Le drame de Natchez ou Blanche-Marie Peydédau 22, 23 et 24

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Chapitre 022

Blanche-Marie Peydédaut

La journée des miracles, lundi 20 février 1730

Martha avait laissé le petit Paul aux soins de Blanche-Marie et se rendait chez madame Payen de Noyan afin de lui remettre une missive de la mère supérieure. La lettre prévenait sa destinatrice de la venue prochaine de Blanche-Marie à son service. Il avait plu une partie de la nuit et comme d’habitude les rues de la ville ressemblaient à un bourbier devenu puant sous l’ardeur du soleil. Les habitants prenaient de plus en plus l’habitude d’élever, à l’aide de planches, une sorte de trottoir surélevé qu’ils nommaient des banquettes et sur laquelle les passants marchaient avec un équilibre précaire. Ils s’y maintenaient à l’abri des éclaboussures de boue, mais cela n’écartait pas quelques chutes des plus malencontreuses. Martha, jupes et jupons relevés le plus haut que la décence lui permettait, se retrouva devant l’une des maisons les plus grandes de la ville, celle de monsieur de Villars du Breuil, l’époux de la protectrice de Blanche-Marie. 

Après s’être annoncée par quelques coups toqués à la porte, Martha se retrouva devant un esclave prétentieux, vêtu d’une livrée, mais les pieds nus, celui-ci la dévisagea avec dédain des pieds à la tête. Quoique bien mise, ayant compris toutefois qu’il avait à faire à du menu fretin, il ne prit pas la peine d’esquisser quelques déférences envers la jeune femme. Cela ne troubla guère Martha et d’un geste autoritaire, mais encore empreint d’amabilité, elle ne se sentait ni supérieure ni inférieure au esclave, elle lui tendit le pli. 

— Cela est pour madame Payen de Noyan de la part de la mère supérieure des ursulines. 

L’esclave prit la lettre et lui referma la porte au nez sans avoir émis un mot et sans s’être soucié du besoin éventuel d’une réponse. Martha, un peu contrariée, haussa les épaules devant ce mépris affiché, mais elle connaissait cette engeance qui avait besoin de se savoir supérieure à quelqu’un. 

Elle avait devant elle du temps et décida de rentrer par la levée. Le lieu était devenu une promenade prisée des Orléanais qui y satisfaisaient leur curiosité examinant les navires amarrés et leurs cargaisons. Tout ce qui pouvait apporter des nouvelles, du ravitaillement était toujours très attendu. Elle aimait y venir même quand Alboury était absent, cela lui donnait la sensation d’être avec lui. Pour l’instant, son commerce l’avait à nouveau emporté dans les méandres des bayous ou sur la côte, elle ne savait jamais. La maison de madame Payen de Noyan était sur la parcelle à l’angle de la rue de Bienville et des bords du fleuve, elle fut donc sur la rive en deux enjambées précautionneuses évitant au mieux les flaques boueuses. Elle n’était pas inquiète de s’y promener seule malgré le peuple de marins qui vaquaient aux abords. La plupart savaient qu’elle était la bonne amie du grand esclave contrebandier et ne se seraient pas aventurés à le contrarier en aucune manière et si par hasard l’un d’eux s’y était aventuré d’autres s’interposaient. Elle avançait donc en toute quiétude sur le faîte de la levée dominant d’un côté la ville et de l’autre le fleuve. Elle s’y arrêta et contempla les alentours, ce fut comme cela que son regard fut arrêté par la vision incertaine d’un convoi s’approchant en amont de la ville. Une caravane d’embarcation descendait le fleuve, elle supposa que c’était un régiment qui revenait par la voie fluviale. Comme elle ne distinguait que la masse confuse de la guirlande nautique, elle attendit, curieuse d’en savoir plus. Petit à petit, le dessin du convoi se précisa, elle aperçut à son bord, égrené sur plusieurs embarcations, des marins, des militaires ainsi qu’une multitude de femmes et d’enfants. Sur les rives, comme elle, les gens s’attroupaient aussi intrigués qu’elle. Quand les premières embarcations accostèrent devant la place d’armes, la foule était dense, curieuse de cette étrange procession qui semblait sans fin, la nouvelle avait parcouru toute la ville, rameutant tout un à chacun. Un gradé descendit de la première pirogue dans le silence avide d’information des spectateurs. Il donna l’ordre à un de ses hommes de se rendre chez le gouverneur afin de le prévenir de leur arrivée. Un des curieux n’y tenant plus formula la question qui taraudait tout le monde. 

— Excuse-moi l’officier, mais c’est qui tout ce monde ? 

— ce sont les rescapés de Fort-Rosalie.

Ce fut un hurlement de joie général, il y avait donc des survivants. En fait, très vite il s’avéra que c’étaient essentiellement des femmes et quelques enfants qui débarquaient. Ils étaient visiblement harassés, mal en point, la compassion prit très vite le pas sur la curiosité, chacun se mit en devoir d’aider les rescapés. Ceux-ci cherchaient dans la foule amis ou parents certains, les trouvaient et racontaient déjà l’horreur de leur périple se déchargeant le plus vite possible des sinistres souvenirs. Autour d’eux chacun apprit qu’ils avaient réussi à s’enfuir du Grand-Village Natchez lors de l’attaque conjointe des Français et des Chactas. Les Orléanais se régalaient de l’écoute des horreurs auxquelles ils avaient eux-mêmes échappé, savourant avec un peu plus de délectation la vie. La nature humaine est ainsi faite.

***

Le gouverneur Périer

Le gouverneur Périer, tout en buvant un café sous l’œil vigilant à ses besoins de son valet, s’abîmait dans ses réflexions. Il ne pouvait se départir de ses sombres pensées toujours les mêmes. Malgré tous ses efforts à mettre de l’ordre dans cette colonie, tous n’allaient se souvenir que de cette guerre désastreuse avec les Natchez. Pris entre les intérêts de la Compagnie, du gouvernement et des particuliers, sans omettre les dissensions entre les fidèles à Bienville, ceux de monsieur de la Chaise, ceux des franciscains et ceux des jésuites, il avait le plus grand mal à organiser, ne serait-ce que la défense de la Colonie. Comme pour le reste de son organisation, bien que tournée vers les intérêts du bien-être de tous, chacun interprétait ses ordres et ses injonctions selon ses propres intérêts. L’exemple le plus terrible avait été ce commandant, Etcheparre, dont il ne s’était pas suffisamment méfié, car pour une fois on ne lui avait pas rétorqué que monsieur de Bienville aurait fait comme ceci ou comme cela. Il l’avait laissé agir à sa guise, supposant que l’avertissement donné suffirait à le maintenir dans son juste devoir. À sa décharge, mais cela ne soulageait en rien le gouverneur, au même moment, monsieur de la Chaise le harcelait pour qu’il mette un frein à la contrebande qui portait préjudice aux dividendes de la compagnie, faisant passer Etcheparre et son comportement au second plan de ses préoccupations. Il était vrai qu’il était peu regardant aux trafics en tous genres qui venaient souvent pallier l’insuffisance du ravitaillement dévolu à la Compagnie qui prenait plus qu’elle ne fournissait. 

Il en était là de la suite peu constructive de ses pensées, lorsque son secrétaire en interrompit le sinistre cours en frappant et entrant dans le même temps, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Ce dernier suivi d’un militaire à la piteuse allure, la face rougie par sa course, s’excusa de son entrée peu respectueuse des usages. Le gouverneur, un sourcil relevé, circonspect, balaya l’allégation et attendit la suite. 

— Monsieur, cet homme est le messager d’un miracle.

— Ah ? Et quel est-il ?

— Monsieur le gouverneur, mes respects. Sous les ordres de monsieur de Montigny, nous revenons de Fort-Rosalie. Nous avons reconduit une cinquantaine de rescapés, essentiellement des femmes. Elles ont réussi à se mettre sous la protection de nos rangs lors de l’attaque du Grand-Village Natchez. 

— C’est miraculeux ! Mais a-t-on réussi à soumettre les Natchez ?

— Pas tout à fait monsieur le gouverneur, messieurs d’Artaguette et d’Arensbourg, font le siège devant Fort-Rosalie où ce sont retranchés les dissidents. 

Cela satisfaisait à moitié le gouverneur qui aurait aimé une solution plus prompte, voire plus radicale, mais pour l’instant il se contenterait de cette nouvelle qui allait mettre du baume dans le cœur de tous. Il se leva, s’adressa à son secrétaire pendant que son valet lui passait son habit et lui tendait son tricorne. 

— prévenez mon épouse de la nouvelle, puis allez la porter à monsieur de la Chaise s’il n’en a pas encore eu connaissance. Envoyez un messager aux ursulines, car nous allons avoir besoin de leurs bons soins. 

Sans plus attendre, il retrouva son escadron qui patientait dans le vestibule et sortit. Il traversa la place d’armes, fendit la foule curieuse qui l’emplissait et qui s’écartait avec respect devant lui. 

Les Orléanais avaient déjà pris en main les rescapées, les entourant déjà de leur attention. Entre les nouveaux arrivants et les habitants de la ville rassemblés, l’attroupement était dense. Au milieu du groupe, donnant des ordres à ses hommes, monsieur de Périer trouva monsieur Dumont de Montigny ainsi que monsieur de la Chaise et le père Rigaud. Décidément, pensa le gouverneur, les nouvelles vont vite et cela en disait long quant à son réel pouvoir. 

— Enchantez de vous voir monsieur de Montigny.

— Monsieur le gouverneur.

François de Montigny se courba avec déférence, n’en pensant pas moins de la satisfaction du gouverneur à le voir là et qui ne faisait guère illusion. Le gouverneur se racla la gorge avec la visible intention d’émettre un discours. Le tumulte couvrant la voix de l’orateur, un homme derrière lui d’une voix de stentor réclama le silence, le silence tomba sur la place. 

— Mesdames, c’est avec joie que nous vous recueillons et que nous remercions Dieu de vous avoir épargnées. Nous allons faire de notre mieux pour vous aider en tout et allons vous accompagner chez les dames Ursuline qui vont vous soigner et vous loger. 

Dans la foule, une femme cria : 

— vive le gouverneur !

La foule reprit l’acclamation avec enthousiasme, tous étaient heureux de voir ses miraculées qui mettaient en exergue leurs propres sauvegardes. Le père Rigaud demanda à nouveau le silence et entonna une prière reprise par tous avec sincérité, tant tous prenaient la mesure de ce à quoi ils avaient échappé. 

***

Martha

Au couvent, dès la nouvelle connue, l’agitation fut à son comble. Les cuisines s’étaient mises à l’ouvrage et se chargeaient sous la coupe de la sœur gestionnaire de concocter une soupe roborative. Dans les étages, les sœurs et leurs servantes composaient des couchages de fortune. Dame Tranchepain encourageait ou morigénait selon les besoins sa dizaine de sœurs, et leurs servantes, rassurant tout son monde, car Dieu pourvoirait à ce qui leur paraissait à cette heure impossible. Elle avait raison, par l’entremise des Orléanais, les secours, le linge, les vivres arrivèrent à même temps que les réfugiées. Chacun était passé chez soi, avait puisé dans ses propres réserves, ce qu’il pouvait porter pour répondre aux besoins de première nécessité. Comme chaque fois que la colonie souffrait, spontanément l’entraide s’organisait sans qu’il fallût la demander.

 Martha fut la première de tous. Elle était passée par chez elle, vidant son garde-manger, et rassemblant du linge sans se soucier si cela lui était ou non superflu. Lorsque les premières arrivées soutenues par la population et les militaires entrèrent dans le jardin du couvent, Martha était sur place, aidant les sœurs. Blanche-Marie à la demande de la mère supérieure s’était postée à l’entrée, elle connaissait la plupart des arrivantes et elle les accueillit avec toute l’attention possible, aidant l’une des sœurs à tenir un registre afin de connaître leur identité. Chacune était guidée suivant l’urgence vers des chambres, l’infirmerie ou sur les pelouses du jardin, où avaient été étendu des draps afin de pouvoir attendre le plus confortablement possible une meilleure installation. Le soleil était là réchauffant les corps et l’ombre des arbres s’étalait protégeant chacun de son ardeur au moment voulu. 

— Mademoiselle Peydédaut ? Mademoiselle Peydédaut ! Vous ici ! Indemne ! C’est miraculeux. Blanche-Marie fit une volte-face vers l’interpellation. Madame Grimault La Plaine, oh mon dieu quelle joie de vous voir parmi nous, c’est pas Dieu possible ! je vous croyez morte, que Dieu m’en excuse.

— Moi aussi, quand on ne vous a plus vu chez ces sauvages, nous vous avons cru perdu. Et madame Roussin ?

— Elle est là ! Elle est là, elle est en haut, alitée, elle se remet difficilement. Et votre famille ?

— Seule Éloise en a réchappé, alors que, comme les autres, je la croyais trépassée, elle est apparue avec d’autres, elle avait été faite prisonnière par un autre groupe de sauvages. Vous n’étiez plus là quand ils sont arrivés. Elle est là-bas.

Blanche-Marie tourna les yeux dans la direction indiquée, aperçut la nièce de madame Grimault. La jeune femme effacée était devenue une femme autoritaire à l’instar de sa tante, elle houspillait des esclaves qui transportaient au mieux une malheureuse. 

— Eh oui ! Mademoiselle Peydédaut, plus que les épidémies et les terribles intempéries que nous avons subies, ces derniers événements nous ont marqués en profondeur, en anéantissant certains et révélant la force des autres. Eloise fait partie de la dernière catégorie, la mort de son époux et de ses parents et ce qu’elle a subi n’ont fait que décupler son courage et sa force de caractère. Trait familial s’il en est. 

Blanche-Marie tout en l’accompagnant continua à converser avec madame Grimault, l’une et l’autre narrant leur propre péril. Chacune d’elles avait besoin de se décharger de ses misères, elles n’oublieraient jamais bien sûr, mais elles allégeaient leur peine. 

***

François Dumont de Montigny se rendait au couvent des ursulines afin de rassembler ses hommes disséminés entre la place d’armes et le couvent où certains avaient accompagné les rescapées. Au préalable, il avait fait un rapport circonstancié auprès du gouverneur en présence de monsieur de la Chaise et du père Rigaud, l’un et l’autre s’étant imposés, car ils représentaient la compagnie et l’autre l’église. Il avait donc décrit, aux trois hommes représentant les pouvoirs qui régissaient la colonie, l’expédition poussive jusqu’à Fort-Rosalie dans les rangs du chevalier Louboey, puis la bataille au côté de monsieur Lesueur qui avait permis aux captives de s’enfuir, puis enfin son retour avec elles et un détachement dont il avait accepté le commandement à la demande du chevalier. Ils l’avaient écouté avec attention, ils avaient posé des questions, il avait fait quelques remarques acerbes ne pouvant s’empêcher de porter quelques critiques sur le déroulement de la campagne. Connaissant l’homme, le gouverneur ne releva pas, bien qu’il jugeât qu’à certains égards, il devait y avoir quelques raisons dans ses réflexions. François de Montigny avait été satisfait de leur en remontrer, lui qui les avait prévenus du futur désastre et qui en échange avait récolté la prison. 

Lorsqu’il rentra dans le jardin, aux sœurs et à leurs aides s’étaient mêlés les Orléanais apportant leur aide par compassion ou par peur du jugement divin qui jusque-là les avait épargnées des vicissitudes de la guerre avec les Natchez. Il y avait donc foule, mais l’organisation avait fait son œuvre. Il chercha une sœur afin de faire prévenir la mère supérieure de sa présence. En ayant trouvé une qui se chargea de sa commission, il se posta sur le perron et attendit tout en laissant son regard courir alentour. Tout à coup, son intérêt s’accrocha à une silhouette qui l’intrigua. Cela ne pouvait être possible, pourtant la silhouette et la couleur fauve des cheveux ne pouvaient le tromper. Il avança à grandes foulées vers elle. 

— Mademoiselle Peydédaut ? Blanche-Marie ? Blanche-Marie ! 

La jeune fille, qui passait entre les rescapées distribuant à chacun son bol de soupe, se retourna, son visage s’illumina, le moindre rescapé de l’horreur amenait la joie, on oubliait dissensions et indifférences, chacune des  retrouvailles était d’importance. 

— François ! Monsieur de Montigny, nous vous avions cru mort !

— Le : nous ? Cela veut dire… que vous n’êtes pas la seule à y avoir réchappé ? 

— Bien sûr, Marie, Marie est là, à l’étage.

Le cœur de l’homme se crispa, cela ne pouvait être possible, cela serait trop merveilleux. À la vue de son visage bouleversé, Blanche-Marie réalisa ce que le choc pouvait faire à Marie. 

— Attendez-moi là, je vais la chercher, mais ne vous faites pas trop d’illusion, si elle n’a plus de séquelles physiques, marie est encore très souffrante. 

Elle s’élança à l’intérieur du bâtiment laissant François figé dans l’expectative. 

***

— Marie, Marie, levez-vous. Il faut venir avec moi, j’ai une surprise pour vous. 

Blanche-Marie Peydédaut

La jeune femme alitée regardait son amie sans apparemment comprendre. Délicatement, Blanche-Marie l’aida à se lever, remit de l’ordre dans sa coiffure et lui passa une robe flottante en coton imprimé. Elle lui prit le bras et l’entraîna vers l’extérieur. Marie, qui ne sortait guère de sa chambre, eut une résistance instinctive. 

— Non, ne vous inquiétez pas Marie, faites-moi confiance. Je ne peux faire venir votre surprise, il vous faut aller à elle. 

Avec un petit geste de la main, elle la tira doucement, la jeune femme se laissa faire.

Arrivées sur le perron, les deux jeunes femmes trouvèrent François de Montigny, qui n’avait pas bougé de place, en entretien avec dame Tranchepain qui l’avait rejointe. Il venait de lui expliquer qu’il venait chercher ses hommes si elle n’avait plus besoin d’eux. À sa vue, Marie se figea, s’alourdit sur le bras de Blanche-Marie. Elle ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. — Marie ! Elle n’en entendit pas plus, elle défaillit s’effondrant sur elle-même. Quand elle revint à elle, suite aux claques amorties de Blanche-Marie, elle se demanda si elle avait rêvé, mais elle fut aussitôt détrompée, François était à ses côtés. La voix enrayée par les sanglots retenus, elle s’exclama : 

— je vous ai cru mort. 

Il la prit dans ses bras, trop heureux de ce miracle, sans se soucier des convenances. Il pleurait de joie tout en caressant ses cheveux, ses joues. Elle se laissait faire, se nichant dans le creux de son épaule. Un flot de paroles sortait enfin d’entre ses lèvres, au milieu de tous, dans les bras de l’homme qui ne la lâchait pas, elle raconta tout ce qu’elle avait vécu et la souffrance qui avait envahi son âme. Blanche-Marie, debout, cherchant un mouchoir dans la poche du tablier épinglé à sa robe, laissait-elle aussi ses larmes couler. Dame Tranchepain constatait que la bienséance ni trouvait plus son compte, elle tordait un peu le nez comprenant que ce couple n’était pas de simples amis qui se retrouvaient, mais elle ne disait rien, n’empêcha pas les effusions. Intérieurement, elle remerciait Dieu de l’effet bénéfique de ses retrouvailles fusionnelles, la jeune femme semblait libérée de sa torpeur.

***

Dans les jours qui suivirent, François vint visiter tous les jours Marie. Dame Tranchepain se posait bien quelques questions sur le résultat de ces visites. Elle n’y mit toutefois pas un frein exigeant simplement un chaperon lors des entretiens du couple. Marie que la vie avait reprise apportait désormais chaque jour comme à son habitude un soin attentif à sa mise. Et même si son entourage devinait ce qui se déroulait sous leurs yeux, le constat de tous était qu’il fallait bien que la vie reprenne. 

***

Blanche-Marie descendit de la chaise à porteurs de madame de Payen de Noyan devant la demeure de celle-ci. C’était une des rares maisons de la ville à avoir un étage en dehors de quelques bâtiments officiels. Elle eut un regard de nostalgie vers celle de l’ancien gouverneur situé de l’autre côté de la rue. Elle se revoyait devant la porte du haut de ses treize ans à attendre que l’on vienne lui ouvrir. Et voilà que cela recommençait huit ans plus tard. Elle savait la maison de monsieur de Bienville vide, Martha le lui avait signifié dans une de ses lettres, pour des raisons qu’elle ne connaissait pas, Isaï et Mélinda étaient partis pour une plantation de l‘ancien gouverneur. 

Elle entra dans la demeure richement meublée et suivit une servante noire affable à la démarche ondulante. Elle la guida jusqu’à sa maîtresse encore à sa toilette. Blanche-Marie aspira un grand coup, une nouvelle vie pleine d’inconnu commençait. 

Mais contrairement à ce qu’elle pensait son destin ne se changeait pas de ce côté de l’océan, mais cela elle ne pouvait le savoir. 

Chapitre 023


Blanche-Marie Peydédaut

La justice est rendue, mars 1730

— Paul ferme ce livre, s’il tombe, tu vas le gâcher irrémédiablement ! 

Sur la banquette de la rue de Chartres, la jeune femme suivie du petit garçon, qui marchait, le nez plongé dans un livre à la couverture en maroquin rouge, et d’une jeune esclave, comme tous les matins, s’en revenait du couvent des ursulines. Blanche-Marie raccompagnait petit Paul à Martha après avoir apporté son aide aux dames de la congrégation en s’occupant de l’enseignement de la lecture et de l’écriture des petits orphelins. Ce jour était un jour exceptionnel, c’était la fête du petit garçon, aussi la jeune fille lui avait offert les fables d’Ésope et il s’était plongé dans le manuscrit qui contenait des illustrations qui l’émerveillaient. 

Elle était heureuse de l’acquisition qu’elle avait faite auprès du contrebandier. Alboury qui s’était ouvert à elle de la découverte d’un coffre contenant plusieurs livres et qui n’en connaissait pas le prix qu’il pouvait en requérir, les lui avait montrés pour en faire l’estimation. Il y en avait cinq dont les fables illustrées, et bien qu’il vaille forts chers, il lui avait cédé à un tout petit prix d’autant qu’il savait pour qui était le cadeau, c’était sa façon d’y participer. 

La journée était belle, ensoleillée, odorante de mille fragrances, une journée de printemps comme elle les appréciait. Blanche-Marie son chapeau de paille cachant le haut de son visage, son ombrelle d’une main l’abritant de l‘ardeur du soleil de midi, retenait ses jupes légèrement relevées de l‘autre, elle se souciait de ne pas les souiller dans les traces de boue que la pluie du matin avait laissées. Paul derrière son dos se demandait comment elle pouvait savoir ce qu’il faisait. Il ferma le livre et le tint comme une relique entre ses petites mains. Ils arrivèrent ainsi à la place d’armes après avoir dépassé l’hôtel du gouverneur, Blanche-Marie inspecta les lieux cherchant sur le marché qui s’étalait entre celle-ci et la levée, l’étal de Martha. Depuis son départ pour la plantation Roussin, La Nouvelle-Orléans avait beaucoup grandi, elle devait compter plus de mille âmes, avec les soldats. Les choses avaient bien changé dans la ville, on ne voyait plus guère de malheureux colons vêtus de hardes, désormais, les dames se promenaient dans les rues en grandes toilettes à paniers, coiffées et fardées comme à Versailles. Certaines se faisaient même précéder d’un négrillon portant très sérieusement un flambeau, même en plein jour, ce qui avait fait sourire la jeune fille devant le ridicule de la situation. Les gentilshommes, possesseurs de grandes plantations, avançaient dans leur justaucorps de brocart, des rubans de satin sur l’épaule et des bas blancs dans leurs escarpins aux talons rouges croisant de rudes coureurs des bois et des jésuites en robes noires. Sur le marché se trouvaient essentiellement des paysans en cottes pour les hommes et coiffes pour les filles, des soldats aux tuniques élimées, des esclaves noirs en cotonnade et des Esclaves libres, reconnaissables à leur peau souvent plus claire et à leur mise plus soignée. Blanche-Marie laissa échapper un soupir d’aise, elle aimait cette ville avec tous ses gens aux origines et aux statuts si divers, qui se côtoyaient, se saluaient. Les hommes bien nés baisaient les mains des dames de qualité, d’autres s’injuriaient devant des maisons à colombages, avec pour certaines des rideaux de mousseline aux fenêtres sans vitres. Elle y était heureuse, même si chaque année, le Mississippi sortait de son lit amenant les esclaves à porter les belles dames de la rue de Chartres, Royale ou de Bienville. La ville prospérait malgré les drames, les boutiques s’étaient multipliées dans la rue d’Orléans, si l’on avait de l’argent, on pouvait tout y acheter : riz, sucre, perroquets, vins et liqueurs, fromages de France, sabots, coiffes de dentelles, colliers, chapeaux, fleurs, colifichets, bijoux en tous genres, vrais ou faux. Finalement, malgré le départ de monsieur de Bienville, tout allait assez bien en Louisiane. Cela aurait même pu continuer, car monsieur de Périer n’était pas si mauvais. On s’était habitué à lui et à son épouse, qui était si charmante, mais il y avait eu le drame des Natchez et cela rien ne pourrait l’effacer. 

Blanche-Marie remarqua la présence de Boubou sur le marché. Elle remplaçait, son époux, Hermann, qui lui était parti pourchasser les Amérindiens dans les rangs du régiment du capitaine d’Arensbourg. Son étal était en bordure. Il était richement achalandé des produits de sa ferme, blés d’Inde, riz, œufs, lards, fruits en tous genres et attirait les clientes. À l’encontre de son avis, la jeune femme s’approcha de la marchande pour prendre de ses nouvelles et lui donner celles qu’elle détenait sur son époux. Boubou, devenu Élizabeth Kuttberg depuis son mariage, avait conseillé à Blanche-Marie de ne pas se compromettre avec elle, car rien ne s’oubliait et cela pouvait entacher sa réputation. La jeune fille faisait fi de tout cela, car tout d’abord de la même façon beaucoup pouvaient se souvenir avec qui elle était arrivée dans la colonie et puis elle ne pouvait se résoudre à tourner le dos à ceux qui l’avaient soutenue dans des moments si difficiles. Elle avait été fort bien accueillie par sa nouvelle protectrice, madame Payen de Noyan, celle-ci la faisait suivre lors de toutes ses visites, même chez la femme du gouverneur alors que tous connaissaient, et cela faisait sa notoriété, la fameuse réplique. Elle la considérait comme une égale et non comme une subalterne, bien que Blanche-Marie, elle, n’oubliât jamais la délicatesse de son statut. Les autres membres de la famille que ce soit son époux monsieur Villars du Breuil ou ses deux fils se comportaient comme elle. Bien accueillie, Blanche-Marie était fort aise de sa nouvelle vie. Sa protectrice avait mis à sa disposition une jolie chambre et une petite esclave nommée Aglaé  qui la suivait partout et précédait ses besoins les plus divers. Elle mangeait à la table familiale, et c’était notamment par ce biais qu’elle avait connaissance des nouvelles dont elle pouvait rendre compte à Boubou. Elle ne pouvait savoir précisément ce qu’il advenait de son époux, mais elle était renseignée des déplacements de son régiment. Après une embrassade, elles échangèrent donc les nouvelles que chacune détenait. Boubou cala sur sa hanche sa fille aînée qui l’accompagnait, tout en écoutant avec attention son amie, elle la berçait. Elle fut tout à coup intriguée par les mouvements désordonnés d’un homme sur la levée à l’opposé du marché. 

— Excuse-moi Blanche-Marie, il y a là-bas un grand escogriffe qui fait de grands gestes, et je crois que c’est à nous qu’il les adresse.  


Timothée Monrauzeau

La jeune fille se retourna dans la direction indiquée, au loin elle distingua un homme, un militaire, lui sembla-t-il, un grand blond qui agitait son tricorne haut au-dessus de sa tête. Effectivement, cela paraissait leur être adressé, les chalands autour d’elles commençaient à se tourner vers elles avec curiosité. Blanche-Marie posa sa main sur l’épaule du petit Paul, que la conversation n’intéressant pas s’était plongé dans son livre. À la pesanteur de son geste, il comprit l’émoi de la jeune femme. Surpris, il leva les yeux vers elle, il ne comprenait pas. Qui était cet homme qui affolait sa compagne et qui avançait droit vers eux fendant la foule sur son passage ? Il s’adressait à eux, mais il ne l’entendait pas encore distinctement. 

— Blanche-Marie ? Mademoiselle Peydédaut ? Blanche-Marie ! 

La jeune fille blêmit et dans un souffle, que seul l’enfant, sur qui elle s’appuyait, entendit, elle laissa échapper : 

— Timothée ! 

Ce grand jeune homme, aux cheveux blonds et aux yeux rieurs, ne pouvait être le petit mousse. Quel tour lui jouait donc encore le destin ? Elle sentait ses jambes fléchir, elle mit instinctivement la main sur son ventre sentant son estomac se crisper. Pourtant sous les traits du jeune homme essoufflé qui s’arrêtait face à elle, elle retrouvait de toute évidence ceux du petit mousse. Avec lui le passé revenait plus vivant que jamais, mais plus que les heures noires, l’espoir revenait faisant battre son cœur à la chamade. 

— Mademoiselle Peydédaut, vous vous souvenez de moi ? 

Lui n’avait aucun doute quant à l’identité de la jeune fille, outre sa chevelure mal cachée sous son chapeau penché, ses traits mainte fois ramenés à sa mémoire étaient ceux de la fillette qui l’avait vu pour la dernière fois lors de son débarquement du  Vénus. Il la trouvait plus captivante que ce que son imagination avait construit au fil de ses rêves. 

— Bien sûr que l’on se souvient de toi ! t’es le petit mousse ! 

La remarque venait de Boubou tout aussi effarée de le revoir. Blanche-Marie d’une voix qui n’était plus qu’un filet intervint à son tour. 

— Comment ne pas vous reconnaître Timothée. 

***

Timothée et Blanche-Marie raccompagnèrent le petit Paul à Martha à la grande surprise de cette dernière. Après un échange courtois, le couple, continua son chemin vers la maison de madame Payen de Noyan par la levée. Suivis par Aglaé chantonnant sur les pas de sa maîtresse, ils avançaient sans mot dire, aucun des deux n’osait rompre le silence qui s’était aussitôt insinué entre eux dès qu’ils avaient été seuls, une timidité soudaine les ayant prit devant cette intimité inattendue et inconnue d’eux. Ce fut le jeune homme gêné qui engagea la conversation. 

— Je vous ai écrit plusieurs lettres, les avez-vous reçues ? 

Blanche-Marie tourna la tête vers lui, attristée par cette nouvelle, ainsi donc il lui avait écrit, elle avait tellement attendu de ses nouvelles.Qu’elle les eut entre les mains n’aurait sûrement pas changé le cours des choses, mais plus d’une fois elle se serait sentie moins seule. 

— Je n’en ai reçu qu’une, celle où vous me rapportiez votre entrée à l’École militaire et bien sûr le jugement des marins du Vénus qui rendit justice à ma mère… Je vous ai par ailleurs répondu.

— Je n’ai reçu que cette lettre, j’en ai été fort heureux, ce fut un rayon de soleil dans le gris du collège.

il ne lui dit pas qu’il avait fanfaronné auprès de ses congénères tout à la joie d’avoir de ses nouvelles

— Je vous ai répondu, bien sûr, puis je vous ai écrit régulièrement pendant les années qui ont suivi… j’ai supposé que pour une raison ou pour une autre vous ne les receviez pas… j’avoue avoir même envisagé que vous ne soyez plus de ce monde.

Son frère aîné qui était dans ses confidences avait été étonné de cet acharnement épistolaire devenu obsessionnel.Pourquoi ? Timothée lui-même n’aurait su l’expliquer, dès qu’il avait vu Blanche-Marie sur le tillac du navire, il avait senti qu’elle était liée à lui et il avait refusé de penser, d’envisager que le fil fut rompu. Il avait donc persisté espérant que l‘une d’elles atteindrait sa destinataire, il lui avait écrit la plupart de ses pensées, de ses espoirs, de ses déceptions, partageant dans ses écrits toute sa vie. Il avait imaginé la jeune fille lisant ses lettres, il l’avait fantasmée, il avait été désappointé chaque fois que le courrier était distribué, mais il avait persisté, il la faisait vivre dans son imaginaire. Quelle n’avait donc pas été sa surprise de la voir au milieu de ce marché, alors qu’elle ne faisait plus que partie de son imaginaire ! Et l’émoi qu’il avait ressenti l‘avait conforté dans ses espoirs. Son cœur avait failli exploser. S’il avait pu, il l’aurait pris dans ses bras, mais, elle, que ressentait-elle ? 

— Il y a de cela un peu plus de deux ans, je suis même venu jusqu’ici sur un navire que mon frère commandait. Il est capitaine désormais, vous savez… enfin bref quand je suis venu, je n’ai trouvé personne qui puisse me renseigner. 

Blanche-Marie écoutait sa tirade qui ne lui laissait pas la place de dire quoi que ce soit. Elle lui souriait. Arrivée devant la maison, elle la dépassa entraînant son compagnon à s’asseoir au bord du fleuve. 

— Je n’ai pas reçu vos lettres, je ne sais où elles sont ? Je n’étais plus à La Nouvelle-Orléans depuis plusieurs années, lorsque monsieur de Bienville est parti, je suis allée vivre à Fort-Rosalie où une place m’attendait. 

— Mais c’est le lieu du massacre !

— Oui. Mais comme vous pouvez voir, je suis là, elle ne tenait pas à épiloguer sur son calvaire, enfin toujours est-il que j’ai cru que vous m’aviez oublié, nous étions des enfants ou peu s’en fallait et nous avions si peu échangé.

— C’est vrai, mais ça ne change rien.

— Si vous le dites… et vous, vous êtes devenu géomètre ?

— Hydrographe. Oui, j’ai fini mes études et suis maintenant au service du roi.

il tâta l’étoffe de la manche de son uniforme comme pour prouver ses dires. 

— Cela m’a permis d’aller à Saint-Domingue puis de venir jusqu’ici. Aujourd’hui, c’est la compagnie qui m’a diligenté pour faire une étude de la région, mais les événements Natchez me rendent oisif. Le gouverneur et monsieur de la Chaise ne veulent pas risquer ma vie et celle de mon équipe pour quelques mesures, alors nous sommes assignés en quelque sorte à résidence.

L’angélus du milieu de la journée sonna ramenant Blanche-Marie à ses obligations. Elle prit congé de Timothée, il la retint et lui demanda à la revoir. Elle accepta et lui donna rendez-vous sur le marché le lendemain à la même heure.    

***

Les jours qui suivirent multiplièrent les rencontres entre la suivante et l’hydrographe. Chaque jour, l’un retrouvait l’autre à l’angle de la demeure du gouverneur et de la place d’armes, une heure avant l’angélus de midi. Ils marchaient alors l’un à côté de l’autre, suivi de la petite Aglaé servant de chaperon, conversant à bâtons rompus, ils avaient fait tomber les barrières de la timidité et de la réserve et semblaient rattraper le temps perdu. Personne n’y trouvait à redire, et tous y voyaient l’augure de bons événements. Martha fut la première à questionner son amie sur ces entrevues. Elle obtint pour tout réponse et explications : 

— nous ne faisons que parler, c’est tout. 

Mais le rougissement des pommettes qui accompagnait la réponse trop prompte disait autre chose, mais Martha respecta la discrétion de Blanche-Marie. La jeune fille ne mentait pas. Elle attendait, chaque jour, le jeune homme. Elle n’avait jamais fait autant attention à sa mise, ne s’épargnant aucun reproche et se trouvant des défauts où elle n’en avait pas, s’estimant trop maigre, les cheveux trop rouges et ses yeux pas assez verts. Sa garde-robe avait soudainement pris de l’importance et n’avait aucune des qualités requises pour la mettre en valeur, soudainement aucune robe ne lui seyait. Timothée de son côté n’en revenait pas, il l’avait retrouvée, le rêve tant de fois ressassé était à sa portée. Il était là bien avant l’heure de son rendez-vous, craignant chaque fois que la jeune fille ne vienne pas pour une quelconque raison, et à chaque fois émerveillée de la voir là, son cœur s’emballant à la vue de son éclatante chevelure. Parfois, il la faisait attendre, la regardant au loin, jubilant de plaisir à son impatience, puis il s’élançait à sa rencontre traversant le marché à grande enjambée. Une fois rejoint, le couple se promenait sur la rive du fleuve reprenant leur conciliabule. Ils se racontaient leurs vies respectives, devenant, chaque jour, plus intimes. Ils jouissaient de leur présence sans pour autant dévoiler leur sentiment de peur d’en casser le lien qui à tous se révélait. Ce fut madame Payen de Noyan, qui ayant remarqué les rêveries dans lesquelles se perdait Blanche-Marie alors même que l’on s’adressait à elle, qui intervint. 

— Blanche-Marie y aurait-il quelque chose qui vous soucie ces derniers temps ?

— Non, non, madame, tout va bien.

— Alors ne serait pas ce jeune militaire, hydrographe, je crois, et avec lequel vous vous affichez, qui vous fait rêver ?

Blanche-Marie se sentit rougir d’être ainsi dévoilée, il ne lui était pas venu à l’idée que l’on puisse se rendre compte de son émoi, mais elle ne songea pas à mentir. De toute façon à quoi bon ?

— Et comment l’avez-vous rencontré ? Il vous a été présenté ?

— J’ai fait sa connaissance sur le Vénus sur lequel il était mousse.

elle lui raconta alors l’histoire des citrons qui lui avait sauvé la vie. 

— Je suppose qu’il est d’une bonne famille pour être hydrographe du roi ?

— Il est le fils d’un négociant de La Rochelle.

— Ah ! c’est bien. Et vous pensez qu’il songe à demander votre main ?

— Ma main ! Non, je ne crois pas. Je ne sais pas. Et… je ne suis pas sûr de le vouloir.

— Il ne vous séduit pas ? Vous ne me le laisserez pas croire. Blanche-Marie, il serait peut-être bon que vous songiez au mariage, non pas que je pense me défaire de vous. Cette pensée est loin de moi, mais vous n’êtes pas faite pour devenir vieille fille, sous cet air sage, il y a un tempérament plein d’ardeur. Alors si ce n’est pas lui, il va falloir ouvrir l’œil, vous êtes dans une contrée où il y a cent hommes pour une femme. Au Canada, les femmes sont obligées de passer par des épousailles sous peine de passer pour des femmes de mauvaises vies et d’être enfermées, ici nos gouverneurs ont été peu regardant à ce sujet. Vous êtes une jeune femme de qualité, avec de l’instruction et fort bien tournée, il n’y a donc aucune raison que vous ne trouviez pas un mari convenable. Alors si c’est celui qui vous convient il serait bon de bousculer le destin avec circonspection toutefois, votre vertu ne doit pas être mise en doute. 

Blanche-Marie était sidérée par le conseil, mais elle en avait de la gratitude pour sa protectrice dont la bienfaisance lui donnait du courage. Elle avait réfléchi au mariage sans vraiment se l’avouer. Elle avait espéré sans trop y croire un encouragement du jeune homme, mais il n’avait que réserve respectueuse à son encontre. Elle resta rêveuse suite à la conversation, pesant le pour et le contre, se demandant ce qui valait le mieux pour elle, imaginant comment amener le jeune homme à se déclarer, d’autant qu’elle ne doutait pas de l’attirance qu’il éprouvait pour elle. 

***

Il fallait qu’il la trouve, il fallait que cette fois-ci il passe le pas, il se devait de se déclarer, il ne pouvait prendre le risque de la perdre une fois encore. Il était parti en courant, avait culbuté une sentinelle de la caserne, s’excusant au passage sans pour autant interrompre sa course. Il courait au-devant de Blanche-Marie. Cette fois-ci, c’était la bonne occasion, il n’y aurait pas d’autres occasions. Il traversa le marché, évitant étals, clients et marchands, sans trop bousculer quoi que ce soit autour de lui. À grandes enjambées, il passa devant la maison du gouverneur, sur la banquette de la rue de Chartres, esquivant une dame suivie de sa servante, traversa la rue du Maine, puis la rue Saint-Philippe, tourna dans la rue de l’arsenal, entra dans l’enclos du couvent et frappa à la porte du bâtiment principal. Il ne tenait pas en place. Lorsque la sœur tourière ouvrit la porte intriguée par la virulence des coups, il était visiblement agité. Il la salua et demanda à voir d’urgence mademoiselle Peydédaut. Devant le ton du jeune homme, sans même lui en demander la raison, elle repartit la chercher. 

Quelques instants plus tard tout en replaçant son chapeau, Blanche-Marie arriva essoufflée, ayant compris qui l’attendait, elle venait d’un autre bâtiment à l’autre bout de celui-ci. Elle le trouva agité sur le perron. 

— Ah ! Blanche-Marie ! Il faut que je vous parle. 

La jeune fille regarda autour d’elle qui pouvait les entendre hormis Aglaé qui la suivait comme il se devait comme son ombre. La sœur tourière était toujours là, elle lui sourit et s’adressa à Timothée. 

— Vous pourriez me raccompagner tout en m’expliquant ce qu’il y a de si urgent ? 

Il hocha la tête en signe d’acquiescement. Elle salua la sœur un tantinet troublée par la situation. Blanche-Marie tout aussi curieuse, trouvant étrange le comportement du jeune homme, descendit les marches et se dirigea vers la rue avec ce dernier à ses côtés. 

— Alors, monsieur Monrauzeau, que se passe-t-il donc pour que vous veniez séance tenante m’enlever du couvent ? 

Chaque fois qu’elle se moquait de lui elle le nommait par son patronyme, elle utilisait ce stratagème le plus souvent pour cacher son émoi. Elle affichait un sourire malicieux après avoir mimé une fausse colère. Le jeune homme la prit par le bras et l’arrêta brusquement au coin de la rue sous un magnolia face au fleuve. Surprise par le geste, elle perdit quelque peu l’équilibre, d’autant qu’Aglaé tout aussi déconcertée la culbuta. 

— Blanche-Marie, monsieur de la Chaise nous renvoie à La Rochelle sous prétexte que la guerre avec les Natchez nous empêche de mener à bien notre mission ! 

Elle le regardait sans ciller. Elle semblait ne pas comprendre, du moins crut-il qu’elle n’en saisissait pas les conséquences. Il allait partir une fois de plus, ses jambes chancelaient, elle ressentit un grand vide en elle. Le jeune homme, qui ne la quittait pas des yeux, ne savait que penser de ce mutisme apparent. Il ne se donna pas le choix ni le temps de la réflexion, il n’avait plus rien à perdre. 

— Blanche-Marie vous n’êtes pas sans savoir ce que je peux ressentir pour vous ? Je ne suis guère expansif et je l’ai peut-être peu montré ? Mais je ne peux vivre sans vous à mes côtés. Alors voulez-vous devenir ma femme ? 

Il avait d’une traite fait sa demande, laissant la jeune femme passer du désespoir à la plus grande joie. Elle avait déjà réfléchi à cette demande, dont elle avait pris le temps de rêver tout à loisir et elle y avait trouvé plus d’un empêchement qu’elle avait confié à Martha qui les avait balayés sous le sceau des sentiments. Quand elle les avait expliqués à madame Payen de Noyan, celle-ci plus pragmatique les avait trouvés d’importance, mais point impossible à résoudre. Elle lui répondit forte de ces réflexions : 

— Timothée, je ne demande pas mieux que d’être votre épouse, mais je n’ai pas de dot et ne saurai vivre aux crochets de votre famille, aussi si vous voulez toujours m’épouser, il serait bon de rester vivre dans cette colonie où nous pourrions bâtir une nouvelle vie. 

— Mais Blanche-Marie, pendant mes missions, vous pourriez vivre chez mes parents dans un confort certain.

— Timothée, ce serait trop me demander, je n’ai rien contre vos parents bien sûr, mais ici je me suis fait une nouvelle vie où l’on ne me rappelle pas ma condition incertaine. Vous, ne vous serait-il pas possible d’y obtenir un emploi ? 

Timothée ne répondit pas tout de suite, il réfléchissait laissant la jeune fille désemparée. Ce qu’elle venait de lui expliquer ne le contrariait en rien et il comprenait fort bien sa demande connaissant tout ou presque de sa vie. Il avait retenu l’élément le plus important, elle n’avait pas rejeté sa demande. 

— Blanche-Marie, quoique nous décidions, il me faudra tout d’abord retourner en France. Je pense, je suis même certain que mon père ne verra aucun inconvénient à mon installation dans la colonie. Sous quelle forme je ne sais pas encore, mais de cela, je ne m’inquiète pas. Mais pourrez-vous m’attendre ou alors m’accompagner avant que de revenir nous installer ? Accepterez-vous de m’épouser avant tout cela ? 

— Cela fait beaucoup de questions. Ai-je le temps d’y réfléchir ? 

— Je ne pars que dans trois semaines.

— Alors cela peut attendre demain. Mais sachez, Timothée, que je tiens à être votre femme.

Chapitre 024


Blanche-Marie Peydédaut

la révélation

Les rires fusaient et emplissaient le jardin de madame Payen de Noyan, cela faisait bien longtemps que les Orléanais ne s’étaient pas octroyé la liberté de s’amuser sans arrière-pensées terrifiantes. La maîtresse des lieux avait tenu à organiser et accueillir les fiançailles des rescapées de Fort-Rosalie. Elle mettait un point d’honneur à prendre le pas sur la femme du gouverneur et cette occasion était idéale, elle pouvait avec diplomatie lui faire de l’ombre puisque Blanche-Marie était sa protégée. 

Madame Payen de Noyan avait bien fait les choses, sur des tréteaux à l’aide de planches de grandes tables avaient été dressées dans le jardin à l’ombre des magnolias. Et si la colonie avait connu des disettes, ces temps semblaient révolus au vu des denrées qui étaient servies à profusion par une dizaine d’esclaves. Les convives se pressaient déjà à leur place se régalant des odeurs de viande qui tournaient sur des broches, bœuf à bosse, venaison de cervidé, dinde sauvage, oie étaient au menu, rien n’avait été omis pour faire de ces festivités une réussite. Faisans, perdrix, cailles trônaient déjà sur les tables, tous se demandaient comment la maîtresse de maison avait pu rassembler autant de mets. 

Les deux fiancées étaient à l’étage finissant de s’apprêter. La décision de Blanche-Marie, bien que soudaine, n’avait pas empêché sa protectrice d’en instruire aussitôt monsieur de Bienville pour lui faire part de l‘heureuse nouvelle. Madame de Payen de Noyan ne doutait pas qu’il aille en être satisfait, il l’avait déjà remercié de tout ce qu’elle faisait pour la jeune fille et avait même envoyé de l’argent pour la pourvoir. Il avait en cela été influencé par Graciane, soulagée de savoir Blanche-Marie  en vie et en santé. Quant à Marie Roussin, elle avait cédé à la demande de François de Montigny malgré le peu de temps écoulé depuis le drame. Les deux jeunes femmes s’habillaient avec soin, si Marie irradiait de bonheur, Blanche-Marie, bien que sûre de son choix, était quelque peu inquiète. Se marier ? Elle ne doutait pas de Timothée, mais quel allait être son avenir ? Elle était à nouveau à l’aube de tout recommencer, son parcours de vie n’était que revirement, elle se sentait ballottée par le destin sans pouvoir en prendre réellement les rênes. Un flot de questions se bousculait dans ses pensées. Appuyée par sa protectrice et son époux, elle avait obtenu sans trop de difficulté la garantie de s’installer dans la colonie où désormais elle avait des amis et où elle se sentait chez elle malgré les drames survenus. Ce qui l’inquiétait le plus c’était la famille de son fiancé, l’accepterait-elle ? Une fille sans dot et au passé si trouble, si incertain. Les laisserait-il faire selon leur choix ? 

 Tout en laissant ses préoccupations occuper son esprit, elle se vêtait d’une robe de contrebande que sa protectrice lui avait offerte pour l’occasion. Elle était à nouveau sanglée dans un corset de toile, mais se sentir maintenue, cette fois-ci, la rassurait. Sa criarde nouée à la taille attendait de recevoir la robe qui encombrait les bras de la petite Aglaé. Elle était simple de belle facture, de couleur crème avec pour seule fioriture une garniture de volant de mousseline au décolleté et aux bas de manches. Elle flattait sa carnation et mettait en valeur sa chevelure flamboyante. Marie de son côté pavoisait dans une robe couleur bleu roi, don de la femme du gouverneur afin de marquer l’intérêt de son époux pour la jeune femme avec ce que cela sous-entendait pour Blanche-Marie. Les deux jeunes femmes n’étaient pas dupes, mais elles en avaient cure et se complimentaient du résultat. Elles étaient, l’une et l’autre, très en beauté. Coiffées et fin prêtes, elles rejoignirent les invités qui les attendaient. Héroïnes du jour, elles étaient le symbole de l’espoir du renouveau après les heures noires. 

***

À leur arrivée, chacun se précipita pour féliciter les couples. Marie était ravie, prête à oublier, Blanche-Marie était moins à l’aise, elle n’appréciait guère d’être le centre d’intérêt de tous. 

Passé les effusions, elle s’était assise entre Timothée et Martha. Celle-ci en profita pour lui annoncer qu’elle quittait La Nouvelle-Orléans pour une plantation dans les Atchafalaya acquise à son nom par Alboury, lui-même ne pouvant en posséder une. D’après ce dernier, une maison, plutôt une cabane pensait-elle, les attendait sur une grande boucle longeant le bayou au milieu d’immenses cyprès et chênes recouverts de mousse espagnole, un jardin de camélias et d’azalées, des bambous, une palmeraie, elle était fébrile à l’idée de se perdre au milieu de cette étendue déserte. Blanche-Marie l’écoutait, la rassurait, elle était détournée dans le même temps par de multiples attentions auxquelles elle répondait avec sourire un tant soit peu figé. 

De son côté, Madame  Payen de Noyan était tout à sa réception, son banquet avait rassemblé tout ce qui comptait dans la ville et ses alentours, de civiles comme de militaires. L’arrivée de Madame de Launay, la femme du gouverneur, attira tous les regards. Elle alla à ses devants, la nouvelle venue venait d’arriver seule excusant son époux retardé par une affaire de dernières minutes. Un représentant de France qui venait de débarquer. 

***

Les esclaves servaient du gombo, d’autres des vins, les rires fusaient au milieu des échanges, on conversait à bâton rompu comme si l’on ne s’était pas vu depuis des lustres. Blanche-Marie, le vin devait y être pour quelque chose, s’était détendue, c’est alors que le gouverneur Périer se présenta, accompagné d’un homme brun à l’allure bien tournée, mais visiblement fort fatigué. Il était connu de personne, et pour cause, il avait débarqué deux jours avant à l’île Dauphine. Après avoir salué les maîtres des lieux et l’assemblée, le gouverneur demanda à son hôtesse s’il pouvait s’isoler afin de s’entretenir confidentiellement avec mademoiselle Peydédaut. Surprise, Madame Payen de Noyan acquiesça et avec son époux, monsieur de Villars du Breuil, accompagna le gouverneur et son compagnon dans une pièce de la maison qui servait de salon. Ils furent rejoints par Blanche-Marie et Timothée, ce dernier n’ayant pas voulu la laisser seule devant l’invitation inopinée. La jeune fille s’assit au côté de sa protectrice à qui elle jeta un regard inquiet, Timothée resta debout derrière son fauteuil, une main sur le dossier de la jeune fille en signe de protection. Elle était fort inquiète se demandant ce que pouvait être encore ce coup du destin. Madame Payen de Noyan, présentant dans sa posture toute son autorité, était prête à en découdre. Son époux, assis à ses côtés, le devinant posa sa main sur son bras afin de la contenir. Elle lui tapota la main lui faisant par ce geste familier comprendre qu’elle avait compris. Le gouverneur, debout face à eux, était impassible et paraissait indifférent à tous, bien que ce fût lui l’initiateur de cette entrevue. 

— Mesdames et messieurs, je vous présente monsieur Parent, secrétaire de monsieur le marquis de Landiras de Montferrand, Grand Sénéchal de Guyenne. 

À cette présentation, tous les regards se retournèrent vers Blanche-Marie, tous se tendirent. La jeune fille essayait en vain de ramener à son souvenir l’image de cet homme qu’elle avait sûrement déjà vu. L’homme lui semblait familier. Et ce Sénéchal, était-il celui qui avait mis en prison, elle et sa mère ? Et qui lors de ses visites en semblait désolé, ce qui, pour l’enfant qu’elle était, était incompréhensible. L’homme se racla la gorge. 

— Mesdames et messieurs, je suis là pour faire appliquer le document officiel que j’ai en ma possession. 

La peur saisit Blanche-Marie. Le gouverneur, lui, pensait, que justice allait être rendue, persuadé qu’il était d’être devant une fille de rien. Le reste de l’assemblée se posait mille questions, inquiet de la suite. 

— Tout d’abord suis-je bien en présence de mademoiselle Blanche-Marie Peydédaut, née au château de Saint-Mambert en Guyenne ? Les personnes qui vont l’attester devront signer au bas de ce document. 

Blanche-Marie sentit ses jambes tremblées de façons incoercibles. Que lui voulait-on encore ? Un sentiment de révolte jaillissait des tréfonds de son âme, elle était prête à se battre. 

— Je suis Blanche-Marie Peydédaut, fille de Jeanne Peydédaut, je pense que madame Payen de Noyan peut en attester. S’il le faut à l’extérieur, Martha qui a fait le voyage avec moi peut aussi en témoigner. 

— Cela ne sera pas utile, il faut deux témoins et je puis être l’un d’eux. Je me souviens très bien de vous, si madame Payen de Noyan veut bien faire office de deuxième témoin, cela sera parfait. 

Comme monsieur Parent accompagnait sa demande d’un sourire plein d’amabilité, tout le monde se détendit. Se tournant vers Blanche-Marie, il reprit : 

— Je suis venu jusqu’ici afin de vous retrouver, et cela afin de faire appliquer le testament de feu monsieur de Saint-Aubin, dernier vicomte de Castelnau de Saint-Mambert

Le gouverneur tiqua, cela n’allait pas selon ses convictions. Monsieur Parent, faisant office de notaire, décacheta une première lettre. Il leva les yeux vers ses interlocuteurs pour s’assurer de leur attention. S’éclaircit la voix :

— Monsieur le Marquis de Landiras de Montferrand, en ma qualité de Grand Sénéchal de Guyenne, j’exige que le testament ci-joint et dont je suis témoin et garant soit appliqué à la lettre…

Madame Payen de Noyan

Le ton autoritaire de la lettre surprit tout le monde même le gouverneur. Dans quel imbroglio avait bien pu se trouver cette fille pour qu’un grand Sénéchal en arrive à ce genre d’extrémité ? Monsieur Parent avala le verre d’eau qu’un esclave avait posé à sa portée, ce qui d’ailleurs l’avait mis mal à l’aise peu habitué que ses besoins soient pourvus avant que d’être. Il décacheta enfin le testament, tous étaient suspendus à ses lèvres.

« … moi, chevalier de Saint-Aubin, et, à cette heure vicomte de Castelnau de Saint-Mambert, atteste, avec preuves ci-jointes et copies dûment conformes remises entre les mains du Grand Sénéchal de Guyenne, que Blanche-Marie Peydédaut est la fille reconnue de mon frère Philippe-Amédée Vicomte de Castelnau de Saint-Mambert, précédent tenant du titre. Elle est à ce titre la dernière représentante de notre famille. Je lui laisse à son entière et exclusive disposition les biens de notre famille, terres, château, meubles et titres dont la liste est ci-jointe et dont la copie est chez maître Barberet… »

 Tous les regards se tournèrent vers la nouvelle héritière. Blanche-Marie instinctivement prit la main de Timothée et la serra. Des larmes coulaient sur son visage, elle retrouvait enfin son identité, sa vie, sa famille, et même si elle était seule au monde, on lui reconnaissait enfin le droit d’avoir une famille, une filiation. 

***

Le navire remontait l’estuaire de la Gironde après une traversée de deux mois et demi. Le capitaine de la Normande avait accepté la demande exceptionnelle. Les deux passagers descendirent dans la chaloupe où étaient déjà leurs malles, les marins souquèrent jusqu’à la rive du fleuve. Ils s’amarrèrent au ponton.

Devant elle, Blanche-Marie voyait au travers de ses larmes les rangs de vignes que l’automne avait roussi et qui supportaient de lourdes grappes prometteuses, derrière le château de Saint-Mambert aux pierres blanches illuminées par le soleil du matin et plus loin les toits du village.  

Elle était rentrée chez elle et tenait la main de Timothée.  


Blanche-Marie Peydédaut

Cette histoire met en scène des personnages réels et des personnages fictifs ainsi que des événements et des dialogues inventés à des fins dramatiques et afin de compléter les vides des biographies. Les illustrations des personnages ne sauraient être confondues avec les personnes réelles.

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