poussé avec rudesse plus avant. Il ne put s’empêcher de se retourner vers ce qu’il avait pris pour une apparition. Il croisa le regard translucide plein de compassion de la jeune mère. Il se surprit lui-même en pensant à autre chose qu’à son devenir.
Ses gardes l’ayant libéré de leur présence, Edwin revint vers la cour. Il voulait revoir son apparition. Elle n’était plus là. Il parcourut les cours et préaux qu’il pouvait atteindre, mais la jeune femme n’était nulle part. Il avait dû rêver. Étant seul, il fut approché par d’autres prisonniers qui aspiraient à avoir des nouvelles du dehors. Il fut très vite entouré par plusieurs personnes qui, à défaut d’être intéressées par son histoire, appréciaient la nouveauté. Il se méfia tout de même et ne donna pas trop de détail sur ce qui l’avait amené jusqu’à la prison des Carmes, il ne doutait pas un instant qu’il y ait parmi son auditoire des individus mal attentionné. Il savait que sa fin était proche, mais il ne tenait pas à l’abréger outre mesure.
L’heure de la soupe fut annoncée par le son d’une cloche, il fut entraîné vers l’un des préaux qui servaient de réfectoire. Une vingtaine de tables avec bancs pouvant permettre à huit personnes de s’attabler occupaient l’espace. Il fallait faire plusieurs services afin d’en laisser l’usage à tous les prisonniers. Edwin fut l’un des premiers servi. La nourriture était sans saveur et permettait à peine de se sustenter, mais cela le laissa indifférent tant il était habitué aux rations militaires. Comme ses compagnons de table se levaient pour laisser le champ libre aux suivants, il vit arriver trois jeunes femmes remarquables par leurs grâces et se détachant du groupe qui les entouraient. Comme il restait hébété, un de ses comparses le bouscula pour le sortir de son éblouissement et ajouta. « – C’est vrai, elles font ça à tous, mais peu en profitent. » Edwin sorti de sa stupeur, la remarque l’avait choqué, non pas qu’il fut collet monté, mais parce que parmi les trois jeunes femmes il y avait celle qu’il identifiait à une madone. Il se força à réagir, ne voulant pas passer pour un puritain ou un niais. Il s’obligea à suivre ses comparses de table et à sortir du préau. Il demanda toutefois avant de quitter son interlocuteur s’il savait qui était la jeune femme aux yeux si clairs. Il obtint pour toute réponse. « – C’est une créole ayant lardon à ses basques ». Il ne fit aucune remarque, mais il ne s’éloigna pas du réfectoire, attendant que la jeune femme qui le subjuguait en sortît. Il ne savait nullement ce qu’il allait faire. Il se trouvait idiot, pourtant il avait déjà eu des aventures féminines, mais il n’avait jamais ressenti cette attraction subite qu’il ne pouvait ni s’expliquer ni contrôler. Il trouva le temps long. Leur souper n’en finissait plus. Il n’osait entrer à nouveau dans la salle de peur de se faire remarquer. Il l’avait peut-être manqué dans le va-et-vient continuel à cette heure, ou alors était-elle sortie par une autre voie. Dans les cours, les gardes allumaient les flambeaux, la nuit tombait. La soirée était douce, les prisonniers se promenaient dans la cour et dans les jardins, il n’était pas question pour eux d’aller s’enfermer dans leurs geôles. Les uns s’installaient pour jouer aux cartes, d’autres s’isolaient pour quelques moments de tendresses, beaucoup se contentaient de converser.
Il allait se décourager quand il vit tout d’abord le général Hoche prendre par le bras l’une des trois jeunes femmes et s’éloignait avec elle. Les deux autres, dont la madone qui le captivait, bras dessus bras dessous se dirigèrent vers le jardin. Il ne savait que faire à part la contempler et les suivre, elle et sa compagne. « – Edmée, ne vous retournez pas, mais je crois bien que vous avez un admirateur. Allons nous asseoir sur un banc afin de nous rendre compte à quel point ? » Edmée ne contraria pas Térésa, elle aussi avait vu le jeune homme qu’elle supposait militaire au vu de sa vêture et savait que c’était effectivement elle qu’il suivait. Une fois assises, comme si de rien n’était, elles examinèrent le jeune homme. Edmée le trouvait charmant avec ses cheveux blonds tombant sur son front et ses épaules. Engoncé dans son habit, il n’avait pas l’air bien vieux, plus âgé qu’elle bien sûr, mais guère plus. Edmée l’avait reconnu de suite, c’était celui qu’elle avait vu arriver, encadré avec fermeté par des gardes. Elle avait été surprise de voir comme ils le malmenaient. Pendant que les pensées d’Edmée enveloppaient de son attention le jeune breton, Térésa parlait, faisant semblant de ne pas s’intéresser à l’admirateur planté comme un piquet à l’entrée du jardin. De là où il était, il ne pouvait entendre ce qu’elle chuchotait. « – Ne le regardez pas Edmée. Il va trouver cela facile et vous n’y gagnerez rien. Vous n’êtes pas du genre à vous donner comme cela. » La jeune fille sursauta quand elle comprit ce que lui expliquait sa compagne. Elle était très loin de cela, elle ne se choqua pas, elle savait pourquoi Térésa tenait ce discours. Avec la peur de mourir demain, beaucoup se laissaient aller au plaisir de la chair et cela sans retenue. Sa compagne semblait y résister, mais elle la devinait discrète, quant à Rose, elle s’était énamourée de son général et derrière ce fragile sentiment se cachait le besoin de sécurité. Elle-même ne cherchait rien, et ne remarquait pas l’intérêt que les hommes lui portaient. Elle mettait sans vraiment le vouloir une distance entre eux et elle. Elle se satisfaisait de l’affection que lui portaient ses nouvelles compagnes et de l’amour qu’elle avait pour son enfant. Grâce à ses amitiés, elle était toujours entourée de nombreuses personnes. Pierre-Clément ne pouvait lui rendre visite trop souvent. Il ne voulait pas attirer l’attention des gardes et par leur intermédiaire le tribunal révolutionnaire sur elle, mais par l’intermédiaire de Berthe il apportait de son mieux de l’aide, de l’argent, des paniers de victuailles et des nouvelles. Les journées passaient avec la peur de voir partir ceux auxquels elle s’était attachée. Elle savait que ce n’était pas son destin. Son intuition avait été confirmée par les dires de Marie-Anne Lenormand avec qui elle avait eu une longue conversation et, si cela n’avait été point suffisant pour la rassurer, Pierre-Clément lui avait assuré, bien qu’il ne puisse la faire sortir de là, qu’elle n’avait point de dossier à charge contre elle. Joseph n’avait pas été jusque-là. Mais il y avait les autres, ceux auxquels elle s’était liée. À chaque appel c’était toujours la même lourde angoisse « – Qui serait en partance pour le funeste voyage ? »
Le jeune homme bougea et sembla décidé à venir vers elles, le cœur d’Edmée se mit à battre la chamade. Elle se trouva insensée de se mettre dans cet état, tout ceci était nouveau pour elle. Il fut arrêté dans son élan. La nuit était tombée, la cloche appelait les prisonniers, elle leur commandait de rentrer dans leurs geôles. Elle égrenait son ordre et résonnait à tout vent. Chacun dut partir pour des lieux opposés. « – Ne vous inquiétez pas, Edmée, il reviendra à la charge. En attendant, il serait bon de se renseigner sur son pedigree, bien que par les temps qui courent cela n’ait pas grande importance.
– Mais Térésa, je ne veux rien de ce monsieur.
– C’est possible, ma chère, mais lui il veut quelque chose, et si je puis dire, vous avez tous les atouts en main.
Edmée ne rajouta rien, elle savait qu’elle ne serait pas écoutée, pas même entendue. Les remarques assurées de son amie la troublaient, elles avaient un écho en elle qu’elle n’arrivait pas à repousser. Elles rejoignirent leur dortoir et leurs compagnes de chambrée, Rose de toute évidence ne serait pas des leurs pour cette nuit. Elle profitait des avantages de son amant qui était un des rares à avoir ce que l’on pouvait appeler une chambre. Elle se coucha sur sa paillasse et se retourna vers le mur lépreux. Elle mit du temps à s’endormir, pénétré par le souvenir du jeune homme. Elle fit une multitude de rêves confus où passé et présent se mélangeaient, dans le dernier vint s’imposer l’Éthiopienne. Elle en fut aussi contente qu’étonnée. Cela était signe de changement, il y avait si longtemps qu’elle n’avait pas été en lien avec son aïeule. Cette dernière s’excusa de l’enfer qu’elle avait subi, mais elle n’avait pas pu tout lui éviter. Il y avait aussi les lois de la destinée que l’on ne pouvait contrarier, et son fils devait venir au monde, quel qu’en fût le chemin. Elle fut réveillée par la cloche alors que l’Éthiopienne lui conseillait d’accepter ce que lui proposerait le jeune militaire. Décidément, cette dernière serait toujours énigmatique, à moins que ce soit ses désirs intérieurs qui faussaient le souvenir de son rêve.
Elle se leva et comme tous les matins elle suivit Térésa et ses autres compagnes jusqu’à la fontaine du jardin ouvert aux femmes. Elle y fit sa toilette. Elle s’accrochait, comme sa compagne à ces gestes coutumiers qui la maintenaient dans la réalité, dans la vie. Elle attachait sa lourde chevelure après l’avoir longuement brossé quand Rose les rejoignit. Elle semblait légère, presque heureuse de vivre, Térésa, tout en se moquant d’elle, lui en fit la remarque. Rose haussa les épaules et répliqua qu’il fallait bien profiter de la vie. Ce qui semblait léger était empreint d’une lourde angoisse. Térésa spontanément l’embrassa sur la joue, et lui assura qu’elle avait raison. Personne ne rajouta quoi que ce fut, car tous savaient ce qu’il y avait derrière ces mots. De son côté, Marie Hosten-Lamothe s’occupait de Désirée qui comme chaque matin avait ses nausées. Une fois remise et toutes rafraîchies et rajustées, les trois amies et leurs compagnes nonchalamment se dirigèrent vers leur déjeuner du matin. Elles rejoignirent leurs comparses masculins qui faisaient déjà la queue pour obtenir leur bol de soupe claire. La journée serait calme, certains détenus savaient déjà qu’il n’y aurait pas d’appel ce jour-là, alors chacun cherchait déjà comment s’occuper.
Edmée, pour la première fois, ne commença pas par attendre l’heure des visites et la venue de son enfant, mais intriguée par l’intérêt que lui avait porté le jeune homme, elle se mit à espérer sa présence. Elle n’eut pas à attendre longtemps. Dès qu’elle croisa son regard, elle baissa les yeux rougissant d’émois. Le jeune homme se mit à tourner autour d’elle sans s’approcher à l’amusement des amies de la jeune fille qui n’étaient plus habituées à ce genre de comportement. L’urgence du moment rendait hommes femmes plus audacieux, voire plus impudents. Rose, ne perdant pas de temps, avait glané quelques renseignements. « – Mes chéries, c’est un Breton, il était sous les ordres du marquis de La Rouërie jusqu’à son décès.
– Mais pourquoi a-t-il été fait prisonnier ? intervint Térésa.
– Après la mort du marquis, il est resté au sein de la coalition contre la Convention.
– Mais pourquoi sont-ils contre la Convention ? demanda Edmée qui ne perdait pas un mot de la conversation.
– Monsieur de La Rouërie, pourtant opposé à l’absolutisme, c’était même un héros de la guerre d’indépendance américaine, a rallié la contre-révolution à la suite de la suppression des lois et coutumes particulières de la Bretagne.
– Mais alors il n’a aucune chance de s’en sortir. Laissa tomber Edmée d’une voix blanche.
Rose passa son bras autour des épaules de la jeune fille. « – Personne n’est à l’abri d’un miracle. » Les trois jeunes femmes savaient qu’elles ne pouvaient rien ajouter, toutes savaient qu’il n’en fallait pas tant pour monter les marches macabres de la faucheuse. L’heure des visites interrompit leur conversation. Edmée se leva le cœur lourd. Décidément, rien ne lui laissait oublier leur situation. Elle se dirigea vers la salle des visites, passant devant le jeune breton, lui souriant inconsciemment. Il resta illuminé.
Berthe venait de rentrer dans le lieu, elle tendit le petit Hippolyte à sa mère et s’assit à côté d’elle. Renouant le lien chaque fois arraché, l’enfant retrouvait la chaleur du corps de sa mère pour le bien-être des deux. La nourrice se mit aussitôt à lui donner des nouvelles de l’extérieur. Les deux femmes s’accordaient bien. Les premiers instants de timidité passés, Berthe s’était laissée aller à son tempérament chaleureux et plein de compassion pour Edmée dont elle était l’aînée de cinq six ans, et qu’elle couvait. Ce fut par Berthe qu’elle apprit les problèmes de Pierre-Clément. Elle lui expliqua que les détracteurs de son protecteur s’ingéniaient à lui porter tort en brandissant à la tribune un exemplaire d’un discours qu’il avait écrit contre le fanatisme et la superstition. Elle avoua qu’elle n’avait pas bien compris, toujours est-il que dans son pays, sa famille s’employait à récupérer et à détruire le maximum d’exemplaires du fâcheux libelle. Comme Edmée s’inquiétait de cette nouvelle, Berthe la rassura, monsieur Laussat avait des appuis bien placés. Comment savait-elle tout ça ? C’était un mystère pour Edmée. La nourrice enchaîna sur d’autres nouvelles, qui tenaient plus du ragot que de l’information. Deux heures s’étant écoulées, Berthe dut partir. Avec tristesse, une fois encore, Edmée regarda partir son enfant dans les bras de sa nourrice. Comme elle s’apprêtait à sortir de la salle pour aller rejoindre ses amies, elle fut arrêtée par la voix grave de son admirateur. « – Excusez mon effronterie, mais voilà un bel enfant, son père doit en être fier. » Elle ne put s’empêcher de répondre avec une certaine agressivité qui ne décontenança pas le curieux. « – Il ne l’a jamais vu, il est mort.
– Excusez mes propos, ils sont bien mal à propos, je ne voulais en aucun cas vous froisser.
– non, non, ce n’est rien. À votre tour de bien vouloir m’excuser pour mon ton déplacé.
– Arrêtons de nous excuser, commençons donc par nous présenter, à moins que vous préfériez un interlocuteur pour cela.
Edmée sourit « – Nous ne sommes pas à la cour. Je suis Edmée Vertheuil-Reysson et à qui ai-je affaire ?
– Edwin Saint-Aubin-du-Cormier. Pour vous servir. Si je ne suis pas trop curieux, vous aviez bien l’air soucieuse en quittant votre enfant. Aurait-il un problème ?
– Hippolyte ? Non, il va bien. C’est pour un de mes amis que je m’inquiète.
La glace avait fondu avec ces quelques échanges, ils conversèrent toute la journée comme s’ils s’étaient toujours connus. Ils ne s’arrêtèrent que pour faire les présentations avec Térésa et Rose puis avec tout leur entourage. Ils se racontèrent leurs vies, échangeant des bribes de souvenirs tissant un écheveau qui les liait petit à petit. Le soir venu, ils se quittèrent avec difficulté. Cette nuit-là, Edmée rêva d’une fin heureuse que seule la réalité de la cloche du matin vint interrompre.
Sous l’œil protecteur de Rose et de Térésa, l’idylle d’Edmée et d’Edwin grandit au fil des jours. Elles étaient attendries tant le sentiment, qu’elles voyaient se développer entre les deux jeunes gens, semblait pur et fort. Elles étaient tristes, car elles ne concevaient pas une fin heureuse à cela, mais au moins Edmée était momentanément rayonnante et c’était cela de pris dans cette vie de misère emplie de peur.
Edmée n’était pas inconsciente, elle acceptait ce qui se passait. Ne pouvant réfréner ce qu’elle ressentait, elle laissait son sentiment grandir pour le jeune homme qui le lui rendait avec passion tout en sachant que ce n’était qu’un bonheur fugitif, mais aurait-elle dû refuser ce qui mettait un baume à tant de violence et de malheur ? Elle n’en était pas capable. Comme c’était sans lendemain, l’un comme l’autre en était sûr, c’était sans pudeur, sans crainte qu’ils se découvraient. Ils se livrèrent sans commune mesure, ne cachant rien ou presque à l’autre, Edmée avait seulement omis de dire à son amant, car l’un pour l’autre il l’était insensiblement devenu, qu’elle avait du sang noir. L’avait-elle fait sciemment ? Elle l’aurait réalisé qu’elle n’en aurait pas été sûre. C’était pour elle une autre vie, une autre personne. La seule chose qui l’a ramené à Zaïde était les apparitions de l’Éthiopienne.
Tout le monde s’habitua à les voir ensemble. Elle le présenta à Pierre-Clément. Bien que méfiant, peut-être un peu jaloux ou trop protecteur, il donna sa bénédiction. Qu’aurait-il pu faire d’autre ? Il s’était bien apprêté à faire quelques mises en garde, mais quelles valeurs auraient-elles eues par les temps qu’ils subissaient ? À quoi cela aurait-il servi ? Tout moment de quiétude était bon à prendre, aussi fugace fût-il. Il se renseigna sur Edwin et ce qu’il apprit était en sa faveur si ce n’est qu’il ne se battait pas du bon côté. De toute façon y avait-il un bon côté ? pensait Pierre-Clément. Le général Hoche en était le parfait exemple, militaire brillant qui malgré ses victoires pour la convention était enfermé par peur de sa notoriété. Quelques jours après sa présentation à Edwin, Pierre-Clément revint raconter la fête de l’être suprême en détail à Edmée afin qu’elle puisse en faire le compte rendu à ses amis.
Après avoir quitté Pierre-Clément, elle fit le compte rendu à Rose et Térésa qui avaient attiré leur entourage afin d’écouter. La conteuse se retrouva entouré d’un petit groupe, constitué d’Alexandre de Beauharnais et sa jolie maîtresse, mademoiselle de Custine, madame Hosten-Lamothe, Désirée et son époux, le général Hoche et quelques autres amis de ce dernier. « – Vous n’êtes pas sans savoir qu’ordonnancé par Jacques-Louis David, le début de la fête s’est déroulé autour du bassin rond à l’extrémité du jardin des Tuileries. Sur ce bassin, une pyramide avait été élevée, elle représentait un monstre, l’Athéisme entouré de l’Ambition, de l’Égoïsme et de la fausse Simplicité. La foule venue communier à ce grand spectacle, il faut le dire, était immense, mais il ne pouvait en être autrement. Robespierre était revêtu d’un habit bleu céleste serré d’une écharpe tricolore. Il tenait un bouquet de fleurs et d’épis à la main, c’était un peu grotesque d’après Pierre-Clément. Il a mis le feu à cet ensemble démasquant, une fois brûlée, une statue de la Sagesse, ce qui émerveilla tout un chacun. Ensuite, il marcha en tête d’un cortège des Tuileries au Champ-de-Mars. L’hymne à l’Être suprême, écrit par le poète Théodore Desorgues, fut chanté par la foule sur une musique de Gossec. Cela aurait pu être magnifique, mais pendant la cérémonie, les bavardages ont remplacé les chants, puis des moqueries ont fusé. La foule a refusé de marcher au pas même dans la troupe des députés. Le ridicule de la cérémonie a fini par susciter des ricanements de plus en plus nombreux jusque dans l’entourage de l’Incorruptible. Celui-ci s’en est aperçu, et il a mal dissimulé son ressentiment.
– C’est bien fait ! – s’exclama Térésa – C’est le début de sa fin.
– Puissiez-vous dire vrai mon amie, ajouta Rose.
– Vous exagérez, mesdames, il n’est pas bon de critiquer la Convention, interféra Alexandre de Beauharnais.
– Ce n’est pas la Convention que je critique, c’est ce tyran, car on ne peut pas l’appeler autrement ce salopard de Robespierre.
– Doucement, Térésa, on va nous entendre, chuchota Rose désirant faire taire son amie.
Devant l’agitation, des gardes s’approchèrent et demandèrent ce qui se passait. Le général Hoche calma tout le monde et tous se dispersèrent, persuadés que c’était réellement la fin de Robespierre.
Les jours passaient, l’idylle entre Edmée et Edwin grandissait, chaque fois que le terrible appel des détenus était fait, le cœur d’Edmée se compressait à éclater, mais le nom du jeune homme n’était jamais sur les lèvres du concierge. Le destin semblait vouloir les épargner, même les appels étaient irréguliers, laissant plusieurs jours de paix entre chacun.
Pierre-Clément vint avec un début d’explication à cette accalmie. Les turbulences secouaient la Convention, lui-même se sentait obligé d’espacer un peu plus ses visites, les altercations, qu’il subissait à la tribune de celle-ci, avaient tourné les regards vers lui, et il ne voulait pas attirer l’attention sur l’objet de ses visites.
Il apprit à Edmée et par son intermédiaire à ses amis que le Comité de sûreté générale mettait à mal Robespierre en rendant publique, une affaire de mystiques, une certaine Catherine Théot qui voyait en lui le Messie. « – Toutefois, Robespierre a vite repris le dessus. Il a convoqué René-François Dumas qui est à ce jour le président du tribunal et Fouquier-Tinville, il leur a réclamé le dossier, qu’il leur a soustrait. » Marie-Anne qui faisait partie de l’auditoire se permit d’intervenir. « – Ne croyait pas qu’il a eu le dessus. Cette affaire l’entraîne vers la chute. Tout va s’accélérer désormais. Quant à cette Catherine Théot, elle n’est pas totalement folle, elle a juste été manipulée, quelqu’un a eu très peur dans l’entourage du tyran et à monter cette cabale. » Personne ne rajouta mot. Personne ne savait quoi penser de cette information, elle donnait trop d’espérance. Certains, parmi eux, savaient qu’ils ne verraient pas la liberté, mais l’espoir de survivre était toujours niché au fond du cœur. Marie-Anne ne mentait pas, mais peut-être, se trompait-elle ? Térésa se mit à espérer que Tallien s’était enfin réveillé, que son amant était pour quelque chose dans cette histoire. Elle n’avait pas de nouvelles de lui, elle avait demandé à Pierre-Clément de l’approcher, mais il n’avait pas réussi.
Deux semaines, plus tard, alors qu’il n’y avait eu aucun mouvement au sein de la prison, Pierre-Clément revint avec une nouvelle qui vint corroborer les prophéties de Marie-Anne. Robespierre avait été traité de tyran lors de la séance houleuse de la veille. Furieux il avait été jusqu’à quitter la réunion et n’avait pas réapparu depuis au Comité. Personne ne savait quoi en penser. Ce soir-là lorsque Edmée quitta Edwin, elle le regarda partir le cœur serré d’angoisse. Marie-Anne perçut l’émoi de la jeune fille. « – Edmée prenait tout ce qu’il vous donne. Il va vous faire un cadeau surprenant. Acceptez-le pour vous et pour votre enfant. N’en espérez pas plus. » Edmée sursauta au son de la voix de la pythonisse. « – Laissez-moi Marie-Anne. Je suis fatigué de tout ça ! » Elle avait sans s’en rendre compte élevé la voix et attiré l’attention de Térésa et Rose qui les suivaient vers les dortoirs des femmes. « – Qu’y a-t-il, Edmée ? Que vous a dit Marie-Anne ?
– Rien que je ne sache Rose. Mais c’est déjà trop. La jeune fille ne dit plus rien. Elle entra dans leur dortoir, installa sa couche et s’allongea. Aucune n’osa la déranger, Rose comme Térésa avaient compris que Marie-Anne avait prédit un désastre, et l’une comme l’autre refusait d’en savoir plus. Demain serait un autre jour.
Bien sûr qu’Edmée savait, elle ne pouvait ignorer que le moment tant craint s’approchait. Edwin allait lui être enlevé. Elle avait entrevu au-dessus de sa tête un être de lumière essayant de se matérialiser, cela avait été un choc, elle n’en avait pas vu depuis si longtemps. Elle avait fini par croire qu’ils s’étaient détournés d’elle. Elle avait été souillée de façon si immonde. Elle avait entendu dire que perdant leur virginité, de jeunes voyantes avaient perdu leurs dons. Elle avait donc été surprise de deviner, dans l’air du soir, s’intensifier une forme floue qui n’avait pu prendre consistance, au-dessus de son aimé. Elle mit longtemps à s’endormir, mais quand ce fut fait, elle passa d’un rêve à un autre. Au travers d’eux l’Éthiopienne essaya de venir à elle, elle la repoussa. Elle refusa le contact. Elle ne voulait pas de confirmation du drame à venir, elle refusait tant bien que mal l’impensable. De fuite en fuite, elle se retrouva pourchassée par des ombres qui semblaient la guider de rêve en rêve. Elle fuyait à travers une forêt dense et sombre dans les méandres d’un labyrinthe végétal touffu, plein de sons et d’êtres invisibles, elles couraient à perdre haleine, levant du mieux ses jupes et jupons qui freinaient sa fuite. Elle chuta, elle se releva, elle prit un sentier sur la droite, à une enfourchure devinant d’un côté une présence elle prit à gauche. Son cœur battait la chamade, c’était comme dans les cauchemars de son enfance. Elle sentit le sentier monter. Elle se retrouva devant une colline qu’il lui fallait gravir. Elle devinait des présences derrière elle, prêtes à fondre sur elle. La pente était rude, elle était obligée de s’accrocher à la végétation qui rampait sur elle. Elle ne voyait que peu de choses, les arbres gigantesques obscurcissaient le décor alentour. Elle fuyait, elle ne réfléchissait pas, coûte que coûte il lui fallait atteindre le sommet, elle savait que c’était là qu’elle serait en sécurité, là, à la lumière qu’elle devinait plus qu’elle ne la percevait. Ses forces vacillaient. Elle s’accrochait. Elle ne pouvait ne pas réussir, il y avait son enfant, elle se devait de survivre. Cette idée lui donna un regain de force, d’énergie et de courage. Elle leva la tête, elle aperçut au-dessus de la colline, qui semblait toujours plus haute, un halo de lumière. Elle ne pouvait abandonner, il lui fallait continuer, poursuivre l’escalade. Son fils, ne pas abandonner Hippolyte, poursuivre, arriver au sommet. Elle ne pouvait l’abandonner, le laisser seul. La lumière devenait de plus en plus étincelante, elle semblait retenir dans la nuit les forces maléfiques à sa poursuite. La pente devint moins forte, elle avait atteint le sommet. Elle reprit son souffle, elle tapota machinalement ses jupes et rejeta sa chevelure. Levant les yeux, elle découvrit un autel dressé, entouré de quatre colonnes, avec pour seul toit un ciel bleu. Craintive, intriguée, elle s’en approcha, il était de marbre blanc avec une croix dessus, elle sentait, elle savait qu’elle devait l’atteindre pour être sauvée. Elle allait le toucher quand une cloche, la cloche sonna. Elle s’accrocha au rêve, mais c’était trop tard, tout s’effaçait dans une image floue, son cœur se serra. Elle ouvrit péniblement les yeux, ses pensées encore pleines de ses rêves, ses amies rangeaient déjà leurs paillasses. Edmée était lourde de fatigue, de désespoir. Son âme était restée au fond de ses songes. Elle se leva, son corps brisé de courbatures, elle semblait avoir lutté toute la nuit. Ses amies ne dirent rien, elles l’attendirent patiemment. Edmée grimaça un sourire et les suivis.
***
À peine arrivées dans la cour, elles trouvèrent Edwin, qui déjà les attendait. Il était, à l’encontre de celle qu’il aimait, il était radieux. Il semblait illuminé. Cela décontenança Edmée. « – Il faut que je vous parle, j’ai quelque chose de très important à vous dire. J’ai fait un rêve étrange qui m’a éclairé, il faut que je vous dise ce qu’en moi il a suscité. » Tout en lui parlant, il l’entraîna. Rose et Térésa étaient consternées. Edmée se retourna tristement vers ses amies, qui sans savoir exactement ce qui l’en retournait ressentaient son désarroi. Elle le suivit, il l’amena jusqu’à un banc dans un coin de la cour. Elle n’avait pas dit un mot, agité par ce qu’il avait à lui dire, il ne s’en était pas rendu compte. « – Edmée ! Mon adorée ! Dans ce rêve, nous étions tous les deux dans un jardin merveilleux, il était extraordinaire de beauté. À chaque pas que nous faisions, les fleurs jaillissaient de terre et ouvraient leurs corolles multicolores sous nos yeux émerveillés. Je n’avais jamais autant vu de fleurs si incroyables. Elles nous faisaient une haie d’honneur de chaque côté d’un sentier qui nous menait tout droit en haut d’une colline sur laquelle se trouvait un autel. Edmée, non ! Ne dites rien, écoutez-moi jusqu’au bout. Je ne me fais pas d’illusion, mon temps est compté, nous le savons, l’un et l’autre… Chut ! Mon aimée, ne pleurait pas, écoutez-moi s’il vous plait. Voilà ma demande. L’autel, c’était le symbole d’une évidence. Évidemment, cela n’a de valeur que l’honneur, mais je n’ai plus que cela. Je vous offre un nom honorable, mais aucune fortune n’y est attachée. Je vous aime Edmée, plus que je n’ai aimé personne, c’est donc un grand honneur que vous me ferez en portant mon nom et en acceptant que je le donne à Hippolyte ! Laissez-moi vous laisser cela, je resterai comme cela toujours auprès de vous. » Edmée le regardait, interloquée. Que pouvait-elle répondre ? Du fond de ses pensées lui revinrent les conseils de l’Éthiopienne et de Marie-Anne, acceptez son cadeau aussi impensable qu’il soit. Oui, il était impensable, inattendu, surtout dans ses lieux, mais elle ne pouvait lui dire non, il semblait être si heureux à cette idée. Elle acquiesça, il bondit de joie au milieu de la cour à la surprise de ceux qui les regardaient. Septiques Térésa et Rose se regardèrent. Marie-Anne leur glissa qu’elles étaient de mariage. Les deux jeunes femmes la regardèrent comme si elle était folle.
***
L’organisation du mariage ne fut pas chose facile. Il fallut tout d’abord trouver un membre du clergé constitutionnel qui voulut bien célébrer un mariage dans une prison et cela en toute discrétion. Monsieur Boisloux comme Pierre-Clément insista pour que cela restât le plus possible secret, car il ne fallait en aucun cas attirer l’attention du tribunal révolutionnaire. Si Pierre-Clément ne pensait qu’à Edmée, le concierge Boisloux lui avait une autre crainte qu’il ne tenait pas à expliquer même à son épouse qui était toute joie à l’idée de la cérémonie. Son beau-frère maître Bault avait appris par une source sure qu’après la prison du Luxembourg, le comité de salut public avait l’intention d’opérer une purge avec comme prétexte une supposée conspiration, à la prison des Carmes. C’était un certain Armand Herman, ami de Robespierre qui orchestrait l’opération. Pour l’instant, il ne connaissait ni le nombre ni les noms des détenus concernés, mais il ne faisait pas d’illusion, il fallait aller vite.
Tout fut organisé pour le 16 juillet soit le 26 Messidor de l’an 2, Edwin et Edmée, ainsi que Rose, Térésa, Pierre-Clément qui étaient leurs témoins furent rassemblés à l’aube dans l’appartement du concierge. Le prêtre était l’ancien curé de la paroisse qui avait accepté de rendre ce service au concierge Boisloux, il l’avait marié et baptisé lui-même et ses enfants. Pour l’enregistrement, il s’était arrangé avec un membre de sa famille qui inclurait le contrat de mariage au milieu des autres, ce serait chose surprenante si quelqu’un constatait le document au milieu des autres et tant soit peu que cela arriva, rien n’indiquerait où il avait été célébré. La cérémonie fut brève, les consentements échangés, les signatures apposées au document, elle fut conclue. Edmée Vertheuil-Reysson était devenue madame Saint-Aubin-du-Cormier. Dans un document annexe signé du jeune marié, Hippolyte prenait son nom, il était devenu son fils.
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Après ce fugace moment de bonheur, le répit fut de courte durée. Une semaine, ne s’était pas écoulée, que le concierge Boisloux compris avec l’arrivée de plusieurs charrettes que le bureau d’Armand Herman avait provoqué les dénonciations. Comment s’y était pris le juge du tribunal révolutionnaire ? C’était un mystère, mais l’évidence était là. Un bataillon de garde française était devant la prison, et l’homme qui le convoqua, le capitaine du contingent, tout de suffisance, présenta une liste qui lui sembla exagérément sans fin. Il n’avait d’autre choix que de rassembler tous les prisonniers.
La cloche se mit à tout rompre dans les murs de la prison. Que se passait-il ? Les prisonniers comprirent de suite qu’un drame s’annonçait. La cloche avait le son du glas. Ils se regroupèrent dans l’ancienne église du couvent, où, sur une estrade remplaçant l’autel, visiblement mal à l’aise, le concierge attendait, encadré de gardes. Les cœurs battaient la chamade. Chacun s’accrochait aux siens. Edwin se pencha vers Edmée et lui donna un sourire contrit. Les yeux limpides de la jeune fille plongèrent dans les siens, ils brillaient de la peur certaine que c’était la fin. Devant l’injustice flagrante, les mots ne sortaient pas de la gorge du concierge Boisloux. Comme cela ne commençait pas assez vite à son goût, le capitaine, le sourire mauvais, le bouscula et prit la parole.
« – Nous savons que se cachent des dissidents au sein de cette prison qui prépare un soulèvement contre la Convention. Afin de faire régner la justice et part de là la paix, les citoyens appelés vont rendre compte par leur témoignage de leurs exactions. » Les prisonniers étaient médusés, quel était ce tissu de bêtises ? Chacun se regardait cherchant une réponse dans le regard des autres. Mais aussi absurde que cela fût, il leur fallait se plier à l’injonction, ils n’avaient aucune autre solution. Le temps qu’ils réalisent, le capitaine commença à égrainer la liste des noms.
« – André-Jean Boucher d’Argis
– François-Charles-Antoine d’Autichamps
– Louis-Marthe de Gouy d’Arsy
– Joachim-Charles de Soyecourt
– Louis-Armand-Constantin Rohan-Montbazon
– Gallet de Santerre
– Louis de Champcenetz
– Alexandre de Beauharnais
– Edwin Saint-Aubin-du-Cormier…
Au nom d’Alexandre de Beauharnais, mademoiselle de Custine laissa échapper un cri d’effroi et se précipita dans ses bras. Rose s’évanouit, retenue juste à temps par le général Hoche. Quant à Edmée, elle se laissa fondre contre d’Edwin. Le temps, pour elle, s’était arrêté pendant qu’au loin le capitaine continuait sa funeste litanie. Ils avaient une heure pour se dire adieu, car il n’y avait que le mari de Rose pour croire qu’il allait enfin pouvoir se défendre devant le tribunal. « – Maintenant que je vais être jugé, déclarait-il à qui voulait l’entendre, j’aurai enfin la possibilité de me défendre. » La liste n’avait jamais été si longue. Tout semblait s’accélérer. Rose ne pouvait s’empêcher de penser que le lendemain son époux serait sur la guillotine et que la semaine suivante ce serait elle. Elle savait que cela était égoïste, mais elle était une bête acculée. Elle n’avait aucun doute à cela. Les certitudes de Marie-Anne s’étaient envolées laissant la place à la panique. Térésa de son côté sentait la colère monter en elle, que faisait Tallien, avait-il décidé de s’en défaire de cette manière. Elle fulminait d’exaspération.
Les prisonniers en partance pour le tribunal furent appelés. Ils n’y avaient que des hommes, ils se retrouvèrent encadrés et poussés par les gardes. Il fallut retirer Edmée des bras Edwin. Les femmes se précipitèrent contre les grilles. Muettes, elles regardèrent leurs conjoints, leurs pères, leurs frères quitter les lieux. Des larmes silencieuses glissaient sur leurs visages devenus livides. Edmée se précipita dans les étages cherchant une fenêtre donnant sur la rue, mais aucune ne permettait de voir le pavé. Térésa l’avait suivi. « – Edmée aucune ne donne sur la rue, ils les ont murées. Calmez-vous Edmée, doucement, mon petit. » Elle ne put regarder partir le cortège qui lui enlevait à tout jamais celui qui était devenu pour une courte durée son époux et qui avait effacé les horreurs de Joseph. Elle s’écroula, étouffée par le vide qui s’engouffrait en elle. Térésa la prit dans ses bras la berçant comme une enfant.
Le reste de la journée s’écoula en pleurs et en consolations. Trop d’entre eux avaient été touchés par cette fatalité, aucun ne relevait la tête. Certains s’effondraient, d’autres, de façon sporadique, fanfaronnaient, prétendant qu’une fois sortis, ils vengeraient leurs amis, aucun ne relevait vraiment la tête. Plus personne n’avait pour l’heure de mots salvateurs. Un marasme sans espoir était tombé sur la prison des Carmes. Edmée, comme tant d’autres, s’était renfermée sur son deuil. Elle était désespérée, elle réalisait qu’elle avait fini par nourrir un espoir. Elle était perdue, elle ne savait à quoi se raccrocher. C’était trop d’injustice pour elle.
Cette histoire met en scène des personnages réels et des personnages fictifs ainsi que des événements et des dialogues inventés à des fins dramatiques et afin de compléter les vides des biographies. Les illustrations des personnages ne sauraient être confondues avec les personnes réelles.
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