Chapitre 005
La révélation
Une voix la réveilla, c’était plus une lamentation qu’un appel. Philippine ouvrit les yeux, était-ce à nouveau ce fantôme qu’elle n’arrivait pas à discerner. Son ange l’avait rassuré, il ne lui voulait que du bien. Elle se leva, elle revêtit son jupon sur sa chemise, puis passa sa jupe et sa robe par-dessus. Elle prit ses chaussures à la main et sortit le plus silencieusement possible du dortoir dans lequel toutes ses compagnes étaient encore assoupies. Elle découvrit un très gros chat qui paraissait l’attendre. Elle comprit que c’était son animal-gardien, une entité évoluée qui provenait de l’astral pour la guider et la protéger. Ce n’était pas la première fois qu’il venait à elle et bien qu’il changea souvent de taille ou d’espèce, elle le reconnut. Le jour n’était pas levé, elle suivit son gardien et la plainte de l’entité jusqu’à la chapelle. Avant d’y pénétrer, elle agrafa sa pièce d’estomac afin de fermer sa robe et enfila ses chaussures. Elle se rendit à l’autel de la vierge Marie sous le vitrail qui à cette heure ne faisait pas passer de lumière. L’animal était assis devant. Quand elle arriva, il disparut. Elle s’agenouilla face à la statue. Elle attendit l’information de l’entité, c’était un membre de la famille de son amie Catherine, sa grand-mère sans doute. Lorsqu’elle perçut la demande, elle s’effondra. Pendant qu’elle échangeait avec l’esprit, sœur Gertrude, qui entretenait les objets du culte, la découvrit dans la pénombre à peine éclairée de quelques bougies. Elle avait déjà remarqué l’étrange comportement de la jeune fille qu’était devenue Philippine. La première fois, cela l’avait taraudé, puis elle s’était habituée à l’apercevoir à des heures incongrues et des lieux différents, mais elle ne l’avait jamais vue dans cet état. Elle s’approcha d’elle, l’interpella ce qui la fit sursauter. « — Il est bien tôt mademoiselle pour être ici. » La jeune fille se retourna, les yeux rougis par les larmes. « — Mais que vous arrive-t-il ?
— J’ai une mauvaise nouvelle à annoncer à l’une de mes camarades.
— Une nouvelle ? Comment l’avez-vous obtenue ?
— Je ne saurais vous le dire, je suis seulement assurée de cette nouvelle.
— Faites attention, mon enfant. N’allez pas faire de mal à votre amie. Il est possible que ce soit une divagation. »
Philippine se révélait consciente que l’information s’avérait juste et elle essaierait de n’en donner qu’une partie à Catherine.
***
La première des sœurs à prendre conscience de l’étrange comportement de Philippine fut sœur Domitille. Tandis qu’elle la cherchait, elle la découvrit à la chapelle discutant visiblement dans le vide. Sur l’instant, elle crut qu’elle ne voyait pas la personne à qui elle s’adressait. Alors qu’elle allait la remettre à sa place, elle constata qu’elle répondait à quelqu’un devant elle qui paraissait ne pas exister, et ce qu’elle discerna de la conversation semblait cohérent. Elle s’en inquiéta, jusqu’à la réalisation de ce qu’elle avait perçu de cet étrange échange. Elle ne voulut point la mettre en porte à faux, elle la surveilla de plus près. La scène se reproduit à plusieurs reprises dans des endroits différents, mais comme en dehors de cela elle se conduisait en toute normalité, elle estima qu’il n’était pas utile d’avertir qui que ce fût. Quand elle passa sous la tutelle de sœur Blandine, elle la prévint. Lorsque cette dernière la vit, elle ne fut guère surprise. Elle avait entendu ses élèves en parler et elle avait déjà remarqué son comportement, ce qu’elle ne dit pas à sœur Domitille. Elle supposait que la jeune fille se trouvait en lien avec l’au-delà, ce qui ne l’étonnait pas, aussi elle fit de la même manière que son ancienne maîtresse, elle garda cela pour elle.
Le secret ne perdura pas, il finit par remonter jusqu’à la mère supérieure. Celle-ci convoqua les deux sœurs. À leur arrivée, elles découvrirent outre sœur Dorothée, sœur Gertrude, toutes deux assises en face du bureau de la révérende mère. Elles comprirent que l’une était allée prévenir l’autre et que les deux avaient informé la mère supérieure, mais elles ne connaissaient pas le sujet de leur convocation bien qu’elles s’en doutassent. Les laissant debout, de son fauteuil, la mère supérieure, intriguée par ce qu’elle venait d’apprendre, entama de suite la conversation. « — Puis-je savoir ce qui se passe avec Philippine ? » Devant la gêne des deux nouvelles venues, elle poursuivit. « — Sœur Gertrude a trouvé, avant que le jour ne soit levé, Philippine parlant dans le vide dans la chapelle. Celle-ci était bouleversée. Il semblerait, si j’ai bien compris que cela ne soit pas une nouveauté. Depuis quand ces étranges conversations durent-elles ? » Elle jeta son regard sur sœur Domitille. Celle-ci prit son courage à deux mains. « — Elle a ce comportement depuis qu’elle est arrivée. Comme en dehors de ces moments, lesquels m’ont surpris, je dois l’avouer, tout allait pour le mieux, je l’ai gardé pour moi. Bien évidemment lorsqu’elle a atteint ses quatorze ans et qu’elle est passée sous la gouverne de sœur Blandine, j’ai prévenu cette dernière. » Sœur Élisabeth se tourna vers celle-ci et attendit son retour. Un peu embarrassée, elle répondit au regard. « — C’est un fait, révérende mère, je suis intimement persuadée que Philippine est connectée avec le royaume céleste, avec des entités ou des anges. De plus, ses camarades s’avèrent conscientes de son étrangeté, mais elles ne l’écartent pas de leur groupe, je dirai même qu’elles la protègent. Cela ne leur fait donc pas peur. » Sœur Domitille confirma les allégations de la nonne. La révérende mère leur tourna le dos et regarda par la fenêtre. Elle laissa errer ses yeux au-delà des murs d’enceinte, sur les vignes. « — Ainsi c’était cela ce qu’elle avait perçu. C’était cela le mensonge de la nourrice et l’information erronée de la grand-mère. Le renseignement avait mis du temps à lui parvenir ». Elle reprit. « — Sœur Blandine, vous m’enverrez Philippine, je la verrai en tête à tête, j’estime que cela est mieux. Ne serait-ce que pour elle. Il ne faut pas l’effrayer et la préserver. »
***
Pendant la récréation du matin, Philippine entraîna Catherine et Fortunée dans un endroit isolé loin des autres pensionnaires. Elles s’installèrent à l’ombre d’un chêne sur un muret entre le jardin d’agrément et le potager. Les fleurs embaumaient les lieux sous un ciel où commençaient à courir quelques nuages. Prenant son courage à deux mains, Philippine se lança. « — Catherine, je sais que ce que je vais te dire peut paraître invraisemblable, mais demain un membre de ta famille va venir te chercher ainsi que ta sœur aînée. Je pense que c’est ton oncle. » Ses deux camarades avaient depuis longtemps compris, même si elle le présentait de façon subtile, en détournant l’information, qu’elle avait connaissance de l’avenir. C’est comme cela qu’elle leur avait annoncé le départ ou l’arrivée de plus d’une de leurs compagnes et dans l’élan ce qui risquait de les atteindre. « — Mais pourquoi vient-on me chercher ?
— Je pense que c’est pour un enterrement, il semblerait que l’un des membres de ta famille soit mort.
— Un décès dans ma famille ? Mais as-tu une idée de qui cela peut-être ?
— Je ne veux pas dire de bêtise, mais il apparaîtrait que c’est ton père.
— Ah… Mon père… mais je reviendrais ensuite ?
— Oui, bien sûr. De toute façon, nous quitterons ces lieux toutes les trois en même temps. »
Philippine, tout comme Fortunée, fut surprise de sa réaction, elle la trouvait indifférente devant cette nouvelle. Cela paraissait ne pas l’avoir touchée. Elle ne pouvait savoir que Catherine avait toujours porté rancune à son père de l’avoir abandonnée au couvent, car elle comme sa sœur, ne recevait pour ainsi dire pas de visite. La grand-mère et la nourrice de Philippine venaient bien plus souvent. Le seul fait qui la rassurait, c’était d’être assurée de revenir auprès de ses amies.
***
La révérende mère attendait Philippine dans le salon jouxtant son bureau, suite à la réunion. Bien sûr, sœur Blandine devait trouver la jeune fille, car c’était un moment de la journée où les pensionnaires vaquaient à leurs occupations, devoirs ou autres. Elle se demandait comment elle allait aborder cette situation si particulière. D’une des portes-fenêtres donnant sur un balcon, elle apercevait au loin un orage, les nuages apparaissaient de plus en plus sombres. Elle espérait que ce n’était pas un mauvais signe. On frappa à sa porte, elle se leva et alla l’ouvrir elle-même. Elle ne voulait pas inquiéter la jeune fille, elle ne lui voulait pas de mal.
Philippine avait été surprise par la demande. Depuis sept ans, qu’elle résidait au couvent, jamais elle n’avait vu la mère supérieure en tête à tête. Elle supposait que sœur Gertrude avait fait part de son tourment. Elle n’était point effrayée, elle savait qu’elle ne quitterait pas les lieux avant deux ou trois ans. Pour l’instant, son ange, comme les entités qu’elle rencontrait, ne lui avait pas donné de supplément d’informations, hormis qu’elle partirait avec ses deux amies.
« — Bonjour, Philippine. Asseyez-vous mon petit. J’ai besoin de vous parler d’une inquiétude qu’une sœur m’a rapportée. Sœur Gertrude vous a découvert ce matin très bouleversée par une nouvelle que vous auriez reçu si je ne m’abuse de l’au-delà. Puis-je connaître laquelle ? »
Philippine fut surprise, bien sûr elle se trouvait dans un couvent, mais la sœur supérieure n’avait pas l’air de douter qu’elle puisse être en connexion. « — Mon enfant, vous n’êtes pas la première à avoir ce don. Je n’avais, je l’avoue, jamais eu d’élèves avec ce potentiel, mais j’ai au moins eu une sœur qui avait ce genre de liaison. Et je suppute que nous en détenons une autre en ce moment, mais elle le cache bien. Alors que pouvez-vous me dire ce que vous avez entendu ?
— Ma mère, une entité de la famille de Catherine de Rauzan m’a annoncé le décès de son père. De plus, demain, son oncle va venir la chercher avec sa sœur.
— Voilà une bien mauvaise nouvelle. Je suppose que Catherine le sait déjà ?
— Oui ma mère, mais elle n’a guère eu de réaction.
— Ce n’est pas plus mal. Philippine, il faut que vous fassiez attention à l’avenir. Je ne voudrais pas que l’on vous prenne pour une sorcière. Cela fait longtemps que l’on n’en a pas brûlé, mais tout de même. Tant que vous demeurez dans l’abbaye, nous pouvons vous protéger, mais une fois que vous nous aurez quittés cela peut devenir très dangereux.
— Je vous promets dorénavant de faire attention, ma mère, bien que ce ne soit pas toujours simple, car elles m’interpellent à n’importe quel moment.
— Mon petit, c’est vous qui devez décider et non elles. Ne l’oubliez jamais, de plus je suis sûre que vous le savez déjà.
— Oui ma mère, j’ai été prévenue.
— Bien, vous pouvez retourner en classe. Si vous obtenez d’autres informations de cette ampleur, venez m’alerter s’il vous plaît. »
La jeune fille acquiesça et partit. La mère supérieure se mit à réfléchir. Elle n’avait pas été surprise par ce don. Une de ses amies, qui comme elle était rentrée au couvent, avait elle aussi le même don, mais elle avait concrétisé ses vœux. Ce qui l’inquiétait plus c’était le destin de Catherine de Rauzan. Si son père était réellement mort, la famille posséderait encore moins de fortune, qu’allait devenir cette dernière ? Sa sœur allait s’engager dans les ordres. Pour elle, ce serait plus simple, d’autant que l’abbaye détenait déjà sa dot. Elle attendrait demain afin de savoir si Philippine avait raison.
***
Le lendemain, comme annoncé, Monsieur de Rauzan, l’oncle de Catherine, vint la chercher avec sa sœur. Son père venait bien de décéder.
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Cette histoire met en scène des personnages réels et des personnages fictifs ainsi que des événements et des dialogues inventés à des fins dramatiques et afin de compléter les vides des biographies. Les illustrations des personnages ne sauraient être confondues avec les personnes réelles.
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