L’orpheline/ chapitre 010 et 011 première partie

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Chapitre 10

La tempête

Le vaisseau à peine entré dans le golfe du Mexique, le ciel s’était couvert de nuages sombres. Cela avait contrarié le Capitaine, voilà que si près du but, il risquait d’être confronté à une tempête. Ce jour-là, la pluie se mit à tomber dès le milieu de l’après-midi. Ne voulant pas laisser cloitrer les sœurs et leurs demoiselles, ils les avaient invitées à se réfugier dans sa cabine. Elle se révélait un peu plus vaste que leur dortoir et elles pouvaient s’assoir plus confortablement sur les banquettes et elles détenaient plus de place pour se distraire. Armand et Arnaud-François les retrouvèrent, l’averse devenant plus drue. 

Elles passèrent le reste de l’après-midi à converser, à jouer aux cartes sous le regard plein de préjugés des sœurs, jusqu’à ce que le Capitaine et son second Henri Lamarche les rejoignent pour le repas du soir. Le docteur Revol et monsieur de Miossens-Sanson les avaient précédés. Le souper se déroula bien, la table agrandie de rallonges était assez longue même si les convives étaient quelque peu serrés pour s’y tenir. La pluie martelait le navire, il s’avérait difficile de l’oublier. Tout à coup, Philippine vit son animal-gardien devant la porte. Il avait pris la forme d’un loup. « — Philippine, vous devez vous rendre au dortoir au plus vite. Vous devez y rester et en aucun cas vous ne devez en sortir. Une tempête arrive et va secouer fortement le bâtiment. Ne t’inquiète pas si tout le monde respecte les recommandations, il n’y aura pas de mort. » Déstabilisée, Philippine se retourna vers sœur Blandine et sœur Domitille. « — Mes sœurs, maintenant que nous avons fini le souper, nous pourrions peut-être nous rendre au dortoir. » Catherine et Fortunée avaient de suite constaté que leur amie voyait quelque chose qu’elles ne distinguaient pas. Théodorine s’agaça aussitôt de la proposition, elle n’avait aucune envie d’aller se coucher, au contraire de Gabrielle qui avait compris que la jeune fille ne parlait jamais sans raison. Sœur Blandine acquiesça, elle aussi avait perçu quelque chose de néfaste. Suivant les sœurs, toutes se levèrent, sœur Domitille réclama une lanterne détenant une bougie afin de pouvoir éclairer leur chemin. À ce moment-là, le voilier tangua fortement déséquilibrant Théodorine qui eut juste le temps de se rattraper au dossier du banc sur lequel elle avait été assise. Le Capitaine trouva judicieuse la réflexion de Philippine, car il se devait de retourner sur la dunette. Il retint Armand sous prétexte de lui fournir à lui aussi une lanterne. « — S’il vous plaît, Capitaine, pouvez-vous fermer les portes des coursives donnant sur l’extérieur, afin d’éviter que l’eau n’y pénètre?

— Bien sûr Capitaine, pas de problème. » 

Armand comprit de plus qu’il fallait que tout le monde reste dans sa chambre, ce qu’il surveillerait. 

***

Éclairées par une bougie dans une lanterne tenue par Arnaud-François et sœur Domitille, les jeunes filles accédèrent non sans mal à leur dortoir. Le navire commençait à tanguer tellement que garder l’équilibre leur était difficile tant le bâtiment était secoué par la mer dont les lames de fond se creusaient de plus en plus. Elles se mirent en chemise et se glissèrent sous leur drap, la plupart tirèrent leur couverture, la température avait chuté. Sous l’assaut des vagues, le Mercure souffrait. Les mâtures craquaient bien que le Capitaine ait fait effectuer la descente de toute la voilure. Le pont roulait sous les pieds des marins qui essayaient de maintenir un minimum de stabilité. En se rendant sous l’entrepont, force avait été de constater la noirceur du ciel. Il se révélait sombre à en avoir des frissons dans le dos. Les nuages obscurs ne permettaient pas d’entrevoir la lune qui pourtant était pleine, pas plus que les constellations alentour. Vers minuit, la mer devint de plus en plus irrégulière et les vagues brutalement abruptes. Dans le dortoir, c’était l’épouvante tant elles étaient secouées. L’animal gardien de Philippine s’était dédoublé et était posté devant chacune des portes qu’il avait bloquées. Armand et Arnaud-François s’étaient installés dans des fauteuils fixés au plancher à chaque bord de la pièce afin de ne pas les laisser seules. Prise de panique, Théodorine se leva, mais fut rejetée sur sa couche, ce qui la fit crier. Sœur Domitille, allongée à ses côtés, essaya de la rassurer.

Sur le pont, le Capitaine tenait la barre qu’il n’avait pas voulu abandonner à son timonier. Les vents étaient devenus contraires. La brume recouvrait l’horizon empêchant de voir où guider le voilier. L’équipage était tétanisé au bord de la panique. Ils étaient de toute évidence perdus au milieu du golfe, seuls sur ces étendues qui se déchaînaient. Le capitaine de la Faisanderie avait fait carguer les perroquets, fermer l’artimon et d’autres mesures de rigueur. Un coup de vent soudain ébranla le bâtiment. Il s’inclina à prendre l’eau sur le plat-bord. Après une habile manœuvre l’amenant à se relever, fouettés par les bourrasques, les marins coururent sous la misaine. Le capitaine essayait tant bien que mal de calmer la peur omniprésente au sein de son équipage. Ils avaient demandé aux gabiers de descendre dans les soutes, pour l’instant ils n’avaient pas de raison de se trouver sur le tillac. Des trombes d’eau frappaient le navire. L’orage s’installait. Tous entendaient le tonnerre gronder au-dessus d’eux. Ce bruit assourdissant ne faisait qu’aggraver l’affolement général. Le courant commençait à devenir fort, la mer s’agitait de plus en plus rudement. Le fracas des immenses vagues déboulant sur les ponts couvrait le vent violent. Dans le dortoir, toutes interprétèrent ce temps-là comme un présage d’apocalypse. Sur la dunette, le capitaine finit par admettre qu’il ne pouvait plus manœuvrer le bâtiment. L’inquiétude se lut sur son visage, la barre ne répondait plus. Ils semblaient voués à affronter la tempête, ils n’avaient plus le choix. Il le laissa voguer selon le rythme des vagues qui se creusaient de plus en plus. Les flots s’infiltraient dans tout le vaisseau. Sous les ponts, c’était la panique générale, étrangement dans la chambre des sœurs et des jeunes filles cela ne se produisait pas. Elles entendirent tout à coup le Capitaine hurler. « – Que tout le monde garde son calme, restez à vos postes ! »Suite à cette injonction, des murs d’eaux se brisèrent sur le tillac provoquant des ressacs sans fin. Face aux mouvements chaotiques du bâtiment, elles s’accrochaient tétanisées à leurs literies, que ce fussent elles ou l’équipage, personne ne pensait en sortir vivant, tous priaient. Les rafales redoublèrent de violences. Les ondes, les remous se succédaient sans trêve. Le naufrage semblait inévitable. Le vaisseau paraissait chavirer tant il se penchait de bâbord à tribord. Il allait se retourner, se démanteler, finir par s’enfoncer dans les abîmes, dans les profondeurs de l’océan. Son équipage allait périr, quand le Capitaine découvrit une porte de sortie. Il tourna la barre à tribord, ils pouvaient fuir la tempête. Il ne percevait plus d’éclairs de ce côté. Étrangement, le navire y glissa sans faillir. La mer se calma, les vents baissèrent d’intensité, la pluie s’interrompit. 

Lorsque les nuages s’écartèrent de l’horizon, le soleil commençait à se coucher. Ils se situaient dans une des baies de l’île de la Balise, bien qu’apeurés, tous mirent timidement le nez dehors. L’animal gardien de Philippine s’étant évanoui dans l’univers, elle sut que c’était fini. Elle fut la première à se lever à enfiler sa jupe et son corsage. Elle fut suivie de ses camarades et des sœurs. Les deux hommes restés avec elles prirent les devants afin de voir si elles pouvaient vraiment sortir de dessous l’entrepont. Le Capitaine avait jeté l’ancre, la tempête avait duré toute la nuit et tout le jour, personne ne l’avait réalisée effrayé par le cataclysme. 

Chapitre 11

L’arrivée

Tous respiraient, la tempête était finie. Ils se trouvaient en sécurité. Philippine avec Catherine et Fortunée, appuyées sur la rambarde, observaient des pélicans, oiseaux qu’elles n’avaient jamais vus. Ils se situaient debout sur de longues masses de boue. Ils s’envolèrent à la vue d’une embarcation qui venait vers eux. Le capitaine ordonna à ses marins de placer l’échelle de coupée le long de la coque afin de permettre à leurs nouveaux arrivants de monter à bord.

Le commandant du fort de la Balise avait envoyé l’un de ses capitaines. Ce dernier à peine sur le tillac fut étonné de découvrir les jeunes filles sur l’entrepont. Il n’effectua aucune remarque et salua le capitaine du Mercure. « — Bonjour Capitaine, je suis venu vers vous à la demande de monsieur le commandant supérieur du fort de la Balise, monsieur Francois-Charles de Salettes.

— Bonjour capitaine, je suis Paul Louis de la Faisanderie. J’ai le plaisir de connaître votre supérieur. Si je puis me permettre, comment vous nommez-vous?

— Oh! Excusez-moi. Je suis le capitaine Antoine-Simon de Magny.

— Enchantez monsieur, je suppose que vous vous trouvez là pour savoir comment nous nous portons.

— Effectivement monsieur.

— Nous avons eu beaucoup de chance, car au milieu de ces tourments nous n’avons eu aucune perte. Par contre, nous allons être obligés d’opérer quelques réparations. Comme vous pouvez voir, notre voilure a eu quelques accidents. 

— Si vous voulez, pendant ce temps nous pouvons loger vos passagers?

— Ce sera avec plaisir. Ces jeunes filles sont des « filles à la cassette » et elles sont accompagnées de sœurs qui se rendent au couvent des ursulines de La Nouvelle-Orléans et du capitaine de la garde royale, monsieur de Pignerolle, et de son subalterne, monsieur de Magny. Cela fait dix personnes, cela est-il possible?

— Il n’y a aucune complication, nous possédons un bâtiment prêt à recevoir des voyageurs qui désirent accomplir une escale. Par contre, mon embarcation ne pourra détenir tous les passagers en une fois, je réaliserai donc un aller-retour.

— C’est sans problème, monsieur de Pignerolle effectuera le premier voyage avec vous et une partie des passagères. »

***

En compagnie d’Armand de Pignerolle, Philippine, Catherine, Fortunée et sœur Blandine effectuèrent le premier voyage. Le capitaine de l’embarcation leur avait laissé le temps de préparer un sac afin de pouvoir emporter de quoi se rafraîchir. Elles furent les premières à découvrir les lieux. Le fort était construit sur une petite île à l’embouchure du Mississippi qu’elles ne percevaient pas tant il y avait d’îles. L’ensemble ressemblait plus à des marécages. Au fur et à mesure qu’ils s’approchaient du débarcadère, le capitaine décrivait ce qu’elles voyaient. Lorsque le fort fut bâti, ils avaient installé une batterie à eau, un poste militaire, des entrepôts, une poudrière et une chapelle, sur une rive formée de pieux. 

Elles mirent enfin les pieds sur la terre, ce fut une joie pour elle d’être sur un élément enfin stable. Elles furent accueillies chaleureusement par le commandant du lieu qui s’avéra curieux de connaître leur présence sur le vaisseau, ce que lui expliqua le capitaine de la garde royale après s’être présenté. Le commandant du fort les fit mener vers un des deux corps de caserne qui détenait deux pavillons. Le deuxième était préparé pour donner l’hospitalité aux voyageurs. L’autre bâtiment était habité essentiellement par le commandant et les officiers. Les soldats de la garnison étaient logés dans le premier corps de la caserne. Le capitaine qui les accompagnait leur expliqua qu’ils se trouvaient une cinquantaine dans les lieux. Une fois dans le pavillon, le capitaine laissa Armand leur distribuer les chambres qui pouvaient recevoir deux personnes dans chacune d’elles. Philippine et Fortunée en prirent une, Catherine en choisit une, qu’elle partagerait avec sa sœur, sœur Appoline et sœur Domitille et sœur Blandine occuperait celle d’en face, Théodorine et Gabrielle, celle d’à côté. Avec pour compagnon Arnault-Francois, Armand avait opté pour la première pièce, celle qui se trouvait la plus près de l’entrée. Le capitaine lui avait donné les clefs du pavillon afin qu’il puisse le fermer quand tout le monde se situerait à l’intérieur. 

Elles découvrirent, depuis l’étage, sous les derniers rayons du soleil, un village. Elles apprirent par la suite que c’était les familles des pilotes fluviaux et des pêcheurs qui l’occupaient. Une heure plus tard, toutes se retrouvaient là et s’étaient rafraîchies. Elles se sentaient à nouveau propres et allégées de ce qu’elles venaient de vivre même si leurs entrailles s’avéraient encore nouées. Le capitaine leur avait fait porter par l’intermédiaire de femmes de pêcheurs un service de toilette destiné à leur toilette. Comme les habitations ne bénéficiaient pas d’eau courante, il était composé d’une vasque, d’une cruche, et d’un porte-savon. Ils avaient été déposés sur les coiffeuses. 

Elles partagèrent le repas du soir avec le commandant et ses capitaines, le capitaine du mercure, ses seconds, son médecin son commissaire de bord et bien sûr Armand et Arnaud-François, assis entre eux et elles. Écoutant les échanges qu’ils avaient, elles apprirent plus d’une nouvelle, notamment que les pilotes s’avéraient essentiels pour aider les voiliers à naviguer vers la Nouvelle-Orléans à travers les passages mouvants, les courants et les bancs de sable du front du delta de la rivière. Elles furent rassurées quand le commandant expliqua qu’à la demande du gouverneur de la colonie un chenal avait été creusé pour faciliter le passage des grands navires. Ils pourraient louer les services d’un pilote pour guider le bâtiment jusqu’à La Nouvelle-Orléans ou, en cas de trop fort tirant d’eau, s’ils préféraient, ils pourraient transborder leur cargaison sur des bateaux plus petits qui poursuivraient le voyage.

Philippine et ses compagnes passèrent deux jours et trois nuits sur l’île avant de reprendre leur périple vers La Nouvelle-Orléans. 

*** 

Ce fut lors d’une de ces nuits que dans ses rêves arriva sa mère. Anne Bouillau-Guillebau sortit de la lumière auréolée par celle-ci. Elle avança jusqu’à sa fille. Philippine, dans une très jolie robe en damassé doré, était assise dans une bergère recouverte de tissu sombre. Bien qu’étonnée, elle était assurée que sa mère détenait une information qu’elle devait lui livrer. Elle l’attendit. « — Bonjour, Philippine, t’es-tu remise de ce voyage tumultueux?

— Oui mère. Si je puis me permettre, tu n’es plus un fantôme?

— Non mon enfant, je suis entrée dans la Lumière et maintenant je fais partie des gens qui peuvent t’aider où que tu sois. Un fantôme reste sur son lieu de vie ou de mort. C’est pour cela que tu avais du mal à me percevoir à l’abbaye, mais une fois que nous siégeons dans la Lumière nous pouvons nous mouvoir où nous voulons, et nous montrer si nous le désirons.  

— Mais comment fait-on pour entrer dans la Lumière?

— On t’appelle, mon enfant. C’est ton arrière-grand-mère qui m’a interpellé. J’ai entrevu un tunnel sombre qui ne me donnait aucune crainte, j’ai été attirée par une lueur inconnue devant laquelle je devinais une silhouette puis un groupe de personnes. Je me suis avancée et là j’ai vu des arbres gigantesques, magnifiques et une multitude de fleurs aux teintes chatoyantes et une douce lumière malgré son intensité. Face à moi s’ouvrait un jardin merveilleux, un océan de beauté! J’étais subjuguée par l’immense clarté que j’apercevais au-delà de la forêt et par l’atmosphère de paix qui y régnait. Ma grand-mère m’a pris la main, je me suis laissée faire et j’ai suivi un groupe dont je connaissais chacun d’entre eux, je suis entrée. 

— C’est merveilleux, extraordinaire.

— C’est un fait Philippine, mais tu en es loin. Tu as encore beaucoup de chemin à accomplir. 

— J’espère mère, mais je suppose que tu n’es pas venue juste pour me raconter cela

— Exact! Je suis là pour te parler de l’épouse de ton oncle et père, car c’est le début de la fin de celui-ci.

— Ah! Bon.

— Oui. Étrangement, il s’avérait réellement amoureux de sa femme, au point qu’il lui a acheté un hôtel particulier dans le centre de Bordeaux. Il l’a acquis auprès d’un parlementaire. Tu auras en outre le plaisir d’y séjourner. Toujours est-il qu’il n’a plus eu d’aventures. La malheureuse est décédée des suites de sa dernière fausse couche, elle en a eu trois. Le seul enfant qu’elle a mis au monde est mort d’une épidémie de rougeole. Paul-Louis est ravagé, il a fui Bordeaux et n’y reviendra plus. 

— Cela doit te satisfaire.

— À vrai dire, non! Une fois que tu existes dans la lumière, tout ce que tu as vécu sur terre reste en toi, mais finit par se métamorphoser en action anodine. En fait, c’est un apprentissage, aussi nous pardonnons et devenons empathiques. Je suis juste là pour t’éclairer, car c’est le début de sa fin.

— Il va mourir!

— Pas tout de suite, tu dois vivre une courte vie en Louisiane. Je vais te laisser maintenant que je t’ai donné mon message. Je reviendrai le moment voulu. Au revoir, mon enfant, porte-toi bien. »

Suite à ses mots, elle s’effaça de son champ visuel. Philippine resta sur sa bergère un instant. Quel impact cela allait-il avoir sur elle ? De plus, il semblerait qu’elle retourne un jour dans sa région. Tout cela était insolite, pourquoi se trouvait-elle là ? 

***

Il leur fallut un peu plus de huit jours pour remonter le trajet de trente-cinq lieues allant de la Balise à la capitale de la colonie. Le courant du Mississippi s’avérait extrêmement paisible et était souvent rompu par de nombreux coudes qui en restreignaient la force. Le navire précédé de l’embarcation du pilote traversait une région immense, et presque plate. De plus, le concours des vents, si utiles à la navigation, à cause du changement brusque et fréquent des courbes du fleuve, ne servait à rien ou pas à grand-chose. Bien qu’ils découvrirent la plaine alluviale au cours des continuels méandres chargés de vase, cette navigation se révélait interminable et sans fin pour les voyageurs. Comme tous les jours les demoiselles, les sœurs suivies d’Armand et d’Arnaud-François montaient sur l’entrepont. Elles profitaient de la fraîcheur matinale, d’autant que le soleil générait une chaleur qui devenait étouffante au fil de la journée. Ils allaient de surprise en surprise contemplant les grèves du fleuve, elles détenaient visiblement sur chacune de ses rives de grandes zones de marais et de forêts qui abritaient une faune et une flore des plus riches. Les quinze à vingt premières lieues n’offraient qu’un paysage monotone noyé par les flots. Il se révélait inhabité et inhabitable. Philippine n’aimait guère le lieu qu’elle observait, car il n’existait qu’une végétation informe et sauvage, des joncs humides ou des arbres dont les troncs croupissaient dans la bourbe. En outre, les rives étaient entourées de cyprès chauves recouverts de « mousse espa­gnole » aux racines résurgentes, sur lesquelles venait se prélasser une faune inconnue qui l’inquiétait tout comme ses amies. Elles virent de multiples oiseaux et à leur plus grand effroi une bête immonde, que le second, Henri Lamarche, appelait un alligator. Il leur expliqua qu’ils proliféraient le long des bords du Mississippi. Dès l’apparition du plus faible rayon de soleil, sans compter les reptiles divers, les insectes pullulaient et leurs piqûres causaient des douleurs presque insupportables. Hormis les alligators, Philippine et ses compagnes découvrirent dans les lieux des animaux comme les chats sauvages en passant par les hérons bleus, pélicans bruns, ibis, hiboux, aigrettes, canards et loutres, ainsi que de dan­gereux serpents mocassin. De plus, le matin, le bayou prenait un aspect fan­tasmagorique à cause des brumes et des vapeurs végétales. Philippine se demandait ce qu’elle faisait là, Armand ayant compris ses doutes la rassura, elle apprécierait la Nouvelle-Orléans. Elle n’en était pas sure, elle était emplie de scepticisme. Elle faisait bien sûr confiance en son ange gardien, mais elle avait du mal à se projeter dans ce nouvel univers. 

Ce fut à environ quinze lieues au-dessous de la Nouvelle-Orléans qu’elles commencèrent à percevoir les établissements de la Colonie et une population d’esclaves et de surveillants. Si Théodorine s’imaginait déjà dirigeant une plantation, ses compagnes ne se sentaient guère à l’aise avec l’idée. Philippine comme Fortunée et Catherine se révélaient contre cette démarche à cause de l’esclavage, qu’elles estimaient extrêmement néfaste. Les premières propriétés étaient peu de chose, et ne présentaient qu’une langue de terre cultivable entre le fleuve et des marécages. L’espace s’avérait tellement resserré, que cela donnait l’impression de pouvoir le toucher. Après avoir dépassé ce coude, que formait le Mississippi, appelé le Détour des Anglais, elles découvrirent un petit nombre de moulins à scier le bois, quelques sucreries, et des cultures de légumes et de vivres, le tout disposé en rangs perpendiculaires le long des rives cours d’eau. Elles commencèrent à être rassurées sur leur prochain futur.

***

Les voyageurs surent qu’ils arrivaient enfin à destination à la vue d’un ensemble de digues hautes d’un à deux mètres, appelées des levées d’après les dires du second qui ne se situait jamais loin d’elles. Elles avaient été mises en place afin de protéger la ville des crues brutales du « père des eaux » comme on nommait le Mississippi. Derrière celles-ci, les passagers finirent par apercevoir des arbres en fleurs et les toitures des maisons. Devant la cité, le fleuve formait une anse demi-circulaire très évasée. Il tenait lieu de port. Les bâtiments venaient mouiller tout du long, l’un à côté de l’autre. Ils pouvaient s’immobiliser si près du rivage qu’au moyen de deux fortes traverses planchéiées en forme de pont, les voyageurs pouvaient débarquer et l’équipage décharger les marchandises avec la plus grande facilité. Le groupe installé sur l’entrepont était ébahi, dans la baie circulait une myriade de pirogues, de barges et de petits navires côtiers à un ou deux mâts. Les quelques voiliers, tel le leur, qui s’aventuraient à La Nouvelle-Orléans s’amarraient en aval de la place des Armes. Les autres embarcations de plus faible tonnage jetaient l’ancre au niveau de la digue, en face de la zone de marché située en amont de la ville.

Le vaisseau à peine arrimé, Théodorine avait décidé de descendre la première, mais sœur Blandine l’avait arrêtée dans son élan. La jeune fille avait été contrariée, elle désirait qu’on la remarque, elle ne voulait surtout pas passer inaperçue. « – Voyons Théodorine, quelle est ton intention? Nous devons attendre que l’on nous conduise au couvent, vous avez besoin de vous rafraîchir. Vous devez vous présenter sous votre meilleur jour. »  L’interpelée ne rajouta rien, elle devait admettre que la religieuse avait raison.

Un peu plus tard, précédées des sœurs, Philippine et ses compagnes, suivies d’Armand et d’Arnaud-François, descendirent sur la digue. Les jeunes filles découvrirent la place dénommée, la place d’armes. Le second qui les avait rejoints leur montra ce qui s’y trouvait, la cathédrale Saint-Louis, la demeure du gouverneur d’un côté et les casernes en face. Sur les quais étaient aménagés des magasins, un hôpital, et des maisons cossues jouxtaient des entrepôts. De là, elles remarquèrent des rues bien alignées et assez larges, il les informa que c’était le plan de la ville envisagé par le roi Louis XIV, toutes les rues étaient en angle droit. Le groupe aperçut une multitude de personnes sur le débarcadère qui portaient des caisses, tirait des sacs, des charrettes. Il y avait des individus blancs, pour la plupart visiblement des négociants, des militaires, des nantis au vu de leurs habits et des hommes noir torse nu transportant des charges. Ils découvrirent aussi des êtres pour ainsi dire dans le plus simple appareil. Henri Lamarche leur expliqua que c’était des Amérindiens, ils étaient considérés comme des sauvages. Philippine ne se trouvait guère enthousiaste, elle sourit tout de même à Catherine et à Fortunée pour les rassurer. Après tout, elles allaient vivre là. Étrangement, Philippine se souvint qu’elle n’allait pas y rester, cela la soulagea, mais elle ne savait pas ce qui la ferait retourner dans son pays à part la fin de son oncle et père. Pour l’instant, elles attendaient avec leurs protecteurs les voitures qui les mèneraient jusqu’au couvent.

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Cette histoire met en scène des personnages réels et des personnages fictifs ainsi que des événements et des dialogues inventés à des fins dramatiques et afin de compléter les vides des biographies. Les illustrations des personnages ne sauraient être confondues avec les personnes réelles.

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2 réflexions sur “L’orpheline/ chapitre 010 et 011 première partie

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