L’orpheline/ chapitre 023

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Chapitre 23

Encore des problèmes

Philippine de Madaillan

Les deux voitures entrèrent l’une derrière l’autre dans la demeure du parlementaire Bouillau-Guillebau, dans le quartier Saint-Seurin. Les personnes conviées à peine arrivées sur le perron furent reçues par madame Laborie-Fourtassy, l’épouse de celui-ci. Elle fut surprise de les voir paraître tous à même temps, mais elle n’en montra rien. Elle les fit pénétrer dans le grand salon. Elle excusa son mari qui se trouvait dans son bureau de l’habitation avec un de ses avocats. Les serviteurs vinrent leur servir un verre de vin blanc, un Tariquet. Pendant qu’ils le dégustaient, l’oncle Augustin arriva en compagnie de monsieur Lahourcade, avocat au Barreau de Bordeaux. Il le présenta et annonça qu’il l’avait convié à déjeuner avec eux. Philippine devina pourquoi, ce dernier allait soutenir ses dires ou tout du moins sa présence validerait ses injonctions. Ils se rendirent dans le salon du précédent repas que leurs hôtes avaient à nouveau fait transformer en salle à manger par leurs domestiques. Les convives s’assirent, à peine installées, les entrées furent proposées par les serviteurs. Le déjeuner commença et les conversations aussi. Elles n’intéressaient guère la jeune femme qui attendait ce pourquoi elle avait été conviée. Ce fut lorsque le dessert arriva que l’oncle Augustin s’adressa devant tous à Philippine. « – Ma chère nièce, après avoir échangé avec mon avocat nous avons construit un dossier qui va nous permettre de vous mettre sous tutelle afin de vous aider à gérer vos affaires et… » Il n’eut pas le temps de finir ses explications que la jeune femme le voyant venir se leva d’un coup, renversant sa chaise surprenant tout le monde. « – Non, monsieur, je ne serai jamais sous votre tutelle. J’ai été mariée, je suis veuve, je ne peux donc me retrouver sous la tutelle de qui que ce soit. Je vous rappelle, que hormis votre mère, aucun d’entre vous ne s’est occupé de moi et même elle pensait que j’étais idiote sous prétexte que je partais sur Neptune, ce que la mère supérieure de Saint-Émilion a contredit. En outre, je vous remémore que mes biens ne viennent pas de votre famille, vous n’avez par conséquent pas à les gérer. Je me suis organisée de façon probante, outre mon secrétaire et mon contremaître, je détiens une maison de négoce qui m’épaule donc tout va bien pour moi. De plus, cette fois-ci, vous et votre avocat êtes allés trop loin, je vais donc me retourner vers qui de droit. Un petit détail pour finir, occupez-vous de votre épouse. Quelque chose est en train de se développer en elle. Si vous ne voulez pas la voir partir, vous devriez la faire soigner. » Tous restèrent effarés par sa réaction. L’avocat jeta un regard bizarre au parlementaire, ce que perçut la jeune femme. Ils n’eurent pas le temps d’intervenir, de réagir qu’elle sortait de la pièce suivie par monsieur Sanadon quelque peu déstabilisé. Augustin dévisagea sa femme qui instinctivement mit sa main sur son ventre, elle n’en nia pas moins les dires de la nièce de son conjoint, répondant qu’elle n’avait aucun problème. Il ne sut pourquoi, mais il douta toutefois de l’affirmation de celle-ci. Ambroise de son côté n’en revenait pas, elle avait beaucoup plus de force que sa silhouette et sa jeunesse pouvaient le laisser paraître. Elle avait dû beaucoup souffrir pour avoir construit en elle une telle détermination.

***

Une fois installé dans la voiture, Philippine laissa retomber sa colère et rassura monsieur Sanadon, elle détenait des appuis et son oncle n’aurait pas le dernier mot. « — Si je puis me permettre, qu’avez-vous sous-entendu en parlant de Neptune. 

— Que j’allais dans les nuages, que je rêvassais facilement lorsque j’étais enfant. Cela avait fait croire à ma grand-mère qu’il me manquait des neurones. Quant à Neptune, c’est une planète de notre système solaire qui un jour sera validée. Elle a été observée par Galilée. 

— Ah ? Et pour votre belle-sœur ? Ce qui visiblement l’a fort contrariée.

— Il est vrai que c’est la première fois que vous l’apercevez. Je l’ai trouvée très blême par rapport à la dernière fois où je l’ai vue. De plus, elle a passé son temps pendant le repas à se toucher le ventre et cela n’a rien d’anodin. Au vu de ce que je soupçonne, elle ne vivra pas un an si son mari ou elle n’accomplissent rien et encore faut-il que les médecins aient une solution. »

Monsieur Sanadon ne rajouta rien et était très étonné du comportement de sa maîtresse et de toutes ses réflexions. Arrivée rue Castillon, elle demanda à son cocher de patienter, elle devait écrire une lettre que son secrétaire porterait.

***

Pendant ce temps, les Bouillau-Guillebau restaient sidérés. Comment leur nièce avait-elle pu leur répondre comme ça ? « — Comment a-t-elle osé réaliser un tel scandale et dire des choses aussi immondes ? Je ne voulais que lui apporter de l’aide, exprima Augustin indigné. » Ambroise avait bien compris que le problème se révélait ailleurs et il s’avérait conscient que son frère mentait. De plus, il voyait bien que Monsieur Lahourcade était septique. « — Augustin ! Elle n’a fait que se défendre. Tu étais déjà bien informé qu’elle était entourée d’une gent d’importance. Je suppute même qu’elle détient une personne fort bien placée. Il va falloir que tu fasses attention, vous aussi, monsieur Lahourcade. Vous avez tort de penser que parce que c’est une jeune femme qu’elle est naïve. Sur ce, je vais vous laisser, je dois retourner au sein de ma maison de négoce. Isabelle, me suivez-vous ?

— Bien sûr mon mari. »

Après les salutations, ils prirent leur carrosse et rentrèrent. L’un et l’autre se posaient des questions pendant le voyage, mais ils ne les partagèrent pas. Isabelle Corneillan, l’épouse d’Ambroise, se demandait ce qu’avait voulu sous-entendre Philippine. Sa belle-sœur s’avérait fatiguée, elle l’avait remarquée, à peine arrivée. Sa nièce aura-t-elle détecté quelque chose de grave ? Elle ne voyait pas comment elle aurait pu le connaître. Elle ne pouvait savoir que l’entité de sa belle-mère avait parlé à Philippine pour l’en informer.

***

En fin d’après-midi, s’avérant inquiet pour Philippine, Léandre se rendit à la demeure de la jeune femme. Cunégonde s’attendrit devant son appréhension, tout en le considérant elle le guida jusqu’au salon où pour se détendre sa maîtresse jouait de la harpe avec son petit garçon pour spectateur. Quand elle le vit pénétrer dans la pièce, elle hocha la tête et poursuivit en souriant. Il s’assit sur une des bergères la laissant finir. Théophile s’était mis debout et s’était installé à ses côtés. Quelques minutes plus tard, Suzanne à la demande de la gouvernante amena une cafetière, une théière et des tasses, qu’elle déposa sur une table à portée de l’invité. 

Philippine s’arrêta de jouer, elle se leva, tapotant sa jupe pour qu’elle se défroisse. « — C’est aimable à vous d’être venue me voir. » Se retournant vers Violaine, elle lui demanda d’aller faire souper son fils afin qu’il ne se couche point trop tardivement. Le petit garçon rechigna un peu, mais suivit sa nourrice. Une fois celle-ci sortie avec l’enfant dans ses bras, Léandre s’adressa à la jeune femme pendant qu’elle versait du café dans une tasse qu’elle lui tendit. « — Si je puis me permettre, comment c’est déroulé votre déjeuner chez votre oncle ? » Philippine était instruite de sa venue en fin de matinée et de ses préoccupations, Cunégonde l’en avait informée. « — Cela est advenu comme prévu. Mon oncle Augustin a l’intention de me mettre sous tutelle.

— Mais il ne peut pas, vous avez été mariée !

— Je sais ! Ne vous inquiétez pas, mon notaire de la Nouvelle-Orléans me l’avait expliqué, d’autant que je ne possède plus de famille directe puisque je suis orpheline. Il a essayé, il a par ailleurs invité à notre table un avocat qui n’avait pas l’air très à l’aise et qui aurait dû certifier les faits. Ce qu’il n’a pas effectué. Il semblait même découvrir les paroles de mon oncle Augustin.  

Léandre Cevallero

— Comment a-t-il osé ? 

— Je ne sais. Je pense qu’à compter de l’annonce de mon héritage, il avait prévu de se l’approprier, contrairement à mon oncle Ambroise. Celui-ci l’a compris dès mon arrivée, d’ailleurs il m’appuie dans mes actions. 

— Heureusement ! Qu’allez-vous faire ?

— J’ai rendez-vous demain pour le déjeuner chez monsieur et madame Le Berthon. De plus, je me rendrais chez les Duplessy lundi soir, ce qui m’amènera plus d’un soutien. 

— C’est bien, mais que puis-je accomplir pour vous ?

— Votre présence me suffit, Léandre. Ne vous inquiétez pas, je détiens suffisamment d’appuis. Aidez-moi à gérer mon domaine de façon probante, ce sera une excellente chose. »

Le jeune homme aurait aimé faire mieux, il ne demandait qu’à la protéger. Il se sentait quelque peu inutile malgré les dires de Philippine. Cette dernière le garda pour souper afin de lui montrer qu’elle avait besoin de lui pour être rassurée. 

***

Le carrosse s’arrêta devant le perron de la famille Le Berthon. Philippine, suivie de son secrétaire, monta les marches. Arrivée face à la porte d’entrée, celle-ci s’ouvrit sur le majordome que la jeune femme avait rencontré à sa précédente visite. Il la salua et la conduisit jusqu’à la salle à manger. Le confort et l’intimité étant désormais privilégiés, aux pièces en enfilade étaient préférées des pièces distribuées en deux rangées, ce que Philippine n’avait pas réalisé à sa première venue tant elle avait été impressionnée par son invitation. Ayant pénétré dans la pièce aménagée pour le repas, elle découvrit avec le couple Le Berthon, les Duplessy, ce qu’elle apprécia. Cela la réconfortait. Elle présenta monsieur Sanadon. De suite, les deux femmes l’accueillirent et l’embrassèrent pour l’assurer de leur empathie. Cela conforta cette dernière dans sa démarche. Monsieur Le Berthon proposa de se mettre à table. À peine installé, le service commença et celui-ci demanda à Philippine de lui narrer ce qui l’avait amenée à requérir une entrevue. « — Il y a trois jours, alors que je me trouvais dans mes terres de l’Entre-deux-mers, mon oncle Ambroise m’a sollicité, car mon oncle Augustin désirait me voir rapidement. Avant-hier, nous sommes donc allés déjeuner chez lui. Outre leurs épouses, j’ai appris à l’arrivée qu’en plus de la famille nous aurions avec nous un avocat. Moi même je m’étais faite accompagner par monsieur Sanadon. Je souhaitais détenir un témoin et quelqu’un qui puisse m’éclairer si je n’avais pas tout saisi. Comme vous pouvez vous en douter, j’ai de suite compris que mon oncle Augustin voulait m’impressionner. Cela dit, mon oncle Ambroise m’avait prévenu qu’il devait y avoir une entourloupe, ce qui s’avéra être le cas. 

— Quelle était l’entourloupe, madame de Madaillan-Saint-Brice ?

— Il avait décidé de me placer sous tutelle afin de pouvoir gérer mes biens, sous prétexte de m’aider.

— Je suppose que vous savez déjà que cela n’est pas possible puisque vous avez été mariée.

— Oui, j’en étais consciente. J’en avais été informée par mon notaire au moment du décès de mon époux. Je ne me suis par ailleurs pas laissée faire et je l’avoue, je me suis mise en colère tant j’estimais cela déplacé. Je lui ai donc dit que j’en ferai part à qui de droit, sans lui donner de nom, bien sûr. 

— Vous avez eu raison. Ne vous inquiétez surtout pas, je vais prendre la main sur cette histoire. Puis-je savoir qui était l’avocat qui apparemment se révélait visiblement là pour valider les allégations de monsieur Bouillau-Guillebau ?

— C’était monsieur Lahourcade, mais je dois dire que lui même, qui était installé en face de moi, avait l’air étonné de ces allégations. Je ne serais pas surprise, si tout comme moi il avait découvert les assertions de mon oncle à ce moment-là. 

— Je le connais, c’est une bonne chose. Je vais le convier à venir me rencontrer, et vous avez raison, c’est quelqu’un d’honnête. Quant à votre oncle, je ne sais pourquoi il vous en veut à ce point, mais je vais le remettre à sa place. Je suis fort bien placé pour le faire démettre.

— Excusez-moi, mais pourquoi votre oncle Augustin a des sentiments aussi négatifs vis-à-vis de vous ? intervint monsieur Duplessy au milieu de la conversation entre la vicomtesse et le parlementaire. 

— Une semaine après ma naissance, ma mère est décédée. Il est assuré que c’est de ma faute. Ce qu’il ne sait pas c’est que ma mère ne désirait plus vivre. Elle venait de perdre son mari et avait souffert de violence effectuée par mon oncle le vicomte. 

— Ah. Voilà qui s’avère difficile pour vous.

— Il y a longtemps que je l’ai admis. Être abandonnée par les deux côtés de ma famille n’a pas toujours été facile. Heureusement que j’ai été conduite à l’abbaye de Saint-Émilion où je me suis fait des amies qui sont devenues des êtres proches. Monsieur Le Berthon, je tiens à vous remercier pour tout ce que vous allez accomplir pour moi. N’y allait tout de même pas trop fort avec mon oncle. Son épouse à de sérieux problèmes de santé, qui risquent mal finir. 

— Vous êtes trop bonne, mon petit. Ne vous inquiétez pas. »

Monsieur Sanadon fut très étonné de tout ce  qu’il appréhendait. Il n’était nullement conscient des appuis si prestigieux de sa maîtresse avant que de les voir et de les entendre. Les discussions se poursuivirent sur d’autres domaines, dont le fabuleux salon de madame Duplessy où madame Le Berthon comptait bien se rendre dès le lundi suivant. 

***

Elisabeth Anne Catherine de Baratet épouse Le Berthon

Élisabeth de Baratet, l’épouse de monsieur Le Berthon, entra dans le salon de madame Duplessy dans les dernières. N’étant jamais venue, elle découvrit un type de mobilier alliant l’aspect pratique, le confort et l’esthétique. Bergères, canapés, tabourets, tables volantes, tables à écrire, tables à jeux, tables bouillottes, se multipliaient dans le lieu. Alors qu’elle pénétrait dans l’hôtel particulier, la première chose qu’elle entendit, ce fut une voix sublime accompagnée d’une harpe. Qu’elle ne fut point son étonnement, lorsqu’elle découvrit Philippine ! Elle fut émerveillée. Elle avait ouï dire par madame Duplessy des louanges à son sujet, mais elle ne pensait pas qu’elle avait un tel don. Elle était loin d’imaginer que le chant et le jeu de Philippine se révélaient aussi extraordinaires. Elle s’installa sur une bergère proposée par son hôtesse afin de l’écouter.

Quand le délicieux spectacle fut achevé, madame Le Berthon vint féliciter la jeune vicomtesse. Cette dernière fut un peu gênée par autant de compliments, elle accomplissait cela pour apaiser les autres. Madame Duplessy et madame Le Berthon l’entrainèrent vers le boudoir de la maîtresse de maison. Une fois à l’intérieur, elles s’assirent chacune dans un fauteuil. Philippine n’était jamais entrée dans cette pièce, elle l’estimait très jolie avec de très beaux meubles comme dans toute la demeure. Madame Le Berthon se trouvait aussi là pour l’informer des récentes nouvelles détenues par son conjoint. « — Comme vous pouvez vous y attendre, mon époux a rencontré monsieur Lahourcade. Tel que vous l’aviez supposé, ce dernier est tombé des nues lorsqu’il a entendu monsieur Bouillau-Guillebau vous parler de tutelle et l’inclure dans la conversation. Il a été choqué, par celui-ci qui prétendait avoir échangé avec lui sur ce sujet. Ils ont discuté de toutes autres problématiques.

— Je n’en doute pas. Je pense qu’il ne ment point au vu de son expression quand mon oncle l’a annoncé. Sur ce, je n’ai laissé personne intervenir suite à cette déclaration décrétée devant tous. Il n’a donc pas pu se justifier. 

— Ce n’est pas bien grave, par contre mon conjoint n’a pas encore croisé votre oncle. Il ne veut pas le convier, il préfère le surprendre. 

— C’est un bon argument, cela évitera à mon oncle de se préparer. 

— Vous avez raison. Peut-être pouvons-nous regagner le salon ?

— Avec plaisir. »

Les trois dames retournèrent voir les autres invités qui échangeaient sur divers sujet. La réunion débattait sur de l’actualité littéraire, philosophique et artistique. Cunégonde fut rejointe par sa maîtresse qui préférait ne pas la laisser seule. Ce genre de thème la mettait mal à l’aise, elle ne détenait pas de culture ou très peu. 

***

C’était le parlement qui donnait le rythme à la ville, puisque celle-ci suivait son calendrier. Ce jour-là, monsieur Le Berthon allait au Palais de l’Ombrière, car une réunion allait s’effectuer pour tous les parlementaires. Celle-ci se déroulait dans la Grande Chambre. Le bâtiment par ailleurs ne détenait pas un seul bureau, aussi chacun des parlementaires possédait le sien dans son hôtel particulier. Il s’avérait donc exceptionnel que tous se rendent au Palais plus d’une fois par semaine. Monsieur Le Berthon savait ce qui allait s’y dire. L’annonce devait être accomplie avant que tous partent sur leur terre. Comme tous ses comparses, il avait revêtu un manteau long de couleur rouge sur une robe noire qui ressemblait à une soutane. 

Palais de l’Ombrière

L’ensemble du château se révélait monumental et se détachait des autres bâtiments de la cité d’autant qu’il détenait une des rares places devant celui-ci. C’est là que le carrosse s’arrêta pour laisser descendre le magistrat. Le lieu était une véritable fourmilière entre les procureurs, les avocats ainsi qu’un nombre impressionnant d’artisans fréquentant le Palais, ce que monsieur Le Berthon n’appréciait pas. Au vu de la gent qui s’y bousculait, malgré son futur statut il ne pourrait rien opérer. Il traversa la place, pénétra dans l’espace et parcourut la cour qui conduisait à la Chambre tout en saluant au passage ses alter ego. Au moment de gravir les marches qui menaient sur le perron du château, il identifia de suite monsieur Bouillau-Guillebau. Il l’interpella à la grande surprise de ce dernier. Que pouvait bien le lui vouloir ce magistrat dont le père était conseiller du roi pour leur parlement ? « — Excusez-moi, mais j’ai deux mots à vous dire. Pouvons-nous nous isoler avant que la réunion ne commence ?

— Bien sûr monsieur.

— J’ai eu le plaisir de déjeuner avec votre nièce ainsi qu’avec monsieur et madame Duplessy. J’ai été très étonné d’apprendre que vous souhaitiez mettre cette dernière sous tutelle. Comme vous devez le savoir, ce n’est pas possible. Pourtant, monsieur Lahourcade a dû vous en informer. Celle-ci se débrouille très bien avec son domaine, elle l’a même fait fructifier, aussi ne vous inquiétez pas pour elle. Par ailleurs, c’est un sujet différent, il m’a semblé comprendre que votre épouse se portait mal. Va-t-elle mieux ?

— Elle se soigne, monsieur Le Berthon. »

Monsieur Bouillau-Guillebau fut fort décontenancé par ce qu’il pensait être une mise en garde. Sa réponse donnée au sujet de sa femme clôtura la conversation, monsieur Le Berthon s’adressa de suite à un autre parlementaire avec qui il continua son chemin vers la Grande Chambre, le laissant en plan. Il supposait qu’il ne voulait pas de ses justifications. Sur ce il n’en détenait aucune. Cela le mit très en colère. Il se devait d’aller voir sa nièce pour aller lui dire ce qu’il en pensait et la réprimander au passage. Il eut une nouvelle surprise qui le déstabilisa un peu plus. Pendant la séance, il apprit que monsieur Le Berthon allait devenir le président du parlement à la demande du roi. 

***

Il s’avérait évident pour Violaine que quelque chose n’allait pas. Elle n’avait jamais perçu Théophile aussi énervé. Il se révélait d’un naturel très paisible en temps normal. Il avait essayé de rester calme avec sa gouvernante, mais sa nourrice avait discerné que quelque chose l’agitait. Celle-ci à peine partie, il réclama sa mère. Elle lui expliqua qu’il devait attendre, car Cunégonde et Suzanne n’avaient pas fini de la préparer et qu’il  la verrait pour le déjeuner. Le garçonnet effectua un effort qui lui sembla surhumain. L’heure du repas annoncée, Violaine ne put le retenir, il se précipita dans le couloir puis dans l’escalier et fit irruption dans le salon à la grande surprise de Philippine. «  Maman, y a un méchant monsieur qui va arriver ! 

— Je sais Théophile, c’est mon oncle Augustin. Rassure-toi, il n’y a pas que toi que l’on vient informer mon tout petit. » Elle le prit aussitôt sur les genoux pour le réconforter. Violaine qui pénétrait dans la pièce tout comme Cunégonde, qui se situait déjà là, comprirent qu’il avait un don similaire à sa mère. Elles en furent à moitié étonnées. Par contre, monsieur Sanadon et madame Conrad qui se trouvaient présents ne saisirent pas ce qu’avait dit leur maîtresse. Cette dernière l’ayant appréhendé, elle s’adressa à eux. «  Ce n’est que de l’intuition, à cet âge c’est somme toute normal. » Tout le monde se dirigea dans la salle à manger pour se rassasier. Le repas fini, Philippine engagea Violaine à emmener Théophile à la sieste. Elle n’eut pas le temps de passer à l’action que l’oncle de sa maîtresse fit irruption en hurlant sur sa nièce. «  Comment avez-vous osé me faire ça ! » La jeune femme ne se décontenança pas et calmement réitéra sa demande. «  Violaine, s’il te plait peux-tu amener mon fils faire sa sieste ? Monsieur Sanadon, madame Conrad, Cunégonde, pouvez-vous quitter la pièce ? Visiblement mon oncle a besoin de me parler. » Tous répondirent à sa requête, mais monsieur Sanadon et Cunégonde restèrent derrière la porte au cas où cela dégénérerait. Romain, le valet de chambre, avait ouvert la demeure à monsieur Bouillau-Guillebau qui de colère l’avait poussé violemment au point de le faire tomber sur le sol. Il s’était frappé la tête sur la dernière marche de l’escalier ce qui l’étourdit. Tout en titubant, il se précipita le plus vite possible vers sa maîtresse, partant du principe qu’il aurait dû l’arrêter. Quelques minutes après arrivèrent Suzanne et Léopoldine qui avaient entendu les hurlements et se questionnaient.

Augustin Bouillau-Guillebau

Philippine regarda son oncle dans les yeux tout en gardant son calme. «  Si je comprends bien, monsieur Bouillau-Guillebau vous avez rencontré monsieur Le Berthon.

— Comment avez-vous osé vous plaindre auprès de lui ?

— Je vous avais prévenu, mais vous me prenez pour une idiote. Je suis parfaitement consciente que vous voulez mettre la main sur mon patrimoine.

— Pas du tout ! Ce que je vous ai proposé avait pour but de vous aider.

— Que nenni ! Vous ne savez pas comment me détruire, m’effacer de votre vie. Vous avez très mal admis que j’hérite de mon oncle, de ses biens et de ses titres, mais ce n’est que justice pour moi.

— Comment ça ? Ce n’est que justice.

— Comme votre père, vous m’en voulez pour le décès de ma mère, sauf que je n’y suis pour rien, j’ai été la première impactée avec le rejet de l’ensemble de ma famille.

— Comment ça ? Vous n’y êtes pour rien ! C’est votre venue qui l’a menée à la mort. 

— Pas du tout ! Elle ne souhaitait plus vivre. Mon oncle l’a violée et a tué son mari lorsque ce dernier en a été instruit. Malheureusement, je suis le fruit de cette agression. » L’oncle Augustin resta bouche bée et s’assit sur une chaise à sa portée. «  Comment savez-vous cela ?

— J’ai réintégré le personnel que mon oncle avait écarté, car il était au fait que tous se révélaient conscients de son acte. Louise Delmart et Rosemarie Bourdieux en ont été les témoins, mais on les a empêchées de protéger ma mère. 

— Je n’en reviens pas.

— De plus, votre mère, lors d’une soirée, a rencontré Rosemarie, la suivante de ma mère. Elle s’est aperçue que celle-ci essayait de l’éviter, elle était étonnée de voir celle-ci s’éloigner à chaque fois qu’elle s’en approchait. Intriguée, elle a tout de même réussi à l’isoler afin de lui parler. Rosemarie a fini par lui raconter ce qui c’était passé. C’est ce qui a entrainé le décès de votre mère. Seulement comme vous ne pensez qu’à votre nombril, vous ne vous êtes même pas rendu compte de sa dépression alors qu’elle vivait sous votre toit. En fait, elle a terminé sa vie en avalant du poison tant elle culpabilisait. 

— Mais comment avez-vous su cela ?

— Ne vous inquiétez pas, je n’invente rien. Demandez donc à votre femme, elle l’a réalisé. Entre parenthèses, vous avez intérêt de vous en occuper, si vous ne voulez pas vous retrouver veuf dans l’année à venir. »

Augustin Bouillau-Guillebau se releva, sortit de la pièce ravagé par ce qu’il venait d’apprendre. Il trouva derrière la porte les serviteurs de la maison. Il descendit avec lourdeur l’escalier et quitta l’hôtel particulier de sa nièce. Tous rentrèrent dans la salle à manger, ils aspiraient à remarquer l’état de leur maîtresse. Ils la découvrirent calme voire sereine, à leur grand étonnement. Elle se sentait enfin soulagée.

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Cette histoire met en scène des personnages réels et des personnages fictifs ainsi que des événements et des dialogues inventés à des fins dramatiques et afin de compléter les vides des biographies. Les illustrations des personnages ne sauraient être confondues avec les personnes réelles.

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