Pierre Clément baron de LAUSSAT

un Béarnais gouverneur de Louisiane

Pierre Clément de Laussat

 Né le 23 novembre 1756 au Château de Bernadets à Morlaàs et baptisé à l’Église Saint-Martin à Pau, Pierre-Clément de Laussat est décédé en 1838 au Château de Bernadets à Morlaàs, à l’âge de 82 ans. Il fut Administrateur civil, préfet colonial et député.

Carte-SOLLON-2-L’homme est né d’une famille béarnaise de politiciens et auparavant probablement de marchands. Pierre Clément est tout d’abord confié par sa mère, Jeanne Josèphe Daugerot, à une nourrice de Gan. Jean-Gratian de Laussat, son père, débute alors dans les affaires. La famille est installée à Viellenave près Navarrenx depuis le début du XVIIIe siècle. Un pied-à-terre à Pau abrite la famille pendant les périodes de travail. Une fois sevré, Pierre-Clément quitte Gan pour Nay où il reste chez son oncle Daugerot deux nouvelles années puis se dirige vers Salies, où sont installés trois sœurs et un frère de Jean-Gratian. Élevé avec ses cousins, l’adolescent fait ses humanités sous la direction d’un jeune jésuite, de 1762 à 1772. Enfin, fort de cette première instruction, Pierre-Clément retourne chez ses parents, au château de Bernadets acquis en 1766 et en 1768 achète la seigneurie de Maucor. Pau devient le nouveau centre d’éducation du jeune homme : logique, physique, philosophie et surtout droit. « – Je travaillai mal, je m’étais livré à la dissipation. »

Quoi qu’il en soit, il est maître des arts en 1773, bachelier en 1774, année où ses condisciples le nomment procureur général de l’université de Pau. Reçu avocat au parlement de Navarre en 1775, il part, l’année suivante, étudier le commerce chez son grand-père Daugerot, un des premiers négociants de Bilbao. Ce séjour espagnol l’enchante, mais il éprouve le besoin de parfaire sa culture, et c’est vers Paris qu’il se dirige en 1777.

Il débute des études scientifiques avec un encadrement exceptionnel qui aurait pu le déterminer à faire carrière dans cette branche : Macquer, Valmont de Bomare et Fourcroy sont ses professeurs. Il herborise avec Jussieu. En compagnie de trois de ses camarades – André Thouin (Cours de culture et de naturalisation des végétaux), Louis Guillaume Lemonnier (Leçons de physique expérimentale sur l’équilibre des liquides) et André Michaux (Histoire des chênes de l’Amérique) – Pierre-Clément part herboriser en Auvergne. En chemin, ils rencontrent le chevalier Jean-Baptiste Monet de Lamarck, père de la botanique moderne, et poursuivent leur périple aux côtés de l’illustre savant. À ces grands noms de la science, ajoutons celui d’un compatriote béarnais avec lequel Pierre-Clément entretiendra des rapports amicaux profonds et suivis : Pierre-Bernard de Palassou qui déjà travaille avec ardeur à son « Essai sur la minéralogie des monts Pyrénées ». Les deux Béarnais partagent une ferveur philosophique propre à leur jeunesse. Ils projettent un voyage d’Italie qui ne pourra aboutir.

Dès son installation à Paris, un penchant pour les livres et la bibliophilie se fait jour. Dans l’espoir de figurer au prix proposé par l’Académie française, Pierre-Clément de Laussat se met en écriture. Il fait imprimer en juillet 1779 la première version du « Discours sur l’abbé Suger et son siècle ». Mécontent de cette publication précipitée, conscient de ses lacunes, il retravaille aussitôt son texte, y ajoute une longue dédicace aux États-Généraux de la province de Béarn et, sous le label de Genève, donne une nouvelle version de son « Discours » en juillet 1780. Il imagine alors pouvoir verser dans la carrière littéraire et projette « une Histoire du cardinal de Richelieu » et « un Discours sur chaque siècle de la monarchie française ». De ce dernier texte il laisse une ébauche composée dans les temps de repos de son administration en Martinique. En plus des lettres, il fait quelques essais de peinture dans l’atelier de Prud’homme.

De la fenêtre de l’appartement de son cousin chez lequel il se rend fréquemment, il observe plusieurs fois avec attention et émotion un vieil homme qui passe ses journées à écrire du texte, composer de la musique, donnant de la pâture aux moineaux, sur sa fenêtre, et établissant pour eux une planche de communication couverte de petits grains, jusques à sa table. Ce vieil homme, c’est Jean-Jacques Rousseau, dont Pierre-Clément est un des plus zélés sectateurs. Une autre fois, c’est Voltaire qu’il rencontre lors de son dernier voyage à Paris, dans un escalier dérobé à la sortie de la Comédie-Française. Il accompagne le vieil homme jusqu’à sa voiture tout en bavardant. Par la suite, le jeune voyageur se laissera porter par l’aura bienfaisante de ces deux philosophes et il dirigera ses pas à Genève et Ferney en 1780 puis Ermenonville en 1785.

En quittant Paris, l’été 1780, pour retrouver le foyer paternel, il dit adieu à l’heureuse insouciance de sa jeunesse, et, comme pour profiter des derniers éclats de cette époque initiatique, il emprunte pour le retour et pendant deux mois les chemins de traverse : Dijon, Genève, Lyon, Marseille et Toulouse. De son apprentissage parisien, période importante de sa vie. Il dresse un bilan mitigé : « Je n’y étais devenu profond en rien. J’y avais appris superficiellement les langues et puisé les éléments de plusieurs sciences. »

À Bernadets, il retrouve quelques fidèles amis, tel Jacques Joseph Faget de Baure, le futur président de la Cour Impériale de Paris.

En 1781, Jean-Gratian de Laussat se voit destitué de sa charge de trésorier général de la Maison et Couronne de Navarre à la suite d’un sourd complot ourdi par les peu recommandables frères Pêne, rejetons d’un porteur de chaises de Pau, qui étaient odieux dans le pays.

Pierre-Clément reprend le chemin de Paris afin d’exercer ses talents de tribun et défendre l’honneur familial. Appuyé par ses amis Péborde et Bordenave, il entre en relation avec la duchesse de Gramont qui plaide en sa faveur. Succès ! Jean-Gratian retrouve son poste. Il retourne au pays en 1783, non sans s’être auparavant enivré durant deux années des fastes du grand monde et de l’ambiance feutrée des salons littéraires. Suite à cette affaire, le ministère Calonne décide de modifier la fonction des trésoriers et de les regrouper sous une seule charge de receveur général. Pierre-Clément est pressenti pour rédiger cet édit et ce nouvel office est confié en 1784, sur une nouvelle intervention de la duchesse de Gramont, au jeune Laussat. Cette même année, il est alors Receveur des Finances de l’Intendance nouvellement créée depuis mars 1784 de Pau et de Bayonne. Il installe les bureaux de la recette générale à Pau puis retourne à la capitale.

À l’approche de la Révolution, dans les temps libres que lui laisse sa charge, Laussat se perfectionne en politique. Présenté au Club d’Orléans et au Salon des Princes par le duc de Guiche, Pierre-Clément prête l’oreille aux idées nouvelles de la démocratie et respire le parfum d’extrême liberté du temps. Il se nourrit des pensées des économistes, de Beaumarchais, de Mirabeau qu’il rencontre lors de soirées littéraires chez Madame de Saint-Théan. La révolution d’Amérique suscite son intérêt. Il parfait son anglais et lit Robertson, Hume, Ferguson et Gibbon.

Par l’intermédiaire de son père, alors président du Tiers État du Béarn et maire de Morlaàs, Laussat se fait nommer député aux États-Généraux. À Paris, il fait la connaissance de Necker dont il a lu les écrits d’économie politique, sujet qui le passionne.

Marie-Anne de PebordeEn 1789, Pierre-Clément fréquente à Pau le salon de la comtesse d’Echaux dont la fille, future épouse du général Harispe, est l’amie intime de Marie Anne Josèphe de Péborde, fille de son collègue et ami syndic général des États de Béarn. La famille de Péborde, dont le fief familial est à Cardesse en Béarn, est par ailleurs apparentée à la famille de Laussat. Les jeunes gens se fréquentent assidûment et se promettent fidélité et amour en septembre 1790. À propos de son mariage, il écrivit dans ses mémoires : « – j’en devins épris malgré les temps et les obstacles ; nous nous mariâmes en septembre 1790 tout menacé, tout écrasé, tout abattu, tout écarté que j’étais par les événements de la Révolution. » Entre-temps, notre député retourne à Paris pour voir de près les événements. Démarche, oh combien singulière, alors que tous les Parisiens ne rêvent que de quitter la ville. Au débouché de la rue Saint-Honoré, il voit passer Louis XVI : « Le Roi, son chapeau sur la tête, avait l’air effaré. Je détournai les yeux. Mes larmes s’échappaient. Je pensais au fond de mon cœur que dès ce moment, il n’y avait plus de roi. Le roi était perdu. J’étais navré. »

Durant une année, il observe la révolution et se rend souvent à Versailles pour assister aux débats de l’Assemblée-Nationale. Il est présent le jour où les droits féodaux sont abolis. Compte tenu de la tournure des événements, il se décide à quitter Paris et retourne à Bernadets où il s’installe avec sa jeune épouse, en butte à mille tracasseries. Jean-Gratian de Laussat lègue à son fils la propriété.

Seigneur de Maucor, il venait d’hériter de son père du titre ainsi que de la charge de maire de cette ville, il participa activement à l’élaboration des cahiers de doléances. Ouverture des États généraux à Versailles, 5 mai 1789, Auguste Couder, 1839, Musée de l'Histoire de France (Versailles).Son discours du dimanche 4 janvier 1789, en vue de la préparation des États-Généraux, adressé à l’Assemblée de la Commune de Morlaàs ne manqua pas de noblesse… et d’intérêt : « – Messieurs, permettez que je commence par me féliciter de me trouver en ce moment au milieu de cette assemblée, décoré d’un titre qui attache mes devoirs et, j’ose dire, ma gloire à vos intérêts… Si à l’Assemblée de nos États je vais prendre ma place parmi les possesseurs de fiefs, j’y porte un nom et j’y suis le représentant d’une propriété dont les rapports intimes font de moi un des membres les plus intéressés de votre commune : Maucor est dans votre taillable, son Pasteur Ecclésiastique est le vôtre, et son château s’élevait jadis dans l’enceinte de vos murs. » Il enchaîna : « … Mon père acquit l’Office de maire de Morlaàs en 1772. » Il suffisait alors d’acheter l’office, et il en hérita.

Le 6 mars, étape suivante, les États-Généraux du Béarn préparent ceux de France. Parmi les quatre Députés de la Noblesse désignés pour aller à Paris, deux ersatz de Maucor et le beau-père de Pierre-Clément, monsieur Peborde, titulaire de l’office de syndic des États du Béarn ! Monsieur de Maucôô, titulaire de la charge de Maire d’Oloron, était l’un de ces officiers de petite noblesse, qui appela la Révolution, et Pierre-Clément de Laussat, premier Député de Morlaàs accompagnèrent donc le duc de Gramont et monsieur Peborde ainsi que l’Évêque de Lescar qui représentera le Clergé.

La nuit du 4 août 1789, lorsque l’Assemblée-Nationale vota l’abolition des privilèges, les députés de la noblesse du Béarn dormirent mal. Le beau-père de Pierre-Clément de Laussat, monsieur Péborde, beau parleur, semble avoir été, avec le duc de Gramont, le plus ardent défenseur des privilèges des privilégiés. Les Palois faillirent en venir aux mains. Du côté d’Oloron, le député Maucôô, devenu Mauco simple citoyen, membre de l’Assemblée d’Oloron, signa sagement l’arrêté du 22 août 1789 : « … en conséquence l’Assemblée arrête et déclare par unité de suffrages & par acclamation, qu’elle renonce expressément à tous ses droits, privilèges & exemptions communs & individuels, conformément aux arrêtés de l’Assemblée-Nationale.« 

Menacé d’emprisonnement à plusieurs reprises, Pierre-Clément n’en poursuit pas moins une carrière politique et administrative. Pierre-Clément de Laussat présenté au Roi en 1791 fut nommé trésorier-payeur des Hautes puis des Basses-Pyrénées, suite à la démission de Lamolère de Morlaàs. La même année une première fille, Zoé, voit le jour. Puis viendra Sophie. Le 8 mai 1792, il accède au poste de contrôleur de l’Armée des Pyrénées Occidentales.

De nouveau inquiété pendant la Terreur, c’est Monestier du Puy de Dôme, représentant en mission, qui lui sauve la mise non sans difficulté. Ce dernier lui demande de rédiger un texte sur un thème mis à l’ordre du jour de la société populaire, nouvellement réorganisée. Ainsi paraît le Discours prononcé par Pierre-Clément de Laussat à la société populaire de Pau, dans la séance du quintidi 25 ventôse an II (15 mars 1794) contre le fanatisme et la superstition, publié à Pau chez Daumon. Monestier compte s’en servir politiquement et « en ordonne l’impression à six mille exemplaires et la distribution dans les départements et dans l’armée, de sorte qu’il en résulta une vogue et un éclat extraordinaire. « – Je fus fort honteux de cette explosion. »

La hardiesse des propos tenus lui valut quelques désagréments, et durant le temps de sa carrière parisienne, ses détracteurs s’ingénièrent à lui porter tort en brandissant à la tribune un exemplaire du discours. En Béarn, la famille s’employa à récupérer et détruire le maximum d’exemplaires du fâcheux libelle.

Remis de ses tourments, Pierre Clément, en bon béarnais, sut rebondir.

De juillet à octobre 1794, Pierre-Clément participe activement aux manœuvres de l’Armée des Pyrénées Occidentales dans le nord-ouest de l’Espagne sous la direction d’Harispe. Il assiste à la chute de Tolosa. En juin et juillet 1795, il retourne sur le théâtre des opérations et va jusqu’à Bilbao qu’il revoit avec émotion. En août 1795, naissance à Bayonne de Lysis Baure Pierre de Laussat, unique garçon, pour lequel Pierre-Clément réunira ses souvenirs et rédigera ses mémoires.

Le 17 avril 1797, il devint député des Basses-Pyrénées au Conseil des Anciens (Chambre haute) et vint à Paris défendre avec succès la position de Pau comme chef-lieu de département, que certains voulaient voir transféré à Oloron.

Mai 1797. Laussat est élu au Conseil des Anciens. « Je suis envoyé servir et soutenir la république. Je ne crois pas qu’elle puisse durer ; mais elle ne périra pas de mes mains. Je lui jure fidélité, je lui serai fidèle. »

À la tribune, il prononce une « Défense des commissaires de la trésorerie nationale et une Résolution contre les nobles ». Il est au cœur des événements politiques de cette époque troublée. Il côtoie La Révellière-Lépeaux, Barras, « le spadassin », Roger Ducos, « un niais, natif de Dax, à l’imagination froide, à conversation aride et à républicanisme de parade », Sieyès, « l’aigle de cette compagnie. »

Il rencontre à plusieurs reprises son compatriote Bernadotte. Les voyages à Paris alternent avec les congés à Bernadets. La Révolution ne lui a laissé pour toute fortune que des dettes, qui grèveront ses finances de nombreuses années.

Été 1799. Installation de Madame de Laussat à Paris avec Zoé et Sophie. Lysis et Camille, née en 1797, sont restés à Bernadets. Au mois d’octobre, en compagnie de Cornudet, président du Conseil des Anciens, il se rend rue des Victoires au petit hôtel qu’habite Bonaparte, récemment revenu d’Égypte. « De quels yeux avides je l’observais ! De quelles oreilles attentives, je l’écoutais ! Il ne parla que de choses vagues. Ce qu’il disait me semblait des merveilles. »

Peu à peu, il se rapproche de Bonaparte qui l’invite régulièrement à la Malmaison pour dîner. Membre de la commission législative des Anciens, chargée de rédiger la constitution du 13 décembre 1799, il se rend journellement au petit Luxembourg dans le cabinet du général. « Le Premier Consul se mêlait ombrageusement de tout et malheur aux oppositions qui le contrariaient. Il voulut être consul à vie : je le nommai consul à vie. J’en raisonnais avec notre collègue Carnot. Il me représentait que c’était l’anéantissement, l’assassinat de la République. La République, repris-je, elle a vécu le coup mortel au 18 fructidor. »

Favorable au Coup d’État du 18 brumaire, il entra au Tribunat à sa création, le 25 décembre 1799.

En mai 1801, les Laussat regagnent le Béarn. Jean-Gratian vient de mourir. L’été se passe à la campagne. Lors du retour sur Paris, Lysis et Camille se joindront aux deux aînées et quatorze années s’écouleront avant que la famille ne revoie Bernadets.

Le tribunat tombe en déliquescence et Laussat projette de le quitter. Il lit un jour dans la gazette que Bonaparte s’est fait rétrocéder la Louisiane par l’Espagne. Pierre-Clément rend visite à Bernadotte, pressenti comme gouverneur de cette colonie, et lui précise son intérêt pour ce poste. Soutenu par le futur roi de Suède, il présente sa requête sous forme d’un simple billet manuscrit :

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Deux mois plus tard, il a une réponse :

– Eh bien ! Êtes-vous toujours décidé à aller à la Louisiane ? Est-ce un parti pris avec réflexion et y tenez-vous ?

– Oui, général : je n’ai pas fait légèrement une pareille démarche

– puisque vous le voulez, vous irez à la Louisiane.

Pierre-Clément s’apprête à embarquer pour des terres lointaines en compagnie de son épouse et de ses trois filles. Lysis, qui vient de fêter son septième anniversaire est confié au collège de Juilly.. « Baure et plusieurs amis y avaient reçu des oratoriens une excellente éducation. Je te destinais à la carrière militaire. »

Il avait sollicité et obtenu le 28 août 1802 le poste de Préfet colonial de la Louisiane.

Louis XV et Choiseul, soucieux de ne pas abandonner La Louisiane, en mauvaise position à l’issue de la guerre de Sept Ans, aux Anglais, l’avaient cédée à l’Espagne par un accord séparé en 1762 qui fût entériné par le Traité de Paris de 1763. Bonaparte l’avait ensuite récupérée en échangeant le Grand Duché de Toscane contre le Duché de Parme et la Louisiane (Traité de San Ildefonso du 1er octobre 1800). Cette possession fut de courte durée puisqu’à la suite de la désastreuse expédition de Saint-Domingue, Bonaparte se résout à la vendre aux États-Unis.

Mais Laussat était déjà parti pour la Louisiane depuis le 10 janvier 1803 et y était arrivé le 23 Mars. Dès son arrivée le 26 mars 1803 à La Nouvelle-Orléans, Laussat avait pris son travail à cœur. Il avait découvert une ville de 10 000 âmes, constituées de 4000 blancs, des Français bien sur et des Espagnols, des créoles pour beaucoup, des Allemands, des Suédois, des Suisses et quelques Anglais, 3500 esclaves, 2000 personnes de couleur libres. Complétaient cette population des indiens, des marins en escale, des aventuriers et autres déserteurs, pirates et prostituées. Il salua aimablement la population venue l’accueillir, mais les Orléanais le reçoivent par un silence glacial.proclamation de Pierre Clément de Laussat

Laussat mit beaucoup de temps à comprendre que cette population bigarrée ne souhaitait qu’une chose, être louisianaise avant tout. Certes, ils étaient très attachés à la culture française, la mode, le mobilier, mais ils se distinguaient surtout par une organisation sociale, des coutumes, des mœurs très libres et des activités économiques propres. Et puis, Pierre-Clément, ce citoyen républicain était porteur d’une certaine idéologie nationale française issue de la Révolution. Il fit tout pour gagner le cœur de ces autochtones si stylés et par tradition royaliste. Il participa activement à la vie mondaine de la colonie. Il reçut chez lui les descendants des premiers colons français. Sa jolie et élégante épouse joua un rôle indéniable dans cette opération charme.

Quelques semaines après son arrivée, des bruits coururent que la colonie avait été vendue. Laussat n’en crut pas un mot et demanda confirmation à la République française. Hélas, la France n’avait plus les moyens financiers de se maintenir sur un si grand et si lointain territoire, de plus elle venait d’entamer un nouveau conflit avec l’Angleterre. Alors Bonaparte avait une idée : fortifier la nouvelle République américaine, qui serait certainement une ennemie future de l’Angleterre. Au grand dam de Laussat, qui commentait ainsi cette triste confirmation : « Personnellement, j’avais espéré passer six ou huit ans dans une administration qui aurait au moins doublé la population et l’agriculture du pays… Nous aurions pu installer ici une immense population française. Ce fait seul nous aurait fourni pour toujours une ressource abondante et un débouché pour la mère patrie. »

Entre-temps, l’annonce lui était parvenue, la Louisiane avait bien été cédée aux États Unis le 30 avril 1803. Le Palois Pierre-Clément de Laussat eut le lourd rôle d’assumer cette transition sans heurter les habitants et les nouveaux gouvernants.

Dans le traité de cession, Bonaparte apporte un article personnel : « Que les Louisianais sachent que nous nous séparons d’eux avec regret, et qu’à l’avenir, heureux de leur indépendance, ils se souviennent qu’ils ont été français, qu’ils conservent pour nous des sentiments d’affection et que l’origine commune, la parenté, le langage et les mœurs perpétuent l’amitié ».

Le 30 novembre de cette année eut lieu la passation de pouvoirs entre lui et Manuel de Salcedo, représentant l’Espagne. Le Palois consacra son temps à l’organisation du transfert de souveraineté aux jeunes États-Unis. Sans état d’âme, il organisa la cession qui eut lieu le 20 décembre 1803. Au Cabildo, siège du gouvernement colonial, Laussat, en habit d’apparat vert bouteille, col brodé de feuilles de chêne d’or, bicorne à plume d’autruche, signa l’acte officiel avec James Wilkinson et William Claiborne, les représentants américains. S’en suivit une émouvante cérémonie sur la Place d’Armes de La Nouvelle-Orléans pendant laquelle la bannière française laissa sa place au drapeau étoilé. C’en était fini des rêves américains de la France… la France venait de perdre son fleuron américain, la Louisiane.

Sans l’avoir demandé, il fut aussitôt nommé Préfet colonial de La Martinique en 1804.

Le 21 avril 1804, depuis le bastingage du bateau qui voguait sur le Mississippi, Pierre-Clément de Laussat regarda s’éloigner, avec amertume, La Nouvelle-Orléans. Ce Béarnais né à Pau et arrivé en Louisiane depuis seulement quelques mois avec son épouse Marie-Anne de Peborde et ses trois filles, Zoé, Camille et Sophie, qui avait été nommé ici préfet colonial, voyait un rêve s’achever. Sa déception était aisément compréhensible : la vente par Bonaparte de cette terre française en Amérique avait été réglée en cachette à Paris le 3 mai 1803, peu de temps après son départ. L’ancien administrateur de la colonie se remémorait son court séjour en Louisiane. « Je n’en dirai pas plus de ce pays ; c’est trop douloureux de l’avoir connu et maintenant d’en être séparé… »

Sur le chemin qui le mène en Martinique, colonie où il va passer six années, rien ne le prédestinait à finir sa mission de préfet colonial dans les geôles anglaises en 1809 lorsque les Britanniques s’emparèrent de l’île. Libéré courant 1810, il retourna en France afin de poursuivre sa carrière de préfet. De 1812 à 1814, il exerça les fonctions de préfet à Anvers (1812-1813) et à Mons (1813-1814), puis de préfet du Pas-de-Calais en mars-avril 1815 (Cent-Jours).

château de Bernadets

château de Bernadets

À la Restauration, il resta quelque temps sans emploi puis obtint le poste de Préfet de la Guyane à la demande de Louis XVIII du 25 janvier 1819 au 12 mars 1823 où il conclut sa carrière avant de rentrer en France où Charles X lui rendra son titre de baron. Fatigué, désabusé, Pierre Clément de Laussat se retira ensuite dans son château de Bernadets, près de Pau où il a écrit « Mémoires sur ma vie, Pau, 1831 » et où il mourra oublié de tous en 1835.

Pierre Clément de Laussat a su servir sous les différents régimes qu’il a vu passer ; le plus connu fut sa fonction de préfet de la Louisiane où il n’a pas séjourné même une année.

Une étude de l’Université américaine de Louisiane dit aujourd’hui sans sourire qu’il a été suffisamment intelligent pour servir la monarchie française, survivre à la Révolution, servir la législature de Napoléon, et ensuite le roi Bourbon, Louis XVIII. C’était un vrai Béarnais, diront les Gascons.

D’après le MÉMOIRES SUR MA VIE, À MON FILS.

De Pierre-Clément de Laussat