L’orpheline/ chapitre 021

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Chapitre 21

Retour à la ville


Philippine de Madaillan

Le soir même, elle se fit préparer par Cunégonde. Elle enfila l’une de ses robes à la française en grosse soie noire. Sa jupe de dessous ainsi que son plastron étaient en damassé rebrodé ton sur ton. Elle se fit accomplir un chignon qu’elle fit agrémenter de fleurs en tissus de couleur identique. Une fois prête, elle appela mademoiselle Labourdette afin qu’elle lui donne un avis sur sa mise. Fin prêtes, elles montèrent dans le carrosse. De toutes parts, dans les avenues des quartiers neufs, aussi bien que dans les ruelles de la vieille ville, ce n’était qu’immondices de toutes provenances, fondrières barrant le passage, cloaques infranchissables, avec une boue drue, épaisse, nauséabonde, qui brûle les étoffes et chagrine l’odorat et ne tenant pas à recourir à l’office du décrotteur. Ils contournèrent le quartier Fondaudège par l’allée des Noyers. 

Arrivée à l’hôtel Duplessis, l’hôtesse surprise de sa venue fut enchantée de la voir et la prit par le bras l’emmenant vers ses amis. Se trouvaient sur place Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, le conseiller et parlementaire Jean-Jacques Bel, son cousin le Président Jean Barbot, le Père François Chabrol, Monsieur de Lalanne, Madame de Pontac-Belhade, Charlotte de Crussol, et d’autres personnes dont elle n’avait toujours pas retenu les noms.Ils passèrent une partie de la soirée à converser ce qui leur permit de se rendre compte de l’intelligence de la jeune femme et de la pertinence de ses réponses. Madame Duplessy lui proposa d’essayer la harpe qu’elle avait acquise avec pour intention de l’en faire jouer. Philippine accepta de suite, elle laissa glisser ses doigts dessus pour voir si elle avait été accordée. De toute évidence, c’était le cas, elle commença par exécuter un morceau. Prise dans son élan, elle se mit à chanter à l’émerveillement de tous. Elle captiva son auditoire qui fut agréablement surpris de la beauté de son jeu et de sa voix. Monsieur et Madame Duplessy la congratulèrent et la remercièrent de ce magnifique moment. Elle répondit avec modestie, ils furent très touchés par sa délicatesse. Madame Duplessy apparaissait heureuse de l’avoir découverte, elle pressentait que c’était quelqu’un de bien.

Après avoir récupéré sa suivante, la vicomtesse de Madaillan-Saint-Brice, quitta les lieux assurée que les personnes présentes la défendraient contre son oncle.

***

André François Benoit Le Berthon était revenu de Versailles avec une excellente nouvelle qu’il avait apprise de son père Jacques Le Berthon d’Aguilles, conseiller du roi au parlement de Bordeaux. Il allait devenir le premier président du Parlement. Bien sûr, il ne pouvait l’annoncer tant que cela n’était pas officiel. Il décida toutefois de convier tous les parlementaires et leurs conjointes présents dans la ville et de préférence avant les fêtes de Pâques. Il les connaissait, mais il appréciait l’idée de les voir tous ensemble. Cela lui permettrait de constater comment ils se comportaient entre eux.

Son épouse, Élisabeth de Baratet, avait tout fait préparé par son personnel pour cette soirée quelque peu exceptionnelle tant il y aurait de monde. Pour le grand salon, elle avait engagé des musiciens pour effectuer un bal et pour le salon adjacent elle avait fait installer un banquet constitué d’une multitude de plats que ses serviteurs proposeraient aux invités. 

Parmi ceux-ci se trouvait Augustin Bouillau-Guillebau accompagné de sa femme comme tous les parlementaires présents. Laurentine Laborie-Fourtassy à peine arrivée le quitta pour aller discuter avec des amies. Il réfléchissait. À qui allait-il s’adresser afin de régenter sa nièce ? Philippine l’avait fortement agacé, aussi c’était devenu une obsession, il se devait d’exercer son emprise sur ses biens, ne serait-ce que pour la maintenir sous sa tutelle. Il découvrit dans l’un des salons son président à mortier, monsieur Barbot en compagnie de monsieur Bel et de monsieur Duplessy. Il pensa que c’était une appréciable opportunité. Laissant son épouse avec ses amies, il se dirigea vers les trois individus qu’il connaissait bien et dont il ne doutait pas de leur aide. Ils l’accueillirent chaleureusement. Après une conversation qui approcha plusieurs points dont certains ressemblaient à des ragots, il en vint à son sujet. « — Messieurs, j’ai un problème et je ne sais comment le résoudre.

— Grands dieux, dites-nous ce qu’il en est. Intervint monsieur Barbot.

— Voilà, ma nièce, Philippine a hérité des biens de son oncle, le vicomte de Madaillan-Saint-Brice. Je ne suis pas sûr qu’elle s’avère apte à gérer cette nouvelle fortune, aussi je ne sais comment je peux agir. J’ai bien essayé de la conseiller avec mon frère Ambroise, mais elle nous a regardés de haut.

— Ah ! Cela est étonnant, nous avons eu la satisfaction de rencontrer la vicomtesse. Rassurez-vous, elle est loin de manquer d’intelligence. D’après mon épouse, elle a déjà fort bien pris les choses en main. Elle a même engagé un contremaître pour une meilleure organisation. Je pense que vous vous inquiétez pour rien. » Répondit monsieur Duplessy. Les deux autres acquiescèrent et rajoutèrent des compliments sur la jeune femme et son discernement. Monsieur Bouillau-Guillebau était sidéré. Comment pouvaient-ils la connaître ? Monsieur Duplessy, touchant du doigt sa perplexité, l’informa que sa femme l’avait invitée dans son salon et qu’elle s’y était présentée par deux fois à son grand plaisir. Cet enthousiasme contraria fortement l’oncle de Philippine, il sentait bien que quoi qu’il pratique, elle détenait des appuis contre lesquels il ne pourrait rien effectuer. Les trois comparses avaient compris où monsieur Bouillau-Guillebau voulait en venir et ils estimaient que la jeune fille ne méritait pas cela d’autant qu’il avait menti pour exposer les faits. En aucun cas, Philippine ne prenait les gens de haut, elle se révélait d’une grande modestie. Son oncle avait essayé de les manipuler, ce qu’aucun d’entre eux n’avait apprécié. Monsieur Duplessy décida d’en parler avec leur hôte, monsieur Le Berthon. Il ne doutait pas que celui-ci la protégerait tout comme eux et encore mieux. 

***

La semaine sainte commençait par le dimanche des Rameaux, et elle incluait le jeudi saint et le Vendredi saint. Elle s’achevait avec la veillée pascale, pendant la nuit du samedi au dimanche. Philippine avait respecté toute la procédure comme au temps du couvent. Le 11 avril était le jour de Pâques. Philippine attendait Cunégonde dans sa chambre, elle était allée lui chercher sa robe pour aller à la cérémonie Pascale à la cathédrale de Saint-André. 

animal gardien

Assise dans son fauteuil face à sa table de toilette, elle laissait comme à son habitude courir ses pensées. Dans la glace qu’elle avait devant elle, sans le réaliser, elle entra en transe, elle visualisa Léandre au château de Madaillan. Elle se demanda pourquoi elle l’apercevait, puis elle remarqua un loup, c’était son animal gardien. Il se situait là pour la rassurer et lui permettre de comprendre et de voir. Elle était partie trois semaines auparavant le matin et lui était arrivé en fin d’après-midi. Il avait appris lors de sa venue au château de Madaillan que Philippine était l’héritière du domaine. Visiblement, elle sentait que lui aussi avait regretté de ne pas croiser la jeune femme. Présenté par monsieur Sanadon, elle l’observa faire connaissance avec son Papa-Paul, monsieur Fauquerolles. Ils allèrent ensemble dans les caves à vin, puis dans les vignobles et les champs de blé. Cela prit du temps, d’autant qu’ils échangèrent avec tous les métayers auxquels ils expliquèrent leur prochain objectif. Suite aux huit jours qu’il passa au château de Madaillan, Léandre du se rendre dans deux propriétés de l’Entre-deux-mers. Elle comprit pourquoi elle ne l’avait pas vu plus tôt. Elle savait qu’elle allait le rencontrer bientôt, elle espérait que leur empathie n’avait point baissé. 

Elle sortit de son extase à l’entrée de Cunégonde avec sa robe de taffetas noire. Elle l’aida à l’enfiler puis rajusta sa coiffure. Elle irait à la messe avec elle, car Marie Labourdette s’était mariée la semaine précédente et sa maîtresse n’avait pas l’intention de la remplacer. À la surprise de Cunégonde, elle lui convenait fort bien comme suivante et comme gouvernante. Une fois, l’une et l’autre prêtes, le cocher Étienne les conduisit à la cathédrale. Elles faisaient partie des premières, la noblesse avait besoin qu’on la remarque ce que Philippine n’appréciait guère. Elle vit arriver le couple Duplessy qui vint la saluer avant de s’asseoir. Elle était retournée chez eux les deux lundis précédents au grand contentement de madame Duplessy. Cette dernière en avait profité pour lui apprendre la demande de son oncle Augustin. Philippine ne fut guère surprise hormis le fait qu’il était allé trouver les mauvaises personnes qui, elles, l’avaient soutenue. Sa comparse la rassura. Son époux avait parlé à monsieur Le Berthon, il était l’un des individus les plus importants du parlement et se découvrait en accord avec lui. Philippine se souvenait avoir croisé son fils le jour de son entrevue avec le notaire, car elle se doutait bien que cela ne pouvait être lui dont l’avait entretenu son hôtesse. 

Elle se trouvait assise, avec à ses côtés Cunégonde, quand elle réalisa au commencement de la messe qu’une entité s’était installée à sa droite. Étrangement, celle-ci ne lui demanda rien. Elle se contentait de l’examiner ce qui surprit Philippine. Qui pouvait-elle être pour être à ce point intéressée par elle ? Elle ne pouvait voir à quoi celle-ci ressemblait, car tout comme elle, elle portait un voile sur son visage, mais le sien apparaissait de couleur blanche. La liturgie spécifique à Pâques, qui commençait par la vigile pascale, se termina alors que l’entité disparut. Cela soulagea Philippine bien qu’elle se questionna, elle ne doutait pas un instant qu’elle était arrivée à elle pour découvrir quelque chose. S’étant confessée avant le jeudi saint, elle pouvait faire ses Pâques et alla recevoir le sacrement de l’Eucharistie. Pour cela juste avant la fin de l’office, les fidèles devaient accomplir une longue queue en attendant de se situer devant l’un des prêtres. Elle sut patienter, elle communia et repartit à sa place où elle fut rejointe par Cunégonde qui avait procédé comme sa maîtresse. La messe se poursuivit. Une fois celle-ci finie, tous sortirent, Philippine ne se précipita pas, étant au fait que les voitures allaient mettre un moment à venir face à l’immense portail. Ayant atteint le lieu, sur les pavés devant la cathédrale, elle prit son mal en patience avec sa gouvernante attendant son carrosse. Elle fut retrouvée par Madame Duplessy, elle releva son voile afin de lui parler. Elles engagèrent une conversation pendant laquelle elles furent rejointes par une dame de grande élégance. «  Je suis assurée que vous êtes la vicomtesse de Madaillan-Saint-Brice.

— C’est exact Madame.

— Je suis Madame Le Berthon, Élisabeth de Baratet. J’apprécierais si cela vous convient que vous veniez me voir avec Madame Duplessy, mardi après-midi.

— Ce sera avec plaisir Madame.

— Alors à mardi. Je vous laisse. Mon carrosse et mon mari m’attendent. »

Philippine fut grandement surprise par cette invitation. Madame Duplessy était enchantée par cette démarche et avant de quitter sa compagne, elle lui rappela qu’elle l’espérait le lendemain soir. La jeune femme acquiesça. 

***

Comme convenu, Philippine se rendit le lundi soir chez les Duplessy. Son hôtesse la félicita pour cette invitation imprévue. Elle lui assura que Madame Le Berthon l’avait conviée pour la connaître et l’appuyer auprès de son époux afin de la protéger. Quoiqu’il arrive, il l’accomplirait au vu des personnes, dont son mari, qui s’étaient retournées vers lui. Après avoir salué tous les individus sur place et avoir discuté avec eux, elle se mit à la harpe et donna à nouveau un moment magique à tous. Elle se révélait consciente qu’elle contournait les règles du veuvage, mais à Bordeaux personne ne savait depuis quand elle avait perdu son époux, elle n’en avait même pas informé ses oncles qui de toute façon ne s’en étaient pas souciés. Le spectacle musical finit, et après avoir conversé avec Jean Barbot et son cousin Jean-Jacques Lebel, qu’elle remercia pour leur soutien, elle dit au revoir à tous, prétextant être fatiguée. Madame Duplessy la raccompagna avec sa nouvelle suivante, Cunégonde, jusqu’à la porte et lui rappela qu’elle viendrait la chercher dans le milieu de l’après-midi. 

***

Tout en regardant son fils jouer, Philippine tortillait ses mèches de cheveux sombres qui n’étaient pas encore coiffées et qui lui tombaient jusqu’au bas des reins. Le petit garçon s’amusait avec des cubes avec lesquels il fabriquait un château. L’heure du déjeuner arrivant Cunégonde se présenta pour apprêter la jeune femme. Violaine emmena Théophile à seule fin qu’il mange dans sa chambre et ainsi elle laissa la gouvernante préparer sans problème leur maîtresse. Coiffée et habillée, Philippine entraîna Cunégonde dans la salle à manger afin de partager le repas en tête à tête. Pendant que Léopoldine et Suzanne les servaient, elles échangeaient sur les taches à réaliser dans l’hôtel particulier et le fait qu’elles partiraient dès le lendemain pour le château de Madiran. Cunégonde se renseignait sur ce qu’elle devait déposer dans les malles. Elle apporta comme réponse qu’à part les affaires de son fils, elle-même détenait ce qu’il fallait sur place, par contre que ce soit elle ou Violaine, elles se devaient d’emporter leurs nouvelles robes. Philippine désirait que l’on ne remette pas en question leur statut, elles devaient donc afficher des tenues dignes de leur position, surtout sa suivante. Le repas fini, la jeune femme alla s’asseoir dans le salon donnant sur la terrasse sur laquelle les rayons du soleil illuminaient le carrelage. Elle attrapa un livre dans la bibliothèque qu’elle avait commencé en attendant que Madame Duplessy vienne la chercher. De son côté, Cunégonde alla voir avec Violaine ce qu’elle devait ranger dans les bagages pour le lendemain. Tandis que Philippine laissait son regard examiner les arbustes et les fleurs plantés dans des pots de terre installés sur la terrasse afin de l’agrémenter, elle aperçut l’entité de la cathédrale. Elle fut surprise, que faisait-elle là ? Elle se leva, ouvrit la porte-fenêtre donnant sur l’extérieur où se trouvait l’esprit. Celle-ci se retourna vers elle et releva son voile. Elle lui sourit avant de se dissiper. La jeune femme resta tétanisée. Qu’est-ce qu’elle lui voulait ? Elle ne comprenait pas. Elle semblait à chaque fois se situer là que pour l’examiner. Alors qu’elle réfléchissait, essayant d’en appréhender le sens, Madame Duplessy arriva.

***

Léandre était né un matin ensoleillé de novembre au grand plaisir de sa jeune mère, qui n’avait que seize ans. Elle avait souffert toute la nuit des contractions dues à l’accouchement, son extraction fut un soulagement. Il était venu au monde neuf mois après le mariage de ses parents au contentement de son paternel. Celui-ci travaillait déjà comme négociant au sein de la société de son père. À trente ans, il s’était décidé à prendre femme et ce fut pour lui une joie de découvrir et d’épouser Marie-Sophie Marcange, fille d’une autre maison de négoce que les Cevallero absorbèrent. Après deux fausses couches, cette dernière décéda au grand désarroi de Léopold Cevallero. Sa jeune épouse à peine enterrée, il reçut plusieurs propositions de mariage qu’il repoussa. Cela s’avérait trop tôt, il se devait d’accomplir son deuil. Il prit de suite une nourrice pour le petit Léandre et garda son enfant auprès de lui. Le temps venu, il lui engagea une gouvernante, puis arriva le moment où il dut le placer au sein du collège de Guyenne tenu par les jésuites. Léandre entra dans le lieu en tant que pensionnaire. Dans un premier temps, il ne fut guère identifié par ses camarades tant il s’avérait discret et se maintenait en retrait. Il avait du mal à se mettre en avant et de toute façon il ne désirait pas qu’on le remarque. Ses compagnons de dortoir et de classe finirent par se rendre compte que Léandre détenait une excellente mémoire voire qu’il était l’un des plus intelligents. Si certains par jalousie essayèrent de le maltraiter, il obtint vite un groupe d’amis qui le défendit. Ils s’étaient dans un premier instant rapprochés de lui afin qu’il puisse les aider, ce qu’il effectua sans problème et sans vanité. À sa sortie du collège, il revint dans la maison de négoce avec l’un d’entre eux, Paul Missard, qui devint petit à petit le secrétaire de son père. Naturellement, lui-même s’intégra dans ce commerce sous l’apprentissage de son paternel. Il prit facilement en main ses fonctions et s’impliqua dans celles-ci. Pour cela, il parcourait les domaines en vue d’évaluer la quantité de marchandises agricoles qu’il pourrait acquérir et revendre avec des bénéfices. Il ne se contentait pas de ce qu’il y avait autour de Bordeaux, il circulait dans toute la Guyenne. Ce fut ainsi qu’il entendit parler du voyage de Monsieur de Bienville pour la Louisiane. Son père accepta qu’il parte avec lui depuis La Rochelle afin d’estimer quel commerce ils pouvaient mettre en place entre la colonie et la France. Comme ils allèrent directement à la Nouvelle-Orléans, au retour le navire s’arrêta à Saint-Domingue dans les ports de Cap-Français et de Port-aux-Princes. Il rentra à Bordeaux avec une multitude d’idées et surtout avec l’espoir de voir revenir Philippine dont il s’était épris. 

Quelle ne fut pas sa surprise, quant au printemps, arrivant au domaine de Madaillan, il apprit que Philippine était l’héritière des terres de Madaillan-Saint-Brice, mais qu’en plus ils venaient de se croiser ! Il en fut fort déçu. Lorsqu’il retourna à Bordeaux, il avait bien l’intention de se rendre dans son hôtel particulier, mais il ne savait pas qu’elle demeurait depuis deux jours au château de Madaillan.

***

Philippine de Madaillan

Pendant que son fils allait au bain, Philippine décida d’aller marcher. Elle en avait besoin, elle ruminait trop de pensées. Comme elle était seule, elle se contenta de la route qui menait du portail à l’entrée du château. Vêtue d’une robe de sa mère qui se révélait un peu courte, car elle était plus grande que celle-ci, elle arpentait l’allée principale du domaine agrémenté de chênes centenaires. Tout en se promenant, elle laissait errer son regard sur les paysages et se remémorait son entretien avec madame Le Berthon. Celle-ci l’avait reçu avec madame Duplessy en toute intimité. Elles ne se trouvaient que toutes les trois dans un petit salon de l’hôtel particulier de leur hôtesse donnant sur les fossés de l’intendance. À partir du moment où elles furent installées dans de jolies bergères recouvertes de damassé doré et brodé de roses, une servante vint leur porter du thé et une brioche aux amandes. Le décor se révélait ravissant, les murs étaient agrémentés de tableau de personnes dont elle reconnut l’un d’entre eux. C’était le fils du parlementaire qu’elle avait croisé chez son notaire. La pièce détenait deux élégantes commodes et un secrétaire, tous étaient assortis et travaillés de la même façon. Dans un coin de la salle, elle découvrit un clavecin et un violon posé dessus. Le tout avait vu sur le jardin de l’habitation. Dès qu’elles furent seules, madame Le Berthon sollicita Philippine afin qu’elle lui raconte sa vie pour mieux comprendre la demande falsifiée de son oncle. La jeune femme avait confiance aussi elle s’exécuta.  Quelle ne fut pas sa surprise de toucher du doigt que cette dernière avait été exclue par ses deux familles, car sa mère était morte suite à sa naissance. Elle s’attendrit et décida qu’elle accomplirait tout pour l’aider, cette enfant ne méritait pas tous ces rejets et cette succession de drame. Madame Duplessy, qui en apprenait encore plus, se retrouva dans le même état d’âme que leur hôtesse. Philippine n’avait pas tout dit bien sûr, ni le viol de sa mère, ni la date du décès de son mari, ni comment on lui avait transmis tous ces drames dont la disparition de son oncle. La fin de la conversation finie, monsieur Le Berthon entra par une porte qui était entrouverte dans un angle du salon et qui donnait sur son bureau. « – Excusez-moi, mesdames, de vous déranger, mais j’ai entendu vos échanges que je ne voulais pas perturber. Je suis aussi choqué que ma femme. N’ayez aucune crainte, vos oncles ne pourront gérer vos biens. Si jamais vous voyez qu’ils s’en approchent de trop près, n’hésitez pas à venir vers mon épouse ou moi-même. Sachez qu’à l’automne, les parlementaires apprendront que je serai leur président dès le début de la nouvelle année donc aucun ne pourra vous faire du mal. Gardez cela pour vous pour l’instant. » Philippine remercia chaleureusement le couple Le Berthon. La conversation se poursuivit jusqu’à leur départ. Elle avait été très contente de ce rendez-vous qui l’avait complètement apaisée. Elle venait d’atteindre le portail du domaine, elle pivota sur elle-même et repartit dans l’autre sens. Elle pensa qu’elle se devait d’aller au couvent de Saint-Émilion. Elle s’en alla demander à Maman-Berthe si elle voulait bien l’accompagner. Arrivée au château, elle se rendit dans l’aile détenant l’appartement des Fauquerolles. Celle-ci accepta la proposition sans hésitation, Philippine réclama à son majordome de prévenir le cocher. Elle gagna ensuite le salon de la rotonde et décida de s’y installer en attendant l’heure du repas. À peine assise, elle aperçut l’entité de la cathédrale. La jeune femme fut troublée. Pourquoi la suivait-elle ? Elle sortit sur la terrasse, l’esprit se retourna vers elle. « — Il vient à vous ! » Et elle disparut. Qui venait à elle ? Philippine était agacée. Qui était cette entité ? Que lui voulait-elle ? Elle lui rappelait quelqu’un, mais elle n’aurait pas su dire qui ? Quelques instants plus tard, Cunégonde entra dans la pièce pour la prévenir que le déjeuner pouvait être servi. Le couple Fauquerolles se situait là ainsi que monsieur Sanadon.

***

En tout début d’après-midi, le départ pour le couvent fut annoncé par le majordome. Étienne, le cocher, attendait devant le perron avec Adrien et Jean-Marcel. Ce dernier était de Saint-Émilion et allait guider le cocher. Il avait suivi avec sa sœur, Louison, l’ancienne apprentie de la cuisinière, son père lorsqu’il était enfant au château de Madaillan. Adolescent, alors qu’il épaulait son paternel dans les écuries du domaine, celui-ci fut écarté par le vicomte, et résida dans une métairie qui détenait des vaches et quelques chevaux non loin de la demeure. Il avait été fort contrarié par ce rejet qu’il estimait injuste, n’en connaissant pas la raison, mais moins que son père. Celui-ci après une longue dépression se pendit dans la grange au grand désarroi de son fils et de sa fille qui se retrouvèrent seuls. Il fut donc fort heureux quand monsieur Sanadon et monsieur Fauquerolles lui demandèrent de suivre sa sœur Louison au château et lui donnèrent la responsabilité des écuries et des chevaux qui ne pouvaient être élevés et dressés à Bordeaux. 

Philippine et Maman-Berthe refirent le trajet qu’elles avaient effectué lors des sept ans de la jeune femme. Le carrosse traversa la Dordogne à Branne et se dirigea vers Saint-Émilion qu’ils contournèrent dans le but de se présenter devant l’entrée principale de l’abbaye. Ce fut sœur Douceline qui s’approcha pour déployer la porte incluse dans l’immense portail afin de savoir qui venait les voir. Jean-Marcel annonça la vicomtesse Philippine de Madaillan. Elle en fut très surprise et aidée de deux autres sœurs, elles ouvrirent le couvent à leur ancienne élève. La berline s’arrêta dans la cour. Pendant ce temps, sœur Marguerite s’était précipitée informer la mère supérieure.

Philippine descendit de la voiture suivie de madame Fauquerolles. Elle tapota sa jupe noire afin de remettre ses plis en place et rajusta convenablement sa robe à la française en tissu damassé de la même couleur. Elle monta ensuite les quelques marches qui conduisaient à la porte principale. Elle fut accueillie avec tendresse par sœur Geneviève qui s’était aussitôt rendue dans le grand hall pour les recevoir et mener la jeune femme et sa compagne à la mère supérieure. Philippine était troublée de se situer dans des lieux où elle pensait ne plus jamais revenir. Cela faisait trois années qu’elle était partie, cela faisait peu d’années, mais elle était tout de même émue. Elle suivit la sœur jusqu’au salon de sœur Élisabeth. La porte s’ouvrit de suite sur sœur Dorothée, la prieure, qui la fit entrer. «  Mon enfant, quelle joie de vous voir ! Asseyez-vous, sœur Geneviève va nous amener des boissons chaudes. » La mère supérieure fut étonnée de la remarquer toute de noir vêtue, ainsi que de la tenue que portait sa nourrice qu’elle avait reconnue. À peine installée, sa curiosité prenant le dessus, sœur Élisabeth lança la conversation. « — Que me vaut votre venue, je vous pensais au sein de la colonie.

— J’ai vécu beaucoup de bouleversements, ma mère. Pour commencer, voici une missive de sœur Blandine et de sœur Domitille.  

— Je vous en remercie, mais vous n’êtes pas revenue chez nous juste pour me porter ce document ?

— Non, ma mère. Il s’avère qu’une succession de circonstances m’ont amenée à m’en retourner. Tout d’abord, je suis la dernière héritière de mon oncle le vicomte de Madaillan-Saint-Brice. Après la mort de sa femme dont il n’a pas eu d’enfant, il est décédé d’un accident alors qu’il se situait sur un champ de bataille. Plus exactement, ses troupes assiégeaient une ville et au milieu de la nuit un de ses hommes lui a tiré dessus croyant voir venir un ennemi. 

— Mon Dieu ! Et c’est cela qui vous a fait revenir ?

— En fait, en parallèle, je perdais mon époux d’une crise cardiaque, aussi j’ai tout mis en place afin de rentrer. 

— C’est une bonne chose, bien que cela soit bien triste. Et si je puis me permettre, vous avez eu un enfant ?

— Oui, j’ai un petit Théophile. » À ce moment-là, sœur Geneviève entra avec des boissons et un gâteau qu’elle disposa sur une table à côté des bergères. La mère supérieure, après les avoir servies, reprit la conversation. «  Et vous avez des nouvelles de vos amies ?

— Oui, j’ai reçu une lettre de Catherine et une de Fortunée juste avant de quitter ma demeure bordelaise pour mon domaine. L’une et l’autre vont bien.

— Elles sont restées à la colonie bien sûr.

Philippine de Madaillan

— En fait, non ! Elles sont même parties de la cité avant moi. Catherine se trouve à Versailles, elle a suivi son conjoint, monsieur Fery d’Esclands, qui est devenu l’un des secrétaires du roi. Il semblerait qu’elle détienne un très bel hôtel particulier dans la ville. 

— Et Fortunée ?

— Elle et son époux, monsieur Barthoul, se sont installés à Nantes. Un concours de  circonstances a fait qu’il a été obligé de reprendre la maison de négoce familiale. Elle en est très contente d’autant qu’elle participe à la gestion de celle-ci.

— Voilà qui est très bien. Avez-vous eu des nouvelles de Gabrielle et de Théodorine ?

— Pour Gabrielle, nous nous sommes beaucoup fréquentées à la Nouvelle-Orléans. Elle a épousé un négociant de la cité, monsieur de la Michardière, qui occasionnellement collaborait avec mon mari. Quant à Théodorine, elle s’est unie avec un planteur, mais elle a peu donné de nouvelles malgré les demandes de Gabrielle.

— C’est un peu sans surprise. » La conversation perdura deux bonnes heures, Philippine détailla ses histoires. Elle raconta le voyage périlleux, la présentation aux futurs maris, Madame de Perier, le couvent de la Nouvelle-Orléans et sœur Marie Tranchepain. Elle narra sa vie avec son mari et le partage de celui-ci avec Lilith, ainsi que les décès et les actions réalisées suite à ceux-là. Sœur Élisabeth était abasourdie par toutes ses aventures pour la plupart malencontreuses et tristes, elle espérait que l’existence de la jeune femme allait dans une meilleure direction. Quand elle l’exprima, Philippine raconta son arrivée à Bordeaux et les personnes qu’elle avait rencontrées. La mère supérieure fut un peu soulagée. Avant de partir, Philippine assura qu’elle reviendrait et laissa une bourse conséquente pour le couvent en souvenir des bienfaits que lui avaient apportés les sœurs.

***

Le ruisseau de l’Engranne déambulait au milieu de valons et de forêt de chênes, d’aulnes noirs et de frênes depuis la Dordogne et se situait non loin du château de Madaillan. Philippine fixait les quelques nuages qui passaient au-dessus d’elle dans le reflet du cours d’eau. Un peu plus loin, sous le regard de Violaine, Théophile jouait sur une minuscule plage. Derrière elle, madame Fauquerolles et Cunégonde conversaient sur les nouvelles taches qu’elles effectuaient et qui venaient de leurs récentes fonctions des plus innovantes. Maman-Berthe avait compris que c’était sa fille de lait qui l’avait promue et imposée comme gouvernante, fonction qu’elle menait à bien. Elle s’intéressait à la jeune femme, car elle avait saisi que son Jean se révélait épris de celle-ci. Ce dernier ne se situait plus à la métairie, monsieur Sanadon lui avait demandé d’épauler son père, quant à cette partie de la propriété, il avait trouvé une famille pour s’en occuper. De son côté, Philippine avait engagé pour son fils une gouvernante à qui elle réclama d’instruire aussi Cunégonde et Jean. Elle estimait qu’ils devaient savoir lire, écrire et compter. Sans faillir, comprenant ce que cela leur apporterait, ils s’y mirent sérieusement d’autant qu’ils l’accomplissaient ensemble.

Le soleil irradiait de tous ses feux en cette fin d’avril, elle et ses compagnes s’étaient donc installées à l’ombre de grands arbres après avoir traversé les champs et les vignobles. Elles avaient aperçu les arbres fruitiers en fleurs et la flore qui émergeait un peu partout. Philippine laissait sa rêverie se focaliser sur les mouvements de l’eau quand un vol de palombes l’en sortit. Elle vit alors un geai sur un des chênes au-dessus d’elle. C’était un bel oiseau, reconnaissable à son plumage coloré, rayé de noir et blanc sur la tête, dont les plumes se dressaient. Il cajactait. Son chant mélodieux attira son attention et lui rappela la merlette de son enfance. Elle comprit qu’elle se devait de rentrer. Elle n’en connaissait pas la raison, mais intuitivement, elle n’en doutait pas. Elle se leva et elle secoua sa robe en soie de couleur lie de vin, à laquelle Violaine avait ajouté un volant froncé afin qu’elle se révèle de la bonne longueur. Elle remit ensuite son chapeau de paille, le nouant sous son chignon. Ses compagnes appréhendèrent qu’elles allaient s’en retourner. Philippine héla Théophile qui arriva en trottant. Elle s’engagea sur le chemin du retour avec son petit garçon à ses côtés qui tenaient sa jupe pour ne pas la perdre. Elle réalisa que le geai voletait au-dessus d’elle, cela lui rappela ses sept ans. Elle espérait que ce n’était pas encore une contrariété. Comme il ne la quittait pas, elle supposa que c’était un message, mais elle le garda pour elle. Théophile fatiguant, Violaine le prit dans ses bras. Elles parcoururent à nouveau les champs et les vignobles et s’introduisirent dans le bois jouxtant le château par un sentier qui déambulait sous les arbres centenaires. C’est de là que Philippine aperçut un cavalier engagé dans l’allée qui menait à la demeure depuis la route. Son cœur se comprima, elle reconnut Léandre.

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Cette histoire met en scène des personnages réels et des personnages fictifs ainsi que des événements et des dialogues inventés à des fins dramatiques et afin de compléter les vides des biographies. Les illustrations des personnages ne sauraient être confondues avec les personnes réelles.

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Philippine de Madaillan

Dieu que cela avait été difficile. Philippine avait du mal à se remettre de cet enterrement. Il est vrai qu’il suivait de près celui de la mère supérieure. Le trajet de l’église au cimetière avait été extrêmement éprouvant, car il avait ravivé celui du mois précédent. Elle s’était levée tardivement, les dernières vingt-quatre heures sans repos avaient été pénibles surtout émotivement. Elle avait toutefois pris le temps de rassurer les membres de la maison de négoce, leur promettant qu’elle effectuerait ce qu’il faudrait pour faire perdurer l’activité du comptoir. Elle avait de plus informé Lilith qu’elle allait demander son émancipation au notaire, ce dont la tisanière ne doutait pas. 

Le moment venu, Philippine sollicita Cunégonde afin de la préparer. Alors qu’elle s’habillait, elle vit arriver son fils. Elle ressentit un pincement au cœur, il était devenu orphelin de père. Théophile l’avait peu aperçu, il ne réalisait pas vraiment ce qui était advenu. Elle le prit dans les bras avant d’enfiler sa robe à la française brodée ton sur ton en toile de lin noir. Elle ne jugea pas utile de mettre un voile de mousseline sur la tête. Une fois que leur maîtresse s’avéra prête et restaurée, Anatole approcha le carrosse devant l’habitation. Elle monta à l’intérieur et ils allèrent quérir Gabrielle. 

Une fois, toutes les deux dans la voiture, elles se rendirent à l’étude notariale. L’une et l’autre ressentirent des difficultés à échanger, elles ne voulaient guère parler des deux jours passés qui ravivaient ceux de sœur Marie Tranchepain. Marguerite essaya de comprendre comment aller se projeter Philippine, mais celle-ci avait du mal à le formuler. À leur arrivée, elles furent accueillies par l’épouse du notaire qui leur offrit un thé. Pendant qu’elles commençaient à le déguster, monsieur Bevenot de Haussois apparut et demanda des nouvelles aux deux jeunes femmes. Après un échange des plus formel, il les invita à se rendre dans son bureau.

***

Gabrielle n’avait pas voulu s’immiscer au sein de leur échange, elle avait donc préféré rester avec Madame Bevenot de Haussois. Elle estimait que ce qui serait dit pendant leur conversation ne la regardait pas. Assise devant le notaire, lissant machinalement sa jupe, Philippine écoutait la lecture du testament qu’il lui effectuait. Effectivement, toute la fortune de son époux lui revenait. «  Comme vous avez pu l’entendre, votre mari n’a point refait l’acte à la naissance de votre fils, aussi tout s’avère à vous.

— Je suis, je l’avoue, très surprise. Sa famille ne peut rien me réclamer.

— Non ! Rien. L’argent avec lequel Monsieur Gassiot-Caumobere est arrivé faisait partie de son héritage. Rassurez-vous, j’en possède la preuve, j’ai en main le document qui l’atteste.

— Bien. J’ai une enfin deux requêtes à vous faire en espérant que vous puissiez les réaliser.

— Je vous écoute, qu’elles sont vos demandes.

— Est-il possible de vendre la plantation ? En ai-je le droit ?

— Tout à fait. Si tel est votre désir, je détiens potentiellement deux acheteurs que cela est susceptible d’intéresser. De plus, vous pourrez en tirer une belle somme, car le futur propriétaire n’aura qu’à poursuivre l’activité qui se démontre déjà florissante. Quelle est votre deuxième question ?

— Elle se révèle un peu plus particulière. Puis-je affranchir Lilith et ses enfants voire quatre autres de mes serviteurs ?

— Cela devrait s’avérer possible. Je dois juste en effectuer la requête au gouverneur ou à Monsieur Gatien Salmon. Il faut que vous me donniez le nom des individus.

— Sans problème. Pour Lilith, Louisa et Ambroise, je suis tenu d’acheter un terrain afin de les loger.

— De cela, vous n’avez nul besoin, votre époux a déjà accompli la démarche. Il y a en outre une maison construite dessus.

— Sera-t-il possible de mettre leur nom sur le document de ce qui demeurera leur propriété ?

— Bien entendu, mais quel nom ?

— Lilith Gassiot.

— Et pour les autres serviteurs ? Je ne parle pas des enfants bien évidemment qui détiendront le même patronyme.

— Nous pourrions les appeler Caumobere. Il s’agit d’Adrianus, Anatole et Marcelline et bien sûr Héloïse. Je peux aussi leur demander le moment voulu s’ils préfèrent un patronyme différent. Pour les deux dernières, ma chambrière et la nourrice de mon fils, je verrai comment je ferai. 

— À votre guise, nous devrons nous revoir dans une semaine. Je posséderai alors toutes les réponses. »

Au vu des sollicitations, le notaire devina que Philippine avait l’intention de repartir chez elle, en France.

***

Le lendemain de sa visite au notaire, Philippine décida d’aller effectuer un tour au couvent. Elle ne pouvait pas rester dans sa maison sans rien accomplir à part ruminer ses pensées. À l’instar de presque tous les matins, elle se mit à la harpe et comme chaque fois, elle vit arriver Théophile, mais cette fois-ci, il fut suivi de Louisa et d’Ambroise. Chacun s’assit sur un coussin sur le parquet du salon et écouta le son délicat de l’instrument. Par habitude, Violaine s’installa dans un coin de la pièce pour s’assurer qu’aucun des petits n’ennuie sa maîtresse. Philippine n’avait jamais vraiment fait attention aux enfants de Lilith. Si la fille ressemblait à sa mère, les deux garçons qui n’avaient que deux mois d’écart étaient le portrait de leur père. Cela ne la gênait pas après tout, ils détenaient le même père. 

Lorsqu’elle s’arrêta, son fils arriva pour lui faire un câlin, elle le prit dans ses bras, le plaça sur ses genoux et l’embrassa. Dans la mesure où elle comprenait qu’il était captivé par l’instrument, elle lui saisit les mains et lui fit toucher les cordes de la harpe qui vibrèrent. Il se mit à rire et il recommença tout seul. Devant la liberté que lui laissait sa mère, il se concentra. Cette dernière se dit que le moment venu, elle engagerait un professeur de clavecin pour lui. Elle se trouvait consciente que comme elle, il se révélait très sensible aux sons. Elle pressentait qu’il avait d’autres dons équivalents aux siens. 

En début d’après-midi, une fois préparée, en compagnie de Cunégonde, elle se rendit au couvent. Elle fut accueillie par sœur Marie Madeleine. Elle lui réclama à voir sœur Marguerite qui désormais dirigeait le lieu. Après une brève conversation, elle accéda au jardin où à l’ombre d’un chêne sœur Blandine racontait une histoire aux plus petits. Elle s’assit sur les marches de la véranda et imita les jeunes orphelins. 

soeur Blandine

Quand le conte fut fini, sœur Blandine les envoya gouter puis s’approcha de Philippine qui s’était levée et avait secoué sa jupe. Elle saisit son bras et l’entraina dans les allées sous les magnolias. Elle lui demanda comment elle se portait. « — Ce n’est pas facile, ma sœur. Cette succession de décès, pour certains inattendus, m’a ébranlée. » Sœur Blandine comprit qu’il devait y en avoir au moins un dont elle n’avait pas entendu parler. «  Il n’y a pas eu que votre époux et notre révérende mère ? 

— Non ! J’ai appris que mon oncle avait péri. 

— Ah ! Je suis désolé pour vous.

— Oh ! Cette mort ne me touche guère, mais il s’avère que je suis sa seule héritière.

— Vous comptez rentrer en France ? 

— J’y songe, mais je ne sais si je pourrais l’accomplir. Pour l’instant, je mets en place tout ce que je peux ici afin que personne ne souffre de mon départ. 

— Je vous reconnais bien là, Philippine. Et si vous partez, à quel moment pensez-vous le réaliser ? Dans longtemps ?

— L’idéal se situerait dans trois semaines à cause des alizés, mais je ne peux dire à ce jour si tout sera effectué pour que je puisse embarquer sur un navire.

— Si tel s’avère le cas, n’oubliez pas de venir nous dire au revoir. Je vous donnerai une lettre pour sœur Élisabeth. 

— Avec plaisir, sœur Blandine. »

Cette dernière n’avait pas demandé à Philippine comment elle avait été informée pour son oncle, car elle avait deviné sa prémonition. La jeune veuve récupéra Cunégonde et reprit le carrosse dans lequel attendait Anatole. Elle avait été très étonnée du calme de sœur Blandine quand elle lui avait expliqué ses espoirs pour son futur. Elle avait compris depuis bien longtemps que celle-ci avait un don semblable au sien même s’il n’était pas aussi puissant. Elle resta déconcertée devant sa bienveillance et son sang-froid. Avant de quitter les lieux, elle était allée embrasser sœur Domitille et dire au revoir aux autres sœurs.

***

Un serviteur de l’hôtel du gouvernement était venu apporter un message à monsieur Bevenot de Haussois. Il était attendu par monsieur Gatien Salmon en milieu d’après-midi. Il devait donc passer auparavant chez madame de Madaillan. Il envoya son majordome pour demander s’il était possible de lui rendre visite. Quand celui-ci revint, la réponse s’avéra affirmative. 

Il se présenta juste après le déjeuner. Ce fut Adrianus qui entendit le carrosse s’arrêter devant l’habitation. À même temps que le notaire frappait à la porte celle-ci s’ouvrit sur le majordome de la demeure. Ce dernier le guida jusqu’au salon où patientait sa maîtresse. Elle avait été étonnée de la rapidité des actions, cela faisait à peine deux jours qu’elle avait eu son entretien avec monsieur Bevenot de Haussois. Elle l’accueillit, lui avança un fauteuil pour s’assoir et lui proposa un café. Il accepta les deux. « — Je suppose, monsieur, que vous avez des questions. Vous ne pouvez déjà détenir les réponses  ?

— C’est exact. Il faut que vous sachiez que vous êtes trop jeune pour avoir le droit d’émanciper des esclaves, aussi j’ai raisonnablement contourné les règles. J’ai antidaté les documents et je vais les présenter comme s’ils avaient été réalisés avant le décès de votre époux. Pour cela, vous devez me donner les noms que désirent vos serviteurs.

— Bien, je vais les faire venir, seulement j’espère que votre requête sera acceptée.

— Ne vous inquiétez pas, je ne pense pas que l’on m’en empêche, beaucoup de personnes me sont redevables. » Philippine se leva et appela Cunégonde qui ne se trouvait jamais très loin. Elle lui demanda d’aller les quérir. Quelque peu surpris, ils arrivèrent emplis d’interrogation. Que leur voulait-on ? «  Je tiens à vous dire que je vais essayer de vous faire émanciper. Pour cela, je dois obtenir le patronyme que vous apprécieriez de porter. » Bien que stupéfié par la nouvelle, le premier à parler fut Adrianus. « — J’aimerai le nom de Blancard, si cela est possible. 

— C’est sans problème, Adrianus. Et vous, Anatole ?

— Moi, ce sera Torrin et pour Marceline ce sera Rouald.

— Héloïse, quel patronyme désires-tu ?

— Je ne sais pas maîtresse, mais je ne souhaite pas porter le nom de mon supposé père.

— Veux-tu que je te donne le nom de Caumobere ?

— Avec plaisir ! Maîtresse.

— Alors c’est acquis, je vous remercie. » Les quatre domestiques quittèrent la pièce emplis d’interrogation, l’annonce les avait fort déstabilisés. Ils espéraient tous que cela se fasse. Pendant ces échanges, le notaire remplissait les documents. 

***

À son arrivée à l’hôtel du gouvernement, il fut accueilli par Arthémus qui l’attendait pour le mener au bureau du commissaire ordonnateur. Le gouverneur de Bienville exécutait le tour de la ville pour vérifier les fortifications dont il avait exigé la mise en place. Monsieur Bevenot de Haussois suivit le majordome de la demeure, parvenu à l’étage, devant le cabinet de travail, ce fut le secrétaire du commissaire qui prit le relais et le fit pénétrer dans la pièce. Il se retira dans la foulée, laissant les deux hommes seuls, monsieur Gatien Salmon à leur entrée s’était levé pour accueillir le notaire. Il lui proposa de s’assoir face à son bureau où s’amoncelait une multitude de dossiers en cours. Après quelques échanges, dont un dossier que détenait le notaire sur ses biens, ils passèrent à l’objet de la venue de ce dernier. «  Que puis-je effectuer pour vous, monsieur Bevenot de Haussois ?

— Je me retrouve avec une requête de la part de monsieur Gassiot-Caumobere qui n’a pas été finalisée. J’aurais apprécié l’accomplir, car son décès a interrompu sa démarche, et j’estime que c’est la moindre des choses. J’ai demandé l’accord de son épouse et elle n’y met aucune objection. Je viens donc à vous pour voir si vous pouvez l’acter.

— Et de quoi s’agit-il ?

— Il avait décidé d’affranchir une partie de ses esclaves de son habitation. Je détiens les documents, mais j’ai besoin comme vous le savez de votre signature pour clôturer le dossier.

— Il n’y a pas de problème. Je ne vois pas pourquoi j’irais à l’encontre de cette demande. Nous devons bien cela à cet homme et à sa femme. » Monsieur Bevenot de Haussois lui donna les pièces qui commençaient par Lilith et ses enfants. Monsieur Gatien Salmon comprit de suite pourquoi monsieur Gassiot-Caumobere désirait l’émancipation de ses esclaves. Il rendit les papiers au notaire une fois les signatures apposées et en garda le double. L’action achevée ils reprirent leur conversation. 

***

Philippine de Madaillan

Après sa visite au commissaire ordonnateur, le notaire comme cela avait été prévu, repassa par chez madame de Madaillan pour lui donner la réponse. Elle le reçut à nouveau et comprit de suite que cela était positif. Avec les documents détenant les affranchissements, il apportait aussi le contrat de la future maison de Lilith. Philippine demanda donc à Cunégonde d’aller la chercher. Elle se présenta aussitôt, elle savait déjà ce qu’elle allait entendre, la Loa Erzulie l’en avait informée. Devant monsieur de Bevenot de Haussois, Philippine prit la parole. « — Lilith, nous possédons les pièces de ton émancipation ainsi que celle de tes enfants. De plus, voici un titre de propriété pour ta nouvelle maison. Elle se situe au bout de la rue Dauphine, près des fortifications de la ville. J’espère que tout ceci est à ta convenance ?

— Je ne pouvais réclamer plus madame de Madaillan. Est-ce que les autres serviteurs ont eux aussi le document de leur affranchissement ?

— Oui, Lilith.

— Alors, sachez qu’Adrianus et Héloïse me suivront dans ma maison.

— Très bien, c’est une bonne chose. Anatole te mènera demain dans celle-ci. Peux-tu leur demander de venir ? »

Quelques minutes après Adrianus et Héloïse arrivèrent chercher leurs papiers. Philippine retint Anatole et Marcelline. « — Si cela vous convient, vous resterez dans la demeure. Elle fait partie de la maison de négoce aussi, je vous ferai verser un salaire pour tout ce que vous exécuterez ici. Je vais mettre cela en place avec mon notaire.

— Oh ! Très bien, maîtresse, nous ne pouvions espérer mieux. »

Une fois seuls, Philippine et monsieur Bevenot de Haussois continuèrent leur conversation. « — Il faut savoir, madame de Madaillan, que j’ai contacté mes deux potentiels acheteurs pour votre plantation. L’un des deux a accepté mon prix, donc si vous êtes toujours d’accord nous pourrions signer l’acte de vente lundi prochain.

— Ce sera avec plaisir. »

***

Comme convenu, Philippine se présenta chez le notaire, le lundi après son déjeuner. Elle avait fait attention à sa mise et s’était fait accompagner par sa chambrière. Elle était soulagée de signer la vente de la plantation. À peine descendue du carrosse, elle fut accueillie et guidée par la maîtresse de maison vers le cabinet de travail de monsieur Bevenot de Haussois, car l’acheteur se révélait déjà présent. «  Bonjour, madame de Madaillan ! Je vous présente monsieur Berthaud de la Fériande. » Elle releva son voile de mousseline afin de dégager son visage. L’homme s’était levé à son arrivée tout comme le notaire. Il se baissa et lui baisa la main, ce qui la surprit. Elle supposa que c’était dû à son nom. Elle s’assit sur le fauteuil qui lui était avancé par le majordome. Ce dernier lui proposa une boisson chaude qu’elle accepta. Les messieurs dans la foulée firent de même. Monsieur Bevenot de Haussois lut l’acte de vente. Il convenait à tous, ils le signèrent. Le nouveau propriétaire était déjà passé sur la plantation, il savait donc ce qu’il avait acquis. La démarche effectuée, tous se levèrent s’apprêtant à quitter les lieux. Le notaire retint Philippine, il possédait un message pour elle. Elle fut à moitié surprise. Elle l’attendit pendant qu’il raccompagnait son client. Une fois en tête à tête, il lui annonça ce dont il avait été informé. « — J’ai reçu par l’intermédiaire de monsieur Gatien Salmon une lettre qui vous est destinée. Comme elle était en premier lieu adressée à monsieur de Bienville, elle a été ouverte par son secrétaire. » Il lui tendit la missive. Elle l’attrapa et la lut. Elle provenait de son oncle Ambroise Bouillau-Guillebau. Il lui apprenait le décès de son oncle le vicomte de Madaillan-Saint-Brice. Il lui demandait de revenir ou de lui effectuer une procuration afin de récupérer son héritage, dans la mesure où elle était désormais la seule légataire. Bien évidemment, elle en était déjà instruite. « — Si je puis me permettre, madame de Madaillan, la façon dont la lettre est tournée, votre oncle espère mettre la main sur vos biens, car il ne peut l’accomplir de lui-même.

— Je l’avais compris, monsieur Bevenot de Haussois. Comme vous vous en doutez, je vais rentrer dans mon pays. Pour cela, je dois placer un responsable au sein de la ma maison de négoce. Que pensez-vous si je le demande à monsieur de Brillenceau, l’économe de mon mari ? 

— C’est un homme sérieux et sensé. Je vous conseille pour plus de sureté de signer son contrat dans mon étude.

— J’y avais songé. Je vous en remercie. Pourrez-vous réaliser le lien entre moi et le comptoir ?

— Sans aucun problème ! Madame. »

De retour chez elle, Philippine s’avéra étonnée de la vitesse à laquelle tout se réglait. Cela la soulageait, de plus Adrianus et Héloïse étaient restés au sein de l’habitation, parce qu’ils savaient qu’elle allait repartir. Lilith les en avait informés. Ils tenaient à la soutenir jusqu’à son départ. De son côté, elle avait compris qu’Adrianus serait le prochain conjoint de la tisanière de son époux et elle estimait que cela était une bonne chose. Elle avait permis à Lilith d’emporter avec elle les meubles de sa chambre et de celle de ses enfants, car elle supposait que la maison de la jeune femme ne détenait pas de mobilier. Elle avait raison, cela avait soulagé la nouvelle propriétaire. 

***

Philippine devait organiser, avant de quitter la colonie, la structure de la maison de négoce. Se retrouvant en deuil, elle ne pouvait convier le personnel du comptoir à un diner. Alors qu’elle réfléchissait à comment elle pouvait élaborer la mise en place, la solution vient à elle. Mesdames Brillenceau, Saurine et de Villoutreix arrivèrent pour voir comment elle se portait. Elle les accueillit avec plaisir et les mena jusqu’au salon donnant sur le jardin. Elle réclama à Cunégonde et Héloïse de leur amener de quoi boire et grignoter. Les dames commencèrent par demander comment elle allait. « — Mesdames, j’ai encore obtenu de mauvaises nouvelles. Mon notaire a reçu une lettre d’un des frères de ma mère. J’ai donc appris que mon oncle du côté de mon père était décédé et que j’étais la dernière légataire de la famille de Madaillan. 

— Mon Dieu ! Mais c’est sans fin. S’écria madame de Villoutreix. 

— Je dois reconnaitre que c’est très pénible. De plus, je dois rentrer à Bordeaux afin de recueillir mon héritage.

— Et il est conséquent ?

— Il y a un château avec des vignobles et un hôtel particulier.

— Ah ! Tout de même. Mais alors si vous partez vous ne reviendrez pas ?

— Il y a de grandes chances, aussi je vous demanderai de venir demain avec vos époux de façon que je puisse voir avec eux comment organiser le comptoir afin qu’il continue à fonctionner. 

— Bien sûr, c’est sans problème. Répondirent-elles. »

Les trois femmes s’avéraient dubitatives, que de changements effectués en si peu de temps. Elles comprenaient les souffrances de madame de Madaillan qui se cumulaient, mais elles estimaient que cela faisait beaucoup depuis l’enterrement de son mari. Juste avant qu’elles ne se retirent, Philippine retint un instant madame Brillenceau. «  Vous pouvez venir une petite heure avant les autres, car j’ai besoin de requérir des choses à votre époux et à vous-même ?

— Bien sûr, je le préviendrai. » Cette dernière partit en se demandant bien ce que pouvait bien leur vouloir Madame de Madaillan. 

***

Tout en se faisant habiller par Cunégonde, Philippine réfléchissait. Comment allait-elle leur formuler sa demande ? Suite à ses indications, sa chambrière lui enfilait une de ses robes volantes en soie lourde de couleur noire sur un jupon rond et volumineux. Elle l’avait au préalable coiffée comme à son habitude d’un chignon sur la nuque. Sa maîtresse ne voulait pas mettre en avant sa position. Bien que nouvelle, elle ne détenait pour elle rien d’intéressant. Une fois prête, elle alla s’installer dans le salon depuis lequel elle pouvait observer les magnolias et les parterres de fleurs entretenus par Anatole. Elle savait que le couple des Brillenceau n’allait pas tarder, aussi elle avait demandé à Héloïse de porter du café et du thé pour leurs invités. Il était un peu plus de seize heures lorsqu’apparurent les Brillenceau. Adrianus les conduisit dans la pièce où sa maîtresse patientait. Elle les accueillit chaleureusement, leur proposa de s’assoir sur les bergères en hêtre doré et mouluré devant elle. Héloïse entra à ce moment-là avec les boissons chaudes et des parts de gâteau préparé par Marceline. Chacun se servit à la demande de Philippine. «  Je vous ai fait venir, car ainsi que vous en êtes informés, je vais devoir quitter la colonie. Il me faut donc un responsable pour ma maison de négoce. Je sais, monsieur Brillenceau, que vous avez été le premier à être engagé par mon défunt mari et comme vous êtes l’économe du comptoir, j’ai tout de suite pensé à vous. Avant que vous ne me répondiez, j’ai deux ou trois choses à vous dire. » Le couple Brillenceau s’avérait fort surpris par la proposition qu’ils agréaient intérieurement. Ils se posaient toutefois une question. Qu’allait-elle rajouter ? Philippine se resservit une tasse de café et en offrit à ses invités qui acceptèrent. «  Pour commencer, il faut que vous sachiez que j’ai été amenée à vendre la plantation. Je suis consciente qu’elle rapportait des sommes conséquentes, mais je n’aimais pas l’idée de posséder des esclaves.

— Mais votre personnel en est ! S’exclama instinctivement Marie Brillenceau.

— Ils en étaient pour être juste. Mon époux les a affranchis. » Les Brillenceau ne la crurent pas. Ils étaient assurés que c’était elle qui les avait émancipés, mais cela ne les regardait pas. Louis Brillenceau réfléchissait déjà à l’alternative de cette vente. Comment allait-il pouvoir y pallier ? «  Pour compenser ce manque à gagner, je vous mettrai en relation avec deux maisons de négoce bordelaises, celle de mon oncle Bouillau-Guillebau et celle des Cevallero qui s’occupe de mon château et de ses terres. Si cela vous convient, nous effectuerons un contrat chez monsieur Bevenot de Haussois, qui pratiquera le lien entre moi et le comptoir.

— Madame de Madaillan, je suis très honoré par votre proposition et bien sûr je l’accepte.

— Dans ce cas, vous devez savoir que cette habitation fait partie de mes biens. J’aurais aimé ne pas la vendre, je préférerais vous en faire bénéficier. Anatole, le cocher et le jardinier, et sa femme Marceline, ma cuisinière, quoiqu’affranchie, resteront dans les lieux et ils seront payés par la maison de négoce. Je laisserai la plupart des meubles au sein de la demeure et n’emporterai que quelques objets et décorations. Je vous préviendrai bien sûr du jour de mon départ. » Le couple Brillenceau n’en revenait pas, ils allaient pouvoir loger dans cette demeure. Ils pourraient céder leur petite habitation, voire la louer. «  Nous allons agréer votre proposition dans son ensemble. Nous vous en serons toujours redevables. 

— Il n’y a aucune raison, c’est vous qui allez me rendre service. »

Suite à cet entretien, Philippine posa des questions sur la maison de négoce, ses clients et son fonctionnement. Arrivèrent ensuite les deux autres couples. Tous s’assirent et consommèrent une boisson chaude. Philippine apprit à tout le monde la nouvelle hiérarchie du comptoir, ce qui satisfit les personnes présentes qui craignaient de voir accéder un inconnu pour sa gestion. 

***

Comme tous les dimanches, elle allait se rendre à la messe dominicale. Philippine se faisait donc préparer par Cunégonde. Coiffée et habillée d’une robe à la française, au vu de la clémence du temps, elle décida d’aller à pied jusqu’à la cathédrale. La tête et les épaules couvertes d’un voile de mousseline noire, elle pénétra dans le lieu saint. Elle aperçut Gabrielle et son époux. Elle les rejoignit et s’assit à côté d’eux, au passage elle salua les membres de la maison de négoce. Cunégonde resta debout dans une des allées latérales. Lorsque le prêtre se présenta, toute la communauté se leva. La messe commença. Philippine était satisfaite, la plupart de ses problèmes étaient résolus. Elle avait même signé le contrat de monsieur Brillenceau avec monsieur Bevenot de Haussois. Ils s’étaient accordés, tous les trimestres elle recevrait un rapport de l’activité mettant en valeur les acquis de la maison de négoce. Alors qu’elle réfléchissait à sa prochaine étape pendant que le prêtre accomplissait son sermon, elle sentit à côté d’elle une présence. Celle-ci lui souriait, s’était sa mère. Parce qu’elle pressentait qu’elle ne pouvait échanger sur le moment, elle patienta et attendit que la messe soit finie. Elle s’excusa auprès de Gabrielle, lui expliquant qu’elle avait besoin de rester. Celle-ci la laissa un peu triste. Comprenant que Philippine ait nécessité à demeurer seule. Lorsque tout le monde fut sorti, sauf sa chambrière qui s’assit comme à son habitude dans ce genre de situation sur un des bancs près de la porte, sa mère s’adressa à elle. « — Ma fille, la solution à ton problème vient d’accoster face à la Levée. Le Mercure se trouve là avec son commandant monsieur de la Faisanderie. Cette fois-ci, tu n’as nulle inquiétude à avoir pour ton voyage.

Philippine de Madaillan

— Merci mère, je vais m’y rendre de suite.

— Je te laisse, le curé revient. Si tu as besoin de moi, appelle-moi. »

L’esprit lumineux qu’était sa mère s’évapora. La jeune femme se leva et lorsqu’elle se retourna pour se diriger vers la sortie, elle se retrouva devant le prêtre. « — Vous allez bien, ma fille ! Il m’a semblé comprendre que cette période s’est révélée particulièrement difficile pour vous.

— Je m’accroche mon père, d’autant que beaucoup de personnes dépendent de moi.

— C’est bien, ma fille. Surtout si vous avez besoin d’aide, n’hésitez pas à venir.

— Je vous remercie mon père, mais cela devrait aller. Au revoir mon père. »

Elle sortit avec un sourire que personne ne pouvait voir sous le voile. À part l’écouter, elle n’imaginait pas trop comment le curé pouvait l’épauler. Suivie de Cunégonde, qui fut surprise de l’orientation que sa maîtresse prenait, elle se rendit vers la Levée. L’ayant atteinte, elle chercha au milieu des voiliers le Mercure. Elle le repéra très rapidement au vu de sa taille. Elle se dirigea vers lui et franchit sa passerelle avec sa chambrière sur les talons. De suite, elle tomba sur le second qui discutait avec des marins qui transbordaient des marchandises. « — Bonjour madame, que puis-je pour vous ? » Philippine leva son voile. « — Bonjour monsieur Lamarche.

— Philippine ! C’est une joie de vous voir. Si je puis me permettre vous avez perdu quelqu’un ?

— Oui, mon époux.

— Mes sincères condoléances. Je suis vraiment désolé pour vous. Que puis-je pour vous aider ?

— Puis-je rencontrer le commandant ? J’aimerais savoir s’il est possible de voyager sur le Mercure. 

— Cela sera sans problème, par contre nous partirons dans une semaine et directement pour Bordeaux. Il n’y aura aucune escale.

— Cela tombe très bien, je me rends à Bordeaux. J’y suis attendu.

— Ah ? Voilà une bonne chose. Suivez-moi, je vous mène au commandant. »

Quel ne fut pas son étonnement d’apercevoir l’arrivée d’une des filles à la cassette ! Le commandant fut attristé de comprendre qu’elle s’avérait déjà veuve, il l’entraina dans son salon afin de converser plus confortablement. « — Si j’ai bien appréhendé, Mademoiselle de Madaillan, vous avez perdu votre mari, j’en suis fort désolé. Est-ce que vos amies vont bien ?

— Oui, Fortunée et Catherine sont reparties pour la France avec leurs conjoints lors du changement de gouverneur. Gabrielle a épousé un négociant, quant à Théodorine nous n’avons guère eu de nouvelles. Mais toutes se portent bien.

— Si j’ai bien compris, vous aussi vous reprenez la direction vers la France ?

— C’est un fait, j’aurai donc besoin de deux cabines pour mon fils et mes deux servantes, et j’aurais voulu savoir si je pouvais embarquer du mobilier et des objets.

— Sans aucun problème, nous pouvons charger tout ce que vous souhaitez. Nous ne repartirons pas les cales vides, mais nous avons assez de place pour prendre vos affaires. 

— Me voilà comblée, à partir de quand puis-je commencer à les faire transborder ?

— D’ici trois jours si cela vous convient ?

— C’est impeccable. Je vous en remercie. »

Au moment de sortir du navire, elle croisa monsieur Gatien Salmon. Celui-ci fut étonné de la trouver sur le bâtiment. « — Mes salutations, madame de Madaillan. Comment allez-vous ?

— Correctement monsieur.

— Et que faites-vous sur ce voilier ? Vous êtes venu rendre hommage à ces messieurs ?

— Je me présente afin de réserver des cabines, monsieur, je dois retourner à Bordeaux.

— Ah bon ! Vous avez une raison particulière ? 

— Un héritage, monsieur, je suis tenue d’aller quérir les biens de mon oncle dont je suis la seule légataire.

— Et vous comptez revenir dans la colonie ?

— Je verrai une fois que je me trouverai là-bas ce qui se révèle le plus probant. Pour l’instant, j’ai organisé tout ce que je pouvais pour le comptoir de mon époux.

— C’est bien. Je dois vous laisser, j’ai des choses à régler avec le commandant. Au revoir madame.

— Au revoir, monsieur. »

  Après avoir quitté le commissaire ordonnateur, elle devina qu’elle allait être conviée à l’hôtel du gouvernement et pour un mauvais motif. Elle avait découvert depuis longtemps que Monsieur Gatien Salmon était un manipulateur et elle ne doutait pas un instant de ses intentions malsaines. Hormis cette contrariété, lorsqu’elle sortit du bâtiment, elle était satisfaite. Elle devait maintenant se préparer à partir. Elle devait prévenir les Brillenceau, sélectionner ce qu’elle désirait emporter dans l’habitation et faire effectuer ses malles. 

***

La troisième semaine de janvier 1734 commençait avec précipitations. Le lundi matin, Philippine demanda à Anatole et Adrianus de se rendre au comptoir en vue de quérir des caisses pour les remplir des objets qu’elle envisageait d’emporter. Dès le dimanche après-midi, elle avait fait prévenir les Brillenceau de son départ le samedi suivant. Ils devaient donc intégrer l’habitation aussitôt qu’elle l’aurait quittée. Pendant que ses deux serviteurs ramenaient les conteneurs, elle accomplit le tour de la demeure afin de sélectionner ce qu’elle désirait emmener. Philippine ne tenait pas à rapporter trop de souvenirs de son séjour. Quand ils revinrent, elle réclama quelques tableaux et gravures, l’argenterie, la porcelaine et quelques bibelots. Elle garda avec elle sa harpe et quelques livres pour aller dans sa cabine, car elle comptait bien s’occuper. Cette fois-ci, elle n’aurait pas Catherine et Fortunée à ses côtés pour converser. 

Pendant ce temps, Héloïse, Cunégonde et Marceline lavaient tout ce qu’elles devaient ranger dans les malles constituant leurs garde-robes à toutes ainsi que celle de leur maîtresse. De son côté, Théophile, qui avait été chagriné du départ d’Ambroise et de Louisa, s’amusa de ce déménagement. Du haut de ses dix-neuf mois, il courait partout sous le regard et l’aide de Violaine. Cela réjouissait Philippine malgré tout ce qu’elle avait à organiser en dernière minute. Tout était allé très vite, seulement trois semaines s’étaient écoulées depuis l’enterrement de son époux. 

***

Gabrielle d’ARTAILLON

 Avant de partir, elle prit le temps de recevoir, dès le mardi, Gabrielle. Celle-ci se révélait fort triste de ce départ, elle n’avait plus personne de son passé qu’elle appréciait. Elle n’avait plus de nouvelles de Théodorine, et elle n’en réclamait plus. Elle savait qu’elle allait bien, cela lui suffisait. Elle échangea donc des adieux avec son amie, elle se devait de se mouvoir vers autre chose. Elle avait commencé à se lier aux épouses du comptoir de Philippine qui elles aussi vinrent lui dire au revoir. 

Alors qu’elle n’y pensait plus, le jeudi, elle reçut une invitation du commissaire ordonnateur pour l’après-midi même. Instinctivement, elle demanda à Anatole de la conduire chez son notaire. Elle ne se sentait pas de se rendre seule à l’hôtel gouvernemental. Monsieur Bevenot de Haussois accepta de l’accompagner et estima que cela était judicieux. 

Depuis le bureau de Monsieur Gatien Salmon, son secrétaire aperçut depuis la fenêtre donnant sur la rue de Chartres un carrosse s’arrêtant devant la demeure. Il vit descendre une dame en grand deuil. Il en déduit que c’était Madame de Madaillan, aussi il alla chercher Arthémus et lui demanda d’aller la recevoir. Pendant que le majordome allait quérir la personne conviée, il alla informer le commissaire ordonnateur de son arrivée. Il fut un peu décontenancé lorsqu’il alla ouvrir la porte, il trouva avec la dame, Monsieur Bevenot de Haussois.

Le secrétaire les guida jusqu’au cabinet de travail de son supérieur. Monsieur Gatien Salmon se souleva de son fauteuil à l’arrivée de son invitée. Elle leva son voile de deuil en pénétrant dans la pièce avec derrière elle son compagnon. Bien qu’il ne le montra pas, il fut fort contrarié de découvrir le notaire. « — Asseyez-vous mes amis. Étienne, demandez à Arthémus de nous amener du café, s’il vous plait. » Il avait à peine fini sa phrase que le majordome entrait avec un plateau entre les mains contenant la boisson chaude. Dès qu’ils furent servis, il se retira suivi du secrétaire. « — Je m’attendais à vous voir seule, madame de Madaillan.

— C’est tout à fait par hasard que j’ai reçu votre invitation alors que monsieur Bevenot de Haussois se situait dans ma demeure, aussi nous avons décidé de venir ensemble.  

— Vous avez eu raison. C’est un plaisir. Si j’ai bien compris, madame, vous partez sur le Mercure dans deux jours ? » Il s’avérait conscient qu’elle ne reviendrait pas dans la colonie, car il s’était renseigné sur ce qu’elle avait embarqué sur le navire. « — Oui ! monsieur le commissaire, tous mes bagages son abord.

— Et pendant votre absence que va devenir votre maison de négoce et votre plantation ? Peut-être, n’effectuez-vous qu’un aller-retour ?

— Monsieur Gatien Salmon, j’ai vendu ma plantation à monsieur Berthaud de la Fériande. Quant à ma maison de négoce, avec l’aide de monsieur Bevenot de Haussois, j’ai promu monsieur Brillenceau, notre économe, gérant de celle-ci. Il était le plus à même de prendre ce poste. De plus, il ne faut pas vous inquiéter, j’ai un oncle qui est négociant et une autre maison s’occupe des biens de mon oncle défunt, aussi je les mettrai en lien. 

— Ah ! Je vois que vous vous êtes bien organisé. C’est une bonne chose. Et pour votre habitation ? Vous avez l’intention de la vendre ou de la louer ?

— C’est la famille Brillenceau qui va y résider. Elle fait partie de la maison de négoce. »

Philippine, comme monsieur Bevenot de Haussois, avait compris que le commissaire ordonnateur préméditait de se saisir de la façon la plus avantageuse de son patrimoine. Elle se révélait consciente de l’avoir fortement contrarié. Il l’avait estimée pour quelqu’un de limité dans les affaires et il pensait s’emparer d’une portion de ses fonds voire de ses propriétés. Sa déception s’avérait grande, il supposa que c’est son notaire qui l’avait guidée. Ils poursuivirent leur conversation pendant un laps de temps très court puisque leur hôte était coincé. Il les salua et dit adieu à la jeune femme qui était satisfaite de l’avoir contré. Elle rabattit son voile pour cacher son contentement. Monsieur Bevenot de Haussois, dans le carrosse, la félicita de ses réparties. Il n’avait pas eu besoin d’intervenir ce qui se révélait une bonne chose. 

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Cette histoire met en scène des personnages réels et des personnages fictifs ainsi que des événements et des dialogues inventés à des fins dramatiques et afin de compléter les vides des biographies. Les illustrations des personnages ne sauraient être confondues avec les personnes réelles.

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Chapitre 17

Les départs

Philippine de Madaillan

Le printemps était fini, l’été s’écoula avec une chaleur intense et l’automne arriva avec sa clémence de températures. Lorsqu’elle ne recevait pas les épouses des membres de la maison de négoce, Philippine se rendait le plus souvent possible au couvent. Gabrielle l’accompagnait de temps en temps. La santé de la mère supérieure se dégradait. Elle-même avait conscience qu’elle n’en avait plus pour longtemps avant d’atteindre les portes de la mort. Toutes les sœurs se révélaient solidaires et passaient du temps avec elle. Elle ne demeurait jamais seule. C’est sœur Marguerite, la prieure du couvent qui reprit les rênes de l’institution. Ses uniques moments de paix venaient de son enfant et de sa harpe dont elle s’était remise à jouer avec un certain bonheur. Le son de l’instrument et la voix de la jeune femme apparaissaient tel un ravissement pour ses serviteurs et pour son fils qui restait dans ces moments-là assis à côté d’elle émerveillé par sa mère.

Philippine s’accrochait, elle devait garder l’équilibre pour pouvoir aider. Elle voyait de moins en moins son conjoint. Hilaire demeurait de plus en plus à la plantation. Un hasard avait amené un de ses planteurs à lui dire qu’il avait aperçu son épouse et un homme en tête à tête sur la jetée. Il avait alors réalisé ce qu’il avait perçu, c’était le lien entre ce Monsieur Cevarello et sa femme. De son côté, Philippine faisait semblant d’ignorer qu’il avait compris l’intérêt que lui avait porté Léandre même s’il avait fini par saisir qu’elle le lui avait rendu. Tout cela l’indifférait, elle s’occupait de son fils, de sa maison et de son existence. Il en avait parlé à Lilith. Elle lui avait répondu que sachant qu’il détenait une double vie, il ne pouvait lui en tenir grief, d’autant qu’elle ne l’avait pas trompé. Malgré ça, vexé, il rentrait de moins en moins à la ville et lorsqu’il l’effectuait, il ne passait plus de nuits avec elle. Cela la laissait indifférente, Philippine avait d’autres préoccupations.

***

Anne Bouillau-Guillebau

Quel était ce bruit ? Il réveilla Philippine au milieu de la nuit. S’extirpant de son sommeil, elle se mit à réfléchir. À cette heure, tous dormaient, Hilaire demeurait à la plantation, Théophile se trouvait à côté avec Violaine, quant à Cunégonde, Héloïse et Adrianus, ils résidaient au-dessus. Quelqu’un était dans l’un des salons. Intriguée, elle se leva, attrapa sa robe flottante d’intérieur et passant la porte elle l’enfila sur sa fine chemise en lin. Elle descendit l’escalier dans le noir, elle aperçut une lueur dans le salon donnant sur la rue. Elle entendit une voix l’appeler, celle-ci insistait. Au passage, elle saisit une des cannes de son époux dans le bac en bois ouvragé du couloir et elle pénétra dans la pièce. Quelle ne fut pas sa surprise d’y trouver Anne Bouillau-Guillebau, sa mère ! « — Bonjour Philippine. Assieds-toi mon enfant, n’aie crainte. C’est le début de la fin. Ainsi que tu en es consciente, ta vie est dans un tournant. Je t’avais dit que je viendrais pour t’annoncer la mort de ton oncle et père. Ce dernier a suivi le prince de Conti au siège de Kehl, en Allemagne, et un accident l’a amené à rejoindre son épouse.

— Quel accident ?

— C’est une bêtise. Il est sorti au milieu de la nuit désirant vérifier que tout se révélait en place pour le siège. Un soldat a aperçu une ombre venir vers lui, il a cru que c’était un ennemi qui s’infiltrait. Il lui a tiré dessus. Tu restes donc la seule descendante de la famille des de Madaillan-Saint-Brice. Tu vas être contacté par un de mes frères, Ambroise. Attention, c’est un négociant, il espère que tu vas le laisser prendre en main tes biens. Il présume qu’il va les gérer à ta place. Il n’est pas mauvais, mais il ne te connaît pas, aussi fais attention.

— Mais mère, je ne vais pas rentrer de suite en France, je ne vais donc pas pouvoir m’en occuper.

— Tu vas y retourner plus vite que tu ne le penses, ma fille. Je sais bien que tu ne vois pas comment, puisqu’à ce jour il y a ton époux, mais aie conscience qu’il ne va pas rester très longtemps dans ta vie.

— Il va me quitter ?

— En quelque sorte mon enfant, mais ne t’inquiète pas, cela t’aidera à avancer et te soulagera. »

Philippine allait poser une nouvelle demande, mais sa mère s’évanouit. Elle remonta lentement les marches jusqu’à sa chambre. Qu’avait-elle voulu lui faire passer comme message ? Hilaire, qui était devenu distant, allait-il rester dans la plantation avec Lilith ou alors il allait la mettre sur un navire et la renvoyer en France ? Il n’était pas question qu’elle parte sans son fils. Quant au courrier lui annonçant le décès de son père, il ne pouvait arriver qu’à la mi-décembre, voire même plus tard, le temps que le frère de sa mère le rédige afin de la prévenir. Cela la perturbait. Elle se recoucha, mais se rendormit sans problème.

***

Quelque chose au couvent tournait au drame, l’information réveilla en sursaut Philippine de sa sieste. Elle se leva aussitôt, et appela sa chambrière, qui arriva en courant dans la chambre s’interrogeant sur cette interpellation soudaine. « — Cunégonde, nous devons aller au plus vite au couvent. Préviens Anatole, et reviens me préparer. Mon époux se trouve-t-il encore là ?

— Il est déjà parti au comptoir, maîtresse.

— Alors, alerte, Adrianus. Il devra en informer monsieur Gassiot-Caumobere. »

Une heure plus tard, Philippine et sa servante siégeaient dans le carrosse en route pour l’institution. Elle avait juste pris le temps d’embrasser Théophile. Lorsqu’elle descendit de la voiture, elle découvrit l’accablement des sœurs. Sœur Domitille et sœur Blandine arrivèrent à sa rencontre, elles guettaient sa venue. « — Sœur Marie Tranchepain t’attend Philippine. Elle savait que tu allais la visiter. Je pense que c’est la dernière fois que tu la verras. Elle est au plus mal. » Le cœur de la jeune femme se comprima. Elle monta précipitamment l’escalier, frappa à la porte de la chambre de la révérende mère et entra. La pièce était dans une semi-obscurité à peine éclairée par un chandelier sur la table de nuit, le lit de la mourante se situait au centre de celle-ci en face de la commode. À côté d’elle, elle découvrit les entités de sœur Madeleine et de sœur Marguerite. « — Assieds-toi auprès de moi, Philippine. Oui mon petit, comme toi, je les vois, elles sont venues me chercher. Je leur ai demandé de patienter, je détiens un message que je dois te transmettre. » La jeune femme inconsciemment se mit à pleurer. Le chagrin de ce départ, qu’elle estimait injuste, l’effondrait. « — Ne sois pas triste, Philippine. Je vais enfin arrêter de souffrir et crois moi, c’est une bonne chose. Je suis très lasse de lutter en vain. Le message que je dois te donner va te surprendre, même si en toi, tu t’en doutes, cela va te paraître impensable. » La jeune femme regardait la mourante puis ses yeux glissèrent de façon interrogative vers les deux entités qu’elle avait devant elle. Les deux sœurs, un sourire aux lèvres, restèrent impassibles. Elle ramena son attention vers la mère supérieure. « — Mon petit, ton époux va bientôt te laisser, en fait il va décéder dans un mois tout juste et dans le mois qui suivra tu quitteras la colonie pour ton pays. Je sais que ce que je te dis est violent, mais tu dois t’y attendre, car tu devras mener beaucoup d’actions avant que de partir. Il vaut mieux que tu t’effondres maintenant, pour la raison qu’il faudra que tu retrouves ta force et ton équilibre le moment venu. » Philippine était effarée par ce qu’elle entendait, c’était visiblement approuvé par les entités en face d’elle. En fait, c’est de cela qu’on la prévenait depuis tout ce temps. Elle n’avait pas voulu y croire, ni même l’envisager. Hilaire s’avérait encore jeune, il avait juste atteint ses trente ans. Elle comprenait mieux pourquoi le destin l’éloignait d’elle. Pour l’instant la seule chose qui l’attristait c’était le départ de sœur Marie Tranchepain. Elle en était là dans ses pensées quand elle entendit frapper à la porte. « — Va ouvrir, Philippine, c’est le père de Beaubois qui vient me confesser. Merci pour ta présence mon enfant. » Avant de quitter la pièce, la jeune femme se pencha et embrassa la mère supérieure puis elle ouvrit au père.

Une fois sortie de la chambre, elle s’écroula. Sœur Blandine et sœur Domitille eurent juste le temps de la soutenir. Elles l’aidèrent à descendre jusqu’au grand salon. «  Philippine, elle souffre tant, il est bon qu’elle parte.

— Je sais bien sœur Domitille, mais c’est tellement triste. Si cela ne vous ennuie pas, je vais demeurer ici cette nuit.

— C’est sans problème, nous détenons une chambre libre à l’étage.

— Je n’aurai pas besoin de la chambre. Je vais aller prévenir Anatole qu’il peut rentrer et qu’il devra revenir me chercher demain. »

Philippine de Madaillan

Suite à sa demande, le cocher ramena le carrosse à l’habitation, Cunégonde souhaita rester avec sa maîtresse. Philippine accepta. Le père de Beaubois, quand il sortit du lieu de souffrance, annonça le décès de la mère supérieure, il était advenu vingt jours avant la cérémonie de la naissance du Christ. Les sœurs allèrent préparer le corps de la révérende mère, puis toutes commencèrent les prières avant la mise en bière. La pièce était illuminée par les bougies qu’elles avaient installées. Les entités avaient accompagné la défunte vers la lumière.

Épuisée par la tristesse du deuil, Philippine reprit le chemin du retour le lendemain matin. Elle sollicita Anatole pour qu’il se rende chez Madeleine Lamarche, sa couturière. Elle devait se faire fabriquer des robes de deuil. Une fois qu’elle eut fait se demande, elle rentra à l’habitation, son époux en était déjà parti. Il se trouvait dans sa maison de négoce et Anatole devait aller le chercher pour le mener directement à sa plantation. Il ne sentit pas très à l’aise quand il en informa sa maîtresse. Elle se révéla indifférente à la nouvelle, tous pensèrent que cela venait du décès de la mère supérieure qui l’avait bouleversée.

Deux jours plus tard, l’enterrement eut lieu. La cérémonie fut donnée par le père de Beaubois dans la cathédrale Saint-Louis. Philippine dans une robe flottante noire livrée par sa couturière se retrouva assise à côté de sœur Domitille et de sœur Blandine.

***

Les jours défilaient, le mois de décembre s’acheva et le mois de janvier commença. Philippine n’avait pas revu son époux. Elle préférait. Comment aurait-elle pu ne pas montrer son désarroi ? Elle était assurée de l’information que sœur Marie Tranchepain lui avait délivrée, d’autant que les esprits des deux sœurs qui lui tenaient compagnie paraissaient en accord avec elle. De plus, sans obtenir de date précise, il y a longtemps qu’elle était instruite de son retour dans sa région. Elle n’avait rien contre Hilaire, elle touchait du doigt maintenant pourquoi l’ange Jabamiah le lui avait fait prendre pour mari. Elle avait admis qu’il avait compris l’intérêt de Léandre pour elle et peut être, avait-il réalisé qu’elle le lui rendait, même si ce n’était que des sentiments. Gabrielle l’avait visité à plusieurs reprises afin de s’assurer de son état. Elles partageaient leurs émois et leurs souvenirs sur les deux couvents où elles avaient vécu, cela leur faisait du bien. Les épouses des membres de la maison de négoce, étaient elles aussi venues. Elles ne s’avéraient pas très à l’aise, car elles savaient que son conjoint n’était pas revenu depuis un certain temps dans sa demeure. Elles étaient de plus informées de la double vie du propriétaire du comptoir. Elles la visitaient pour soutenir de leur mieux la jeune femme d’autant qu’elles jugeaient l’absence de son mari très injuste. 

Le jour annoncé par la révérende mère s’était écoulé sans qu’elle obtienne de nouvelles de son époux. Le soir venu, après un peu de lecture, elle se fit préparer par Cunégonde afin d’aller se coucher. Devant sa coiffeuse, elle lui tressa sa longue chevelure et lui passa sa robe d’intérieur. Lorsque celle-ci sortit, une brume blanche s’éleva au milieu de sa chambre. Elle s’éclaira soudainement d’une lumière aveuglante dans laquelle dansaient des particules. Philippine s’étourdit et s’évanouit sur son lit. Elle réalisa qu’elle avait quitté son corps. Elle se mit à flotter, la pièce changea de forme, elle se dilatait. La jeune femme découvrit une porte qu’elle entrouvrit. Derrière, elle remarqua un paysage féerique. Autour d’elle, tout n’était que beauté. Elle s’engagea dans un sentier bordé de grands arbres et là elle aperçut son époux. Il lui sourit, lui tendit la main et saisit la sienne l’entrainant vers le fleuve sous une pluie étoilée au milieu de laquelle la lune irradiait. Elle le regarda avec tristesse, car elle comprenait ce qu’il était devenu. «  S’il te plait, Philippine, il faut que tu t’occupes de Lilith et des enfants. Ils ne peuvent pas rester des esclaves. Je n’ai pas accompli l’action adéquate pour les émanciper. Va voir notre notaire, il t’expliquera quoi effectuer.

Hilaire Gassiot-Caumobere

— Ne t’inquiète pas Hilaire, cela faisait déjà partie de mes objectifs. Mais que t’est-il arrivé ?

— Je ne saurais te dire. Je parcourais mes champs sur mon cheval. J’ai senti une terrible crispation au cœur et je suis tombé. Je pense qu’il s’est arrêté… Excuse-moi pour mon éloignement, je n’ai pas été très intelligent. Je suis conscient pour Léandre et toi et j’espère pour vous que vous allez vous revoir. Tu le mérites. » Après avoir exprimé son désir, donné son explication et s’être repenti, il se dissipa. Philippine continua à marcher sur le chemin puis petit à petit, elle s’éleva dans les cieux. Ceux-ci se transformèrent en escalier. Elle le gravit sans peine. Elle se trouva devant une nouvelle porte, immense à deux battants. Elle la poussa et entra dans une galerie qu’elle connaissait déjà. Cette fois-ci, son ange vint à elle. Jabamiah souriait par compassion. « — Bonjour, Philippine, maintenant tu sais. Demain, va faire quérir sa famille. Vends la plantation, mais garde la maison de négoce. Pour tes serviteurs, laisse parler ton cœur. 

— Vous pensez que l’on me fera des difficultés ?

— Non mon petit, je me trouverai là pour t’épauler. »

Philippine ouvrit les yeux, elle se tenait sur son lit dans sa robe volante d’intérieur. Elle s’assit sur sa couche, puis elle se leva et se rendit sur la galerie donnant sur le jardin illuminé par le ciel nocturne. Sous un magnolia se situait un ours. Son animal gardien était là. Sa présence la rassura. 

***

Cette nuit-là, Philippine ne dormit pas. Elle ressassait ce qu’elle avait appris et déroulait dans sa tête ce qu’elle allait devoir accomplir. Au petit matin, Cunégonde la trouva dans le jardin qu’elle arpentait de long en large. Qu’est-ce qui pouvait bien agiter autant sa maîtresse ? Elle se rendit auprès d’elle, Philippine la découvrant lui sourit tristement. « — Bonjour, Cunégonde, lorsque tu m’auras apporté mon déjeuner, demande à tous de me rejoindre dans le salon. » La chambrière fut décontenancée par la requête. Pour qu’elle veuille les voir tous ensemble c’est que quelque chose n’allait visiblement pas. 

Trente minutes plus tard, tous les serviteurs se trouvaient face à leur maîtresse. Quand ils pénétrèrent dans la pièce, elle se leva, tapota machinalement son jupon et replaça sa robe flottante. « — Je suis désolé, mais ce que j’ai à vous annoncer va vous déconcerter. J’ai appris… À vrai dire je ne sais comment vous le dire… Votre maître est décédé hier en fin d’après-midi. » Les serviteurs se regardèrent plein de questionnements dans les yeux. Comment pouvait-elle le savoir ? Personne n’était venu. Cunégonde comprit qu’elle avait toujours eu raison, sa maîtresse avait les mêmes dons que la tisanière de son maître. Elle avait entendu celle-ci lui procurer le nom de sa future maîtresse, et cette dernière était arrivée dans l’habitation. Elle ne l’avait pas choisi pour rien. Afin d’interrompre l’incertitude de tous, Cunégonde prit la parole. « — Que devons-nous réaliser, maîtresse ?

— Anatole et Adrianus, il faut vous rendre à la plantation. Vous devez conduire Lilith et ses enfants ici. Elle s’avère consciente déjà qu’elle n’y reviendra pas. J’ai préparé une lettre pour exécuter cette demande et faire ramener le corps de mon époux. Il devra être enterré à la Nouvelle-Orléans. Tant qu’il ne se trouvera pas là, personne ne doit le savoir. 

— Et après, maîtresse ?

— Ne vous inquiétez pas, je ferrai tout ce que je peux pour votre bien être. »

***

animal gardien

La journée n’en finissait pas. Philippine se rendait régulièrement sur la galerie de l’étage guettant le retour du carrosse et de la carriole qui allait ramener le corps de son époux. Elle souhaitait ne pas avoir simplement rêvé, mais chaque fois que cela venait dans ses pensées, une voix intérieure lui certifiait que non. Elle s’avérait consciente du temps que cela prendrait d’effectuer l’aller-retour, et elle espérait que le contremaître ne s’était point opposé à ses demandes. Ses servantes, hormis Cunégonde, la regardaient de façon sceptique, même si elles avaient réalisé que leur maîtresse ne se trompait jamais. Seulement, cette fois, c’était tellement invraisemblable qu’elles avaient des doutes. La sieste passée, Philippine se mit à jouer de la harpe, ce qui amena son fils. Théophile attrapa un coussin et s’assit face à sa mère que cela fit sourire. Violaine s’installa sur une chaise afin d’avoir l’œil sur l’enfant. Au moment où Philippine s’y attendait le moins, elle vit un loup se promener devant la porte-fenêtre. Elle comprit que son animal gardien avait quelque chose à lui dire. « — Violaine, tu devrais aller faire gouter Théophile. » Celle-ci surprise par sa soudaine interruption, se leva et prit son petit garçon dans ses bras. Une fois qu’elle fut sortie, Philippine se rendit dans la galerie. « — Où tu es ?

— Ici, Philippine. Je suis venu te prévenir qu’ils vont bientôt entrer dans la ville.

— Animal-gardien, assure-moi que je ne me suis pas trompée.

— Non, les faits se passent comme tu l’as dit. Dès qu’ils seront arrivés, envoie le contremaître à la cathédrale chercher le père de Beaubois. Il faut que le décès de ton époux soit de suite officiel.

— Bien, je l’accomplirai. Merci d’être venu. 

— Je suis là pour ça. »

Trente minutes plus tard, au pied de l’habitation se trouvait le carrosse et la carriole. Philippine descendit, elle appela Cunégonde et Héloïse. Elle ne voulait pas être seule devant ce drame. Elle sortit sur le pas de sa porte suivie de ses servantes. « — Bonjour, Lilith ! Cunégonde va vous guider à votre chambre pour que vous puissiez vous installer. Adrianus et Anatole, pouvez-vous porter le cercueil dans le salon donnant sur le jardin ? Bonjour, monsieur ! Je suppose que vous êtes le contremaître, monsieur Fauger ?

— Oui, madame.

— Pouvez-vous vous aller à la cathédrale Saint-Louis et prévenir le père de Beaubois ? Héloïse va vous y guider.

— Bien sûr, madame. Je m’y rends tout de suite. »

Dans la demeure d’en face une voisine réalisa ce qui se passait. Elle sortit et vint voir Philippine. « — Madame de Madaillan, que vous arrive-t-il ?

— C’est mon époux madame Trudeau… Il est décédé. Son cœur apparemment s’est arrêté de battre. 

— Mon Dieu ! Mais c’est terrible, c’est une catastrophe. Voulez-vous que je prévienne quelqu’un ?

— Si cela ne vous ennuie pas, pouvez-vous en informer madame d’Artaillon ?

— Bien sûr, j’y vais de suite. »

Le cercueil déposé dans le salon, Adrianus et Anatole avait ouvert son couvercle afin que leur maîtresse puisse voir son mari. Elle rentra à ce moment-là et l’aperçut. Son cœur se serra, cela la remua, bien qu’elle n’ait jamais vraiment ressenti d’amour pour lui, simplement du respect et de la tendresse. Il ne l’avait toutefois pas mérité, même si cela était son destin. « — Adrianus, tu peux aller au comptoir prévenir ses messieurs du drame ? 

— Bien sûr, madame. »

Elle s’assit auprès du cercueil et se mit instinctivement à prier. Après avoir confié ses enfants à Violaine qui de suite s’amusèrent avec Théophile, Lilith pénétra dans la pièce. Philippine lui montra une chaise, afin qu’elle puisse s’installer à ses côtés. « — Je tiens à vous remercier de nous avoir fait quérir aussitôt.

— Je ne pouvais vous laisser là-bas. De plus, Hilaire me l’a demandé, mais vous devez en être informée. 

— Non, je n’en ai pas été informé. À partir du moment où il est mort je n’ai plus rien obtenu de sa part. 

— Je ne peux pas en dire autant.

— Cela fait longtemps que vous aviez conscience qu’il allait nous quitter ?

— En fait, non. C’est la révérende mère qui me l’a dit avant de décéder, il y a un mois.

— Ah. Je pensais que l’on vous avait éclairée auparavant.

— Je savais juste que j’allais repartir chez moi. Je ne saisissais pas le pourquoi ni le comment. Je trouvais cela quelque peu invraisemblable. »

Elles allaient poursuivre leur conversation, mais le père de Beaubois entra dans la pièce. Lilith aussitôt se retira sous le regard interrogatif du prélat. Il se retourna vers Philippine. « — Ma pauvre enfant, voilà qui se révèle difficile à vivre. Il nous manquait plus que ça. »

***

Philippine de Madaillan

 Le soleil ne s’était pas couché, que tout l’entourage de Philippine se trouvait dans son habitation pour la soutenir. Dès qu’ils l’avaient su, ils étaient parvenus les uns après les autres jusqu’à sa demeure. Gabrielle fut la première. Puis arrivèrent, avec leurs épouses, les membres de la maison de négoce. Un peu plus tard, ce furent sœur Domitille et sœur Blandine qui ayant été informées se présentèrent. Cela fit chaud au cœur de la jeune veuve, qui était déjà revêtue d’une robe flottante noire, officiellement, suite au deuil de la révérende mère. Cunégonde faisait rentrer et accueillait les proches venus pour sa maîtresse, Marceline et Héloïse avaient de leur mieux cuisiné des encas afin de nourrir les différentes personnes. Ils passèrent tous la nuit avec elle, se demandant pour certains ce qui allait survenir pour leur devenir. 

La messe et l’enterrement étaient prévus pour le lendemain, vu que même en hiver la chaleur se révélait présente, et l’on ne pouvait laisser le corps du défunt s’altérer. Au petit matin, chacun repartit chez lui en vue de se préparer pour la cérémonie funéraire. Philippine resta avec sœur Domitille et sœur Blandine. Cette dernière s’adressa à elle. « — Mon enfant, il faut aller vous apprêter, car vos proches vont revenir dès qu’ils s’avèreront prêts. Nous allons vous attendre dans le salon. » Elle écouta ses anciennes enseignantes du couvent auxquelles elle était attachée. Elle monta à l’étage et pénétra dans sa chambre. Cunégonde l’avait suivie. «  Que voulez-vous mettre pour la cérémonie, maîtresse ? 

 Apporte-moi ma robe à la française en damassé noir. Amène-moi aussi l’un de mes voiles en mousseline. »

Une fois seule, elle s’assit face à sa porte-fenêtre. Elle fixait le soleil qui se levait. Elle laissait ses pensées envahir sa tête. Elle était fatiguée moralement, elle était emplie de doutes. « — Il faut te ressaisir Philippine. » Elle sursauta. Qui lui parlait ? Elle découvrit l’entité de l’église. « — Je sais ce que tu vis. Mon époux est aussi parti de façon étrange. J’ai de plus culpabilisé, car je n’avais rien perçu jusqu’à ce que cela arrive, mais souviens-toi que tu n’y es pour rien. Tu dois en outre accomplir beaucoup de choses avant de quitter la colonie. Tu n’as pas le choix. » Philippine releva la tête et lui sourit avec une certaine tristesse. « — Je vais t’écouter. Il s’avère évident que tu as raison. Beaucoup de personnes dans mon entourage se posent des questions sur leur avenir. Je dois les rassurer et pour cela je dois passer à l’action. Merci à toi. » Elle se redressa et se leva, dans le même temps l’entité s’évanouit. Cunégonde revint à ce moment-là avec la demande. « — Avec Héloïse, nous vous préparons un bain afin de pouvoir vous détendre.

— C’est gentil, Cunégonde. Il faut que je te dise… Je pense que je vais rentrer en France. Veux-tu me suivre ?

— Oh ! Oui, maîtresse.

— Une fois que nous serons arrivées, je te ferai émanciper. 

— Merci maîtresse, merci maîtresse.

— C’est normal Cunégonde. Peux-tu voir si Violaine accepterait aussi ?

— Je n’en doute pas, maîtresse. »

Ce fut à ce moment-là qu’elle réalisa que Violaine de même avait la peau très claire, un concours de circonstance sûrement. Une voix lui parvint, elle supposa que c’était son animal-gardien « — C’est Lilith qui les a choisis ! »

***

Sous le soleil matinal, le cercueil fut remis dans la carriole. Tous le suivirent à pied jusqu’à la cathédrale, les femmes marchant sur le trottoir et les hommes sur la rue. La terre s’avérait sèche, il n’avait pas plu depuis plusieurs jours, une fine poussière s’élevait. Parvenue sur les lieux, la bière fut transportée et installée face à l’autel. Les serviteurs, dont Lilith, restèrent au fond de l’église, Philippine, comme ses proches, s’assit sur les bancs, la jeune veuve se situant sur le premier au côté de Gabrielle, sœur Domitille et sœur Blandine. Le père de Beaubois accomplit la cérémonie. Sous son voile de mousseline noir, Philippine s’effondrait. Elle culpabilisait, car cette mort lui offrait sa nouvelle liberté. Gabrielle lui tenait la main afin de la maintenir, elle la sentait trembler. La messe funéraire terminée, les uns et les autres sortirent, Philippine et ses amies en dernier. Le cercueil fut saisi par les hommes de la maison de négoce d’Hilaire qui le menèrent à nouveau à la carriole. Ils allaient tous le suivre jusqu’au cimetière. L’information avait parcouru le tour de la ville. Sur les marches de l’église, Philippine découvrit son notaire, monsieur Bevenot de Haussois et son épouse. Celui-ci présenta ses condoléances. Elle le remercia. « — Madame de Madaillan, sachez que je vous attends quand vous le désirez. J’ai le testament de votre conjoint et vous êtes la seule concernée. » La jeune femme se tourna vers Gabrielle. « — Tu pourrais venir avec moi demain après-midi ?

— C’est évident Philippine.

— Merci à toi. Nous passerons donc demain en début d’après-midi.

— Je vous y attendrai, à demain, mesdames. »

Philippine se mit en route vers le cimetière, marchand derrière la carriole et suivie de ses proches, Gabrielle à son bras. À un mois près, elles effectuaient le même parcours.

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Cette histoire met en scène des personnages réels et des personnages fictifs ainsi que des événements et des dialogues inventés à des fins dramatiques et afin de compléter les vides des biographies. Les illustrations des personnages ne sauraient être confondues avec les personnes réelles.

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