vie d’un esclave sur une habitation

auteur inconnu

Les différents types d’esclaves dans les ateliers

Dans une habitati1764_habitation 2on, qu’elle soit sucrerie ou caféière, les es­claves ne forment pas un tout homogène. Outre le distinguo créole (né aux Amériques)/bossale (arrivé d’Afrique), il existe une catégorisation selon l’âge et les compétences. Ainsi, les ouvriers (dits aussi esclaves « à talents »), ayant acquis une compétence précieuse (conducteur de cabrouets – charrettes –, tonnelier, charpentier, maçon…) faisant d’eux des ouvriers spécialisés, sont davantage reconnus que le simple coupeur de canne, le « nègre de jardin » simple exécutant. Par ail­leurs, on distingue un petit atelier, composé d’esclaves âgés ou de jeunes enfants, à qui vont par exemple être confiées des tâches de surveillance des animaux domestiques, moins pénibles que les travaux de force qu’assure le grand atelier (récolte de la canne à sucre ou fabrication des sucres en réduisant le jus issu du moulin en une mélasse de plus en plus épaisse, dans l’atmosphère surchauffée de la sucrerie). Working in Sugar Cane Fields, 19th cent.Des commandeurs esclaves, véritables chefs d’équipe, se­condent utilement les cadres blancs de l’habitation ; ce sont des esclaves de confiance, tout comme les domestiques qui, vivant au plus près des maîtres, lavent le linge, préparent la cuisine ou servent de postillon (cocher) pour les hommes, de nourrice pour les femmes. Cette situation privilégiée en­traîne le risque pour ces esclaves de les placer en porte-à-faux par rapport au reste de la communauté servile, mais les positionne aussi en situation plus propice à l’affranchis­sement, lequel dépend de toute façon de la seule volonté du maître, seul apte à distinguer les talents et à récompenser ceux qu’il estime être sujets méritants. À propos du maintien de la discipline, bien des abus ont, malheureusement, échappé à toute mention. Le châtiment du fouet n’est pas un vain mot, les plaies ainsi causées étant ensuite frottées de sel ou d’un mélange de jus de citron et piment pour éviter l’infection (même méthode que pour les marins, sur les navires). À cela, il faut ajouter l’humiliation, et parfois la gratuite cruauté. L’administration royale est de toute façon peu nombreuse et donc peu efficace pour faire respecter le Code Noir, si bien que, sur le terrain, le maître fait ce qu’il veut. Toutefois, au-delà de spectaculaires drames, il ne faut pas perdre de vue que l’intérêt bien compris du maître est de ménager cette force de travail qui coûte cher. Mais il est vrai aussi qu’à Saint-Domingue nombre de propriétaires sont absents, ayant confié leur domaine à des gérants qui n’ont pas le même paternalisme, les mêmes scrupules, ni les mêmes intérêts.

Johann Moritz Rugendas (Newly Enslaved Africans, Brazil, 1830sLes femmes esclaves peuvent être soumises à des tâches physiques dures, au même titre que les hommes, la galante­rie n’étant guère de mise sur les habitations. Dans un monde fondé sur l’injustice et les rapports de force, où on compte globalement davantage d’hommes que de femmes, il n’est malheureusement pas rare que les maîtres ou employés blancs des habitations abusent de leur position pour faire de femmes esclaves un objet de plaisir. Certes, il arrive que l’at­tachement soit réel entre le maître et sa « ménagère » comme on l’appelle alors, au point que l’histoire finit parfois par l’af­franchissement de la femme, qui vit en concubinage notoire avec l’homme, voire l’épouse. Mais le scénario ordinaire est nettement moins romantique. Dans cet univers oppressif, les hommes esclaves ne sont malheureusement guère plus tendres envers leurs compagnes de servitude. Si bien que s’échafaude dans les habitations l’image de la Mère Courage qui fait face à l’adversité, debout avec ses enfants de pères trop souvent incertains sinon inconnus des maîtres, jamais mentionnés dans les inventaires de « mobilier ». Cependant, comme récompense pour avoir permis le renouvellement de la force de travail, l’usage s’instaure d’accorder aux femmes esclaves ayant eu cinq enfants viables une journée par semaine pour vaquer à leurs occupations personnelles, et même la « liberté de savane » (liberté d’aller et venir et de ne plus travailler ; un affranchissement de fait) aux femmes ayant donné le jour à six enfants viables.

La situation matérielle et sanitaire des esclaves

Le Code Noir 1742 editionLe Code Noir (instructions royales de 1685, augmentées par la suite de toute une jurisprudence) fait de l’esclave un bien meuble (article 44) attaché à un domaine. La traduction bru­tale est donc de voir les esclaves considérés comme du mobi­lier, au même titre que le cheptel animal. Ceci apparaît dans tous les inventaires et bilans comptables, comme par exemple l’état des lieux (1785) de l’habitation Juchereau de Saint-Denis (située au Trou-du-Nord, nord de Saint-Domingue), dans les­quels les hommes sont comptabilisés au même niveau que les bêtes, les rabaissant au rang d’outil animé.

Ce rabaissement est fondamental, car tout ensuite dans la condition des esclaves découle de ce point de départ. En effet, par voie de conséquence, le Code Noir fait obligation aux maîtres d’entretenir la main d’œuvre servile puisqu’elle n’est pas considérée comme autonome. Le maître doit donc l’habiller, la nourrir, la soigner et la loger comme en témoignent les instructions de M. de Saint-Denis (1783) à son procureur où le propriétaire de l’habitation évoque l’entre­tien de la force de travail servile3. Nous allons passer en revue les principaux points :

Le vêtement

Généralement, il y a une distribution annuelle de toile pour faire des vêtements. Mais cette quantité attribuée n’est que peu de chose et il n’est malheureusement pas rare que les esclaves soient déguenillés, en loques. D’où, a contrario, si on en croit les gravures d’époque, le soin tout particulier que les affranchis mettent à se bien vêtir, montrant qu’ils ont rompu avec la situation antérieure.

L’alimentation

En théorie, les instructions royales obligent le maître à sub­venir aux besoins alimentaires du personnel servile et, par ailleurs, prohibe la distribution de tafia (= rhum) pour éviter l’abus d’alcool. Dans les faits, l’administration royale ayant bien du mal à contrôler la réalité, le maître – ou le gérant en cas d’absence du propriétaire – a une grande marge de manœuvre, en fonction du degré d’intérêt qu’il y porte. Il en fait généralement peu de cas.

waiting rationConcrètement, la nourriture a deux origines : les productions propres de l’habitation, et des approvisionnements achetés à l’extérieur (aux maisons de négoce ou directement aux navires qui accostent). Les distributions de vivres peuvent être hebdomadaires (le dimanche ou en début de semaine), plus faciles à faire sur les petites habitations martiniquaises ou guadeloupéennes qu’à Saint-Domingue – où les ateliers sont plus grands et les trafics, détournements, chapardages divers et autres reventes davantage possibles. Ces rations sont de toute façon vite mangées, bien insuffisantes pour faire face aux besoins. L’apport d’un peu de viande salée se fait lors des fêtes religieuses, la morue reste rare. Pour compléter, chaque habitation a donc des « places à vivres » (parcelles où sont cultivés des vivres en commun) : d’abord des tubercules (manioc, igname, patate), complétées d’un peu de mil, de maïs, de riz, de pois et haricots, de banane légume, selon l’endroit, l’humeur et l’eau disponible. À cela s’ajoute pour chaque esclave l’usage d’avoir un lopin indi­viduel, un jardin-case (pas forcément proche du logement) produisant des vivres particuliers indépendants, l’usage – encore – étant d’accorder aux esclaves la journée du samedi à ces fins ; de fait, les esclaves doivent donc se débrouiller d’abord par eux-mêmes. Éventuellement est pratiqué l’élevage de volailles et de porc. Sucer des cannes à sucre ramassées en plein champ est pratique courante et apporte un complément.

Tout ce qui est produit sur place n’est pas à acheter, n’est pas une dépense à imputer au budget général. Mais il n’en reste pas moins que l’alimentation est toujours un problème sur les habitations : les esclaves sont, généralement, mal nourris, avec des rations déséquilibrées, riches en fécu­lents, pauvres en viande ou poisson.

La santé et les soins

L’hôpital est un nom bien prétentieux pour désigner une infirmerie, un dispensaire où sont prodigués les soins. L’his­torien Gabriel Debien nous indique que les hôpitaux d’ha­bitations « étaient généralement bâtis et couverts avec les mêmes matériaux que les cases des maîtres dont ils étaient toujours assez proches. Ils avaient le même genre de soli­dité. On chicanait donc beaucoup moins sur les dépenses pour les malades que pour les cases des nègres bien por­tants. Ces dépenses représentent l’intention de combattre l’humidité, les insectes et les changements de température. Leurs murs encadrés par des poteaux en lataniers, quel­quefois en bois dur, sont formés de clissage ou bousillage en terre ou à chaux et à sable. On en trouve de maçonnés entre poteaux ou même en briques. Trop peu d’hôpitaux sont sur solage, encore moins sont carrelés ou planchéiés sur solage. La paille, mais assez souvent des essentes ou des tuiles couvrent le toit, quelquefois de l’ardoise ». C’est donc dans ce genre de bâtiment, dont la bonne tenue par­ticipe de la réputation d’une sucrerie, que sont soignés les plus souffrants.

Si le suivi semble sérieux, les connaissances médicales de l’époque sont ce qu’elles sont ; on soigne parfois comme on peut. Parallèlement à cette médecine des maîtres, s’ajoute celle, plus cachée, des docteurs-feuilles initiés aux secrets des plantes, médecine elle aussi capable de soulager et à laquelle on a recours. Mais au bout du compte, le constat reste le même : des organismes qui ne sont pas ménagés et qui, par-dessus tout, souffrent d’une alimentation désé­quilibrée, insuffisante, voire avariée, sont des organismes fragilisés, rendus vulnérables à toutes sortes de maladies et infections, si nombreuses : « Mal d’estomac », tétanos, plaies dues aux piqûres de chiques, « malingres » (ulcères aux jambes donnant des fièvres), « crabes » (crevasses), pian (boutons purulents), maux de poitrine, maladies vénériennes, fièvres plus ou moins définies, épidémies de fièvre jaune, de rougeole ou de « vérette » (variole), sans oublier les accidents de travail et les douleurs de l’âme qui conduisent à des états plus ou moins dépressifs (et ses corollaires : le refuge dans l’alcoolisme, voire le suicide), la vie quotidienne de l’ate­lier est aussi un long inventaire de fléaux et de plaintes en silence.

À partir des années 1780 commence à se généraliser « l’inoculation », autrement dit la vaccination antivariolique. Les Antilles sont effectivement pionnières en la matière, bien avant l’Europe.

Les extraits de la correspondance du procureur-gérant Bayon de Libertat au comte de Noé illustrent ce souci de maintenir le « cheptel humain » en un état sanitaire conve­nable, car au bout du compte il en va de la production de denrées tropicales et donc du revenu de l’habitation et de la rente perçue par le maître.

Le logement

« On a peine à imaginer combien de cases d’esclaves sont dites en mauvais ou en très mauvais ou en piètre état » écrit Gabriel Debien. « On dirait qu’ils ne logent que dans des masures en ruines. Leurs cases ne restent pas bien long­temps debout : les poteaux d’angle pourrissent, le toit est crevé, à moitié enlevé par le vent, les murs se crevassent, s’effritent, tombent : une misère.

cabane esclave« C’est que même lorsqu’elles sont construites par des en­trepreneurs, elles le sont rapidement et avec des matériaux le moins onéreux possible : en bois-pays. Il est des nou­veaux qui attendent qu’on leur trouve un abri, des cases d’anciens qui ont été renversées, etc. L’armature des murs se compose de poteaux enfoncés en terre. Un solage est très rare. Ces poteaux sont en « bois rond » « mou », quelque­fois équarri, ou en demi-troncs de palmistes. Les poteaux en bois dur sont la marque de maîtres qui s’intéressent au logement de leurs esclaves. Entre les poteaux, des « fourches » qui fixent un léger treillage en lattes enduites de terre, ou des gaulettes ; on parle alors de murs clissés. Il s’agit bien plus d’une mince paroi que d’un mur. Ou bien le mur est bousillé, c’est-à-dire composé de boudins de paille ou d’herbe sèche qu’enrobe un mortier de terre. Il est plus de murs bousillés que de clissés. On voit quelques cases « planchéiées » ou « glacéiées ». Il n’est presque jamais question de fenêtre ». Constructions à l’économie, donc…

Le travail du sucre et du café

Animal-Powered Sugar Mill, Martinique, 1835Une fois les cannes coupées et acheminées par « ca­brouets » jusqu’au pressoir, elles sont broyées pour en ex­primer le jus (« vesou »). Ce jus passe dans une batterie de chaudières où il est réduit en un sirop de plus en plus épais et clarifié des impuretés. Lorsqu’il est très pâteux, ce sirop est versé dans des moules (appelés « formes »). On peut éventuellement y ajouter en surface une argile qui, libérant de l’eau, contribue à éliminer des impuretés (on parle alors de sucre « terré », sinon le sucre reste brut ; les opérations de raffinage sont réservées à la métropole). Ces formes sont placées dans une purgerie, où le sucre cristallise et où l’eau résiduelle finit par être recueillie dans des récipients (dits « recette à mélasse »). Une fois démoulés, les pains de sucre sont placés dans une étuve durant une quinzaine de jours : la douce chaleur qui s’y diffuse permet d’éliminer les toutes dernières traces d’eau. Enfin, les pains de sucre sont réduits en poudre par pilage, avant d’être mis en barriques et expédiés en métropole. Le rhum (ou « tafia ») vient de la distillation des résidus de mélasse.

Cultivating Tobacco, Virginia, 1798Le caféier étant un arbuste poussant à une altitude moyenne (généralement entre 600 et 900 m) la récolte se fait à la main, une fois les « cerises » (fruit renfermant deux grains) mûres. « Pour la préparation du café, on utilisait d’abord un moulin à « grager », c’est-à-dire à déceriser (les grains de café étant contenus dans des « cerises »), qui était en bois et actionné à la main par une équipe d’une douzaine d’esclaves. On lavait ensuite le café dans un bassin circu­laire où les impuretés étaient entraînées par une eau cou­rante et on l’égouttait sur une plate-forme où il était étendu et exposé pendant vingt-quatre heures. Sur la plupart des caféières, un grand bâtiment d’exploitation un trois parties, souvent bien conservé et parfaitement reconnaissable par ses bassins et ses conduites d’eau, servait à ses trois opé­rations. La phase suivante consistait en séchage des grains en parchemin sur des glacis maçonnés au centre desquels se trouvaient de petits bassins circulaires, les « bassicots », vers lesquels on poussait le café le soir pour le protéger de l’humidité en le recouvrant. Les grains passaient ensuite au moulin à piler dont la roue verticale, actionnée par des mules, détachait les parchemins sans écraser les fèves en tournant dans une gorge circulaire en pierre de dix à douze pieds de diamètre. Ces moulins étaient parfois abrités par une case. On utilisait enfin un moulin à « vanner », actionné à la main, dont la soufflerie faisait s’envoler les parchemins, avant de trier les grains sur de longues tables. Ces instal­lations en bois n’ont pas subsisté. Des magasins et entre­pôts, parfois conservés, venaient compléter l’ensemble de ces bâtiments d’exploitation ».

Une cohabitation tendue entre maîtres et esclaves

Theodor Kaufmann (LibertyContrairement à une croyance tenace, les châtiments pres­crits par le Code Noir ne sont pas systématiquement appli­qués en cas de marronnage (fuite). La plupart des maîtres hésitent à mutiler le corps et donner la mort ; ils s’accom­modent de cette résistance passive et de ces mouvements de sortie, bien souvent de petit rayon et pour quelques jours. Certes, il y a des cas d’évasion définitive, mais si la colonie de Saint-Domingue, comme les autres Antilles françaises, connaît tout au long de son histoire l’existence de bandes de marrons (dans la montagne du Bahoruco notamment, au sud de l’île), on ne voit guère la création de véritables villages indépendants enfoncés dans les bois, comme en Jamaïque ou au Suriname. De fait, même s’il perturbe le fonctionnement des habitations, un marronnage plus ou moins endémique est toléré du moment que, bon an mal an, l’essentiel du travail se fait.

Il existe cependant un seuil à ne pas dépasser : quand l’esclave marron s’en prend aux maîtres. En 1757-58, les Blancs de Saint-Domingue tremblent au nom de Makandal qui, dans la Plaine du Nord, empoisonne certains maîtres et décime des troupeaux. Capturé, il est brûlé vif en place publique, au Cap-Français, subissant le châtiment des sor­ciers. Mais souvent, la hantise du poison peut conduire à de tragiques conclusions. En 1788, l’affaire Lejeune en est une triste illustration : ce maître, soupçonnant deux femmes esclaves d’être empoisonneuses, leur fait brûler jambes et cuisses préalablement enduites de poix ; la justice royale finit par poursuivre le colon pour ses sévices, mais la pres­sion des autres propriétaires Blancs mène à l’acquittement du tortionnaire.

S’ajoute un climat de méfiance, sinon de peur : l’Européen décline toute une série d’images négatives sur ce monde servile qu’il connaît finalement bien peu : le Noir serait « na­turellement » porté au vice, au vol, aux mauvais coups, au mensonge, à la luxure…

Les esclaves sont censés être baptisés et évangélisés, mais les maîtres n’y ont jamais mis un grand zèle. De fait, les esclaves continuent à pratiquer parallèlement les cultes africains, le vodoun dahoméen notamment, lequel devient par syncrétisme une référence spirituelle considérable. En revanche, ces mêmes maîtres se méfient des attrou­pements, restent sur un qui-vive suspicieux et, dans les dernières décennies du XVIIIe siècle, veillent à ce que les idées « négrophiles » venues de France n’atteignent pas les ateliers ; cependant, jamais ils ne pourront contrôler ce qui se passe dans les têtes.

Dance, St. Vincent, West Indies, ca. 1775Par ailleurs, l’intérêt bien compris des possesseurs d’habi­tations est de permettre que des exutoires rendent la vie des esclaves moins pénible, quitte à faire parfois des en­torses au Code Noir. Ainsi, le tafia (rhum) parvient à circu­ler. Les maîtres tolèrent également les danses et musiques le dimanche et, s’ils peuvent s’offusquer que ces danses soient lascives (à leurs yeux), ils savent bien d’expérience qu’elles sont nécessaires pour que les esclaves échappent un tant soit peu à leur quotidien. Il n’est pas impossible pour des esclaves de vendre sur les marchés les produits de leur propre jardinet ; les maîtres peuvent aussi, à l’occasion – un travail bien fait, étrennes du Nouvel An… – récompenser tel ou telle esclave par un peu d’argent, toujours utile dans un monde qui manque régulièrement de numéraire.

L’espérance de liberté

Pour les esclaves qui en bénéficient, la « liberté de savane » consiste en « la faculté d’aller et de venir à volonté et par­fois d’abandonner la plantation. Ils ne sont jamais forcés au travail9 ». Liberté officieuse cependant, car juridique­ment il s’agit toujours d’esclaves. Cette libération présente des avantages certains pour le maître : pas de formalité devant notaire, ni de « taxe de liberté » à payer au fisc. Il s’agit cependant d’une liberté conditionnelle, en fonction du comportement du récipiendaire. Un mauvais comportement (laissé à la seule et arbitraire appréciation du maître) peut conduire au retour au régime servile.

Quant à l’affranchissement définitif, il peut survenir d’office dans le cas très particulier, prévu par le Code Noir, où le maître fait de son esclave son légataire universel ou son exécuteur testamentaire. Situation ultra exceptionnelle, à inscrire dans la complexe relation maître/valet illustrée par la littérature, de Molière à Diderot. Il faut aussi mentionner, pour mémoire, le cas où le maître va en France accom­pagné de certains esclaves, pour le servir ou pour qu’ils apprennent un savoir-faire ; l’usage veut que sur la terre de France ne marchent que des hommes libres. On connaît certains procès intentés (en France) par des esclaves pour obtenir leur liberté.

Capture d’écran 2016-05-14 à 16.46.53Aux colonies, en ce qui concerne le cas général, l’affran­chissement dépend de la bonne volonté du maître, selon son bon plaisir, en fonction des relations interpersonnelles. Au coup par coup, l’esclave peut donc en bénéficier, ré­compense du mérite ou du service rendu. Il faut alors éta­blir un acte officiel, devant notaire, après accord préalable du gouverneur de la colonie (pour enregistrer le fait que l’individu bénéficiaire jouit désormais de l’entière liberté de ses mouvements), ainsi que de l’intendant, car, le nombre d’affranchis se multipliant, l’administration royale finit par instaurer une « taxe de liberté » dont le caractère se veut dissuasif. La lourdeur de la procédure et de la somme imposée n’empêche cependant pas, dans les dernières décennies du XVIIIe siècle, la multiplication des affranchis­sements, notamment de la part des « libres de couleur » qui, possesseurs d’esclaves à leur tour, parviennent à en libérer de la servitude.