1812 à 1816 la Louisiane libre et victorieuse

louisiane 1812

1812. En sanctionnant les actes de la convention, le Congrès annexa à l’état de la Louisiane le territoire au nord d’Iberville, jusqu’à la rivière aux Perles et au trente-et-unième degré de latitude, lequel n’avait pas été compris dans les limites décrites par la convention où il n’avait envoyé aucun mandataire. La convention décréta que quatorze sénateurs, égaux en nombre aux districts sénatoriaux, formeraient seuls la chambre haute. L’annexion de ce territoire donna trois nouveaux membres, qui, nonobstant ce décret, siégèrent au sénat de la Louisiane.

Joseph Rusling Meeker

Joseph Rusling Meeker

Elle était à peine constituée, qu’un bateau à vapeur, le premier que l’on eût vu sur le Mississippi, vint en moins de onze jours de Pittsburgh à la Nouvelle-Orléans, comme, pour rendre hommage au nouvel Etat. Ce spectacle, nouveau alors, est bien commun aujourd’hui en 1840, où plus de seize cents bateaux à vapeur parcourent les eaux de la Louisiane!

La première assemblée législative se réunit en juin, neuf jours après la déclaration de guerre des États-Unis à l’Angleterre. Des actes de piraterie sans nombre, le pavillon étoilé insulté, l’affreux système de la presse, les vaisseaux anglais qui retenait plus de huit mille matelots américains, telles furent les causes qui portèrent la jeune Amérique à jeter le gant à son ancienne métropole, aux cris de : « Liberté des mers! »

William Charles Cole Claiborne et le général Villeré, fils de la victime d’O’Reilly, étaient les candidats du peuple au gouvernement, la législature nomma Claiborne qui avait réuni le plus de suffrages, Claiborne, dont l’administration impartiale et paternelle avait concilié tous les partis.

La législature composa la cour suprême de trois juges, autorisa le gouverneur à faire marcher la milice dans les limites de l’Etat  en cas d’invasion, insurrection, ou danger imminent, mais elle ne lui permit pas de la retenir plus de trois mois sous les drapeaux, excepté en temps de guerre, où son service pouvait être prolongé de soixante jours. La milice en activité de service devait recevoir la paie du soldat et s’assujettir à la discipline militaire,

Déjà William Henry Harrison, en 1811, avait battu, à Tippecanoe, les Indiens, avant-garde britannique. Le Canada avait été envahi, puis évacué par William Hull, gouverneur de l’Ohio, qui s’était vu forcer à capituler à Détroit, en Michigan. La Louisiane encore tranquille, ne fut troublée que par un affreux ouragan, le plus fort qui ait ravagé le pays. Il renversa dans la Nouvelle-Orléans un grand nombre de maisons et une halle entière.

Winslow Homer: tornade à l'approche

Winslow Homer: tornade à l’approche

La marine des États-Unis, que les Anglais s’étaient flattés de pouvoir chasser de toutes les mers, se mit alors en évidence. Si un Hull essuya un premier échec sur terre, ce fut un Hull qui sur mer gagna la première victoire. Le frère du gouverneur de l’Ohio, Isaac Hull, capitaine de la frégate la Constitution, s’empara en vingt minutes de la frégate anglaise la Guerrière. Les capitaines Bainbridge, Decatur, Porter et Jones, se couvrirent de gloire en enlevant des vaisseaux aux Anglais.

Anton Otto Fischer (1882-1962) USS Constitution contre HMS Guerrière

Anton Otto Fischer (1882-1962) USS Constitution contre HMS Guerrière

1813. Wilkinson, en Louisiane depuis l’année précédente, revêtu d’un commandement militaire, reçut l’ordre du président de s’emparer du fort de Chartres de Mobile, encore au pouvoir des Espagnols. De concert avec le commodore Shaw, il enleva en passant l’île Dauphine, et prit un bâtiment chargé de ravitailler le fort. Le commandant espagnol, sans provisions, fut obligé de se rendre. Une partie de l’artillerie du fort Charlotte, qui était nombreuse, servit à l’armement du petit fort Boyer, que Wilkinson construisit à la pointe de la baie de la Mobile.

Après de nouveaux échecs dans le Canada, où le général Harrison reprit enfin l’offensive, la fortune des armes se déclara en faveur des républicains. Le jeune et héroïque Olivier Perry captura, sur le lac Erié, une flottille britannique, les Anglais et les Indiens furent écrasés par Harrison sur la Thames, au Canada, où le fameux chef indien Tecumseh trouva la mort. On parvint encore à se rendre maître de la navigation du lac Ontario.

Captain Oliver Hazard Perry, Portrait in oils by Edward L. Mooney

Captain Oliver Hazard Perry, Portrait in oils by Edward L. Mooney

D’un autre côté, les forces navales de l’Angleterre, sous les ordres d’Hardy, concentrées dans la Chesapeake, portèrent le fer et le feu sur les côtes atlantiques. Une autre flottille anglaise parut sur le lac Champlain, suivie bientôt d’une armée de quatorze mille combattants. Les Américains se fortifièrent face à ce danger. Les États de Nouvelle-Angleterre, dont le commerce souffrait, restés simples spectateurs de cette lutte, se mirent alors dans la balance avec leurs milices bien aguerries. L’incendie de la ville de Washington souleva avec tant de force l’indignation américaine contre les Vandales insulaires, qu’ils furent repoussés avec perte à Baltimore et à Plattsburgh.

1814. Alors les forces britanniques se dirigèrent vers le sud, où elles anticipaient les plus brillants succès. Le plan des envahisseurs fut bientôt éventé. Andrew Jackson, vainqueur des Creeks, ou Muskogee, à Tallushatché, Talladega et HorseShoe Bend, maître de Pensacola presque sans coup férir, où les Espagnols avaient admis les Anglais, reçut immédiatement l’ordre de se rendre à la Nouvelle-Orléans.

Andrew Jackson

Andrew Jackson

Tous les préparatifs d’une longue défense se firent dans cette capitale, dont les forces n’étaient encore que de sept cents hommes de troupe de ligne, mille miliciens mal armés, et cent cinquante matelots ou canonnière de marine, mais on attendait deux mille cinq cents riflemen du Tennessee, commandés par Coffee et Carroll. Thomas descendait également le fleuve à la tête de deux mille Kentuckiens.

Cependant, la flotte britannique, aux ordres de L’amiral Sir Alexander (Forrester Inglis) Cochrane, était sur les eaux de la Louisiane, cherchant un lieu de débarquement. Un forban audacieux, Jean Lafitte, occupait la baie de Barataria, les Anglais ne dédaignèrent pas son alliance et cherchèrent à se l’attacher par les promesses les plus séduisantes. Le gouvernement de la Louisiane avait mis sa tête à prix. Lafitte repoussa les offres de l’Angleterre, en donna connaissance à Claiborne, implorant son pardon, et briguant l’honneur de servir la cause de la liberté. Le gouverneur et le général Villeré voulaient accepter des offres si généreuses, la législature, qui siégeait, s’y opposa fortement, sans doute pour ne pas confier sa cause sacrée en des mains si viles, elle ordonna même au commodore Daniel Patterson de chasser le pirate, qui n’attendit pas son arrivée. On ne trouva à Barataria que des canons abandonnés et des cabanes désertes qui furent livrées aux flammes.

Jean Lafitte

Jean Lafitte

Ces choses se passèrent avant l’arrivée du général Jackson. Le premier soin de ce commandant en chef, après avoir visité tous les lieux attaquables, fut d’envoyer Jones, à la tête d’une flottille, d’une goélette de guerre et de cinq chaloupes canonnières, reconnaître l’ennemi, et surtout défendre les Rigolets, la principale passe entre le Pontchartrain et le lac Borgne. L’ennemi parut, attaqua le lieutenant Thomas ap Catesby Jones, qui fut blessé, ainsi que capitaine Nicholas Lockyer, qui lui avait succédé au commandement, et se rendit maître de la flottille, dont la perte laissa la Nouvelle-Orléans à découvert.

Thomas L. Hornbrook  (Vue d'artiste de la bataille du lac Borgne.

Thomas L. Hornbrook (Vue d’artiste de la bataille du lac Borgne.

Dans ces circonstances, Andrew Jackson demanda la suspension du writ de l’habeas corpus à la législature, qui le lui refusa. Il obtint du gouverneur Claiborne la convocation de la milice en masse. Tous les citoyens s’enrôlèrent avec joie pour repousser ces fourbes envahisseurs. La loi martiale fut proclamée, la législature autorisa le général en chef à appeler sous ses drapeaux la bande de Lafitte, à qui le pardon fut promis. Mais ce que le commandant désirait surtout, c’était l’ajournement de l’assemblée générale, qui, selon lui, paralysait tous ses plans, il ne put l’obtenir.

L’arrivée des troupes du Tennessee et du Kentucky vint augmenter la confiance. La Nouvelle-Orléans put alors compter plus de six mille défenseurs effectifs. Il faisait froid, ces milices étaient mal vêtues. L’assemblée mit à la disposition d’un comité 8 000 piastres pour les besoins pressants de l’armée, elle requit des habitants, toutes les étoffes et les couvertures en laine qui se trouvaient dans la ville. Les négociants et les marchands, se mettant à contribution eux-mêmes, livrèrent plusieurs caisses de souliers, de chapeaux, et un grand nombre de matelas, les habitants de quelques paroisses envoyèrent 4 000, piastres. Les dames se firent un devoir, un plaisir, de mettre la main aux vêtements de leurs défenseurs, elles préparèrent pour les blessés de la charpie, des médicaments, des chambres confortables. Les enfants eux-mêmes firent les cartouches et coulèrent les balles. Jamais l’enthousiasme n’avait été si unanime et si grand dans une cité composée de peuples hétérogènes, mais dont la plus forte partie était française d’origine ou de naissance.

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Le 23 décembre, à minuit, neuf soldats de milice, stationnés à un village de pêcheurs abandonné, sur le bayou Mazent, près du lac Borgne, aperçurent cinq berges pleines de soldats, avec du canon, qui venaient à eux. Ils se cachèrent en vain, ou les fit prisonniers, un seul parvint à s’échapper, et mit trois jours pour se rendre en ville à travers la ciprière. Des pêcheurs espagnols avaient indiqué ce chemin à l’ennemi. Trois mille Anglais, sous les ordres du général Kean, débouchant par le bayou Mazent, le bayou Bienvenu, qui s’y jette, et le canal Villeré, qui aboutit à ce dernier, cernèrent la maison de ce général, où était postée une compagnie de milice qu’ils firent prisonnière. Le fils du Général Villeré, le major Gabriel Villeré, qui la commandait, s’esquiva par une fenêtre, sous le feu de plusieurs coups de pistolet dont il ne fut pas atteint, et parvint à gagner la Nouvelle-Orléans.

Jackson n’eut connaissance de la descente des Anglais qu’à deux heures après-midi. À leur rencontre furent envoyés un détachement de marins et un corps d’artillerie armé de deux pièces de campagne. A quatre heures, les volontaires du Tennessee, les riflemen d’Orléans, les dragons du Mississippi, avaient pris position à deux milles au-dessous de la ville. Ils furent bientôt suivis du 44ème de ligne, d’un bataillon de la milice urbaine et de quelques compagnies d’hommes de couleur. Claiborne, à la tête de deux régiments de milice et d’une compagnie de cavalerie, couvrit la ville, posté sur le chemin de Gentilly.

Cependant, les Anglais, campés sur l’habitation Villeré, près du fleuve, voyant un bâtiment jeter l’ancre à une portée de fusil, s’approchèrent de la levée pour l’examiner plus à leur aise. Ils prenaient pour un bâtiment marchand la goélette la Caroline, de la marine des États-Unis, sous les ordres du commodore Patterson. Ils ne tardèrent pas à être persuadés du contraire, lorsqu’elle eut vomi un feu qui leur tua plus de cent hommes. En vain cherchèrent-ils à l’éloigner à coups de fusil et de fusées à la Congrève. Secondée du sloup la Louisiane, elle s’acquitta si bien de sa mission, qu’elle les délogea de leur camp.

plantation Villeré

plantation Villeré

Pendant que l’avant-garde américaine débusquait un avant-poste ennemi sur le chemin en face de la plantation Lacoste, le 7ème et le 44ème de ligne, les soldats de marine se rangèrent en  bataille avec deux pièces de canon. Le combat s’engagea. L’ennemi, cherchant à prendre en flanc notre aile gauche, faisait perdre du terrain au 44ème , lorsque arrivèrent deux bataillons de milice et quelques Indiens, contre lesquels les Anglais dirigèrent tous leurs coups, mais le feu des Américains était si bien nourri, que les envahisseurs battirent subitement en retraite, à la faveur de l’obscurité, augmentée par la fumée et le brouillard. Les Thennesiens voulurent charger l’ennemi en queue, de concert avec une compagnie de riflemen louisianais, qui pénétrait dans son camp, où elle fit plusieurs prisonniers. Malheureusement, rencontrant sur ses pas un corps d’Anglais trois fois plus fort, qui se retirait, elle le prit pour des Américains, et fut tout enlevée. Ceux du Tennessee, adossés au fleuve, continuèrent un feu terrible, qui ne cessa qu’à neuf heures et demie.

Deux heures après, une vive fusillade se fit entendre dans la direction de la plantation Jumonville, au-dessous de la plantation Villeré. C’était la division louisianaise de Morgan, qui, campée sur la rive droite du Mississippi, demanda à grands cris à passer sur la rive opposée, pour prendre part au combat, dont elle voyait le feu. Le général, cédant à ses instances, n’eut que le temps, d’échanger quelques coups de fusil avec un détachement anglais, dont il fut bientôt séparé par les ténèbres de la nuit.

The Battle of New Orleans. January 1815.by H.B. Hall after W. Momberger

The Battle of New Orleans. January 1815.by H.B. Hall after W. Momberger

Telle fut l’issue du combat du 23 décembre, où les Anglais, au nombre de cinq mille, perdirent plus de quatre cents hommes; tandis que les Américains, qui n’avaient que deux mille combattants, ne comptèrent que cent quarante hommes tués ou blessés, et soixante-quinze prisonniers.

Une compagnie de Louisianais, commandée par Saint-Gême, se retranchant, cette même nuit, sur le canal Rodriguez, deux milles au-dessus du lieu du combat, donna l’idée au commandant Jackson, le lendemain, d’y établir sa ligne de défense. Il ne laissa en face de l’ennemi que deux compagnies de cavalerie. Le canal fut élargi, creusé, on éleva au bord un fort parapet en terre, coupé d’embrasures de distance en distance, dont le revêtement et les courtines étaient faits avec des balles de coton, dix-huit pièces de canon et un obus y furent braqués. Un arpent et demi plus bas, on fit une saignée à la levée, par laquelle le fleuve, s’épanchant avec rapidité, changea bientôt la plaine en une nappe d’eau de trente pouces de profondeur.

Cette précaution fut nuisible : l’eau du fleuve augmentant celle du bayou, par où les Anglais étaient entrés, leur facilita les moyens de débarquer toute leur artillerie. Ils s’en servirent le 27 avec tant d’avantages, qu’ils brûlèrent la Caroline, dont l’équipage parvint à se sauver. Le sloop de guerre la Louisiane, le seul bâtiment qui restât aux Américains, eût subi le même sort, si l’on n’avait pas pris la précaution de l’éloigner.

Le lendemain au point du jour, l’ennemi dirigea contre le sloop de guerre et la ligne de défense, deux attaques simultanées, qui furent repoussées avec vigueur et lui firent perdre de deux à trois cents soldats. Jackson n’eut que dix-sept hommes tués ou blessés.

Le général en chef, dans ces entrefaites, reçut la visite de trois membres de l’assemblée législative, qui lui demandèrent quelle serait sa conduite s’il était forcé de battre en retraite. On avait entendu dire que Jackson, en cas de revers, voulait incendier la Nouvelle-Orléans, comme les Russes avaient fait de Moscou, pour ne laisser aux ennemis ni vivres ni refuge. « – Si je savais, répondit celui-ci, que mes cheveux connussent ma pensée, je les brûlerais sur-le-champ. Dans tous les cas, allez dire à l’honorable corps dont vous faites partie, que la session sera bien chaude si je viens à abandonner la ville. »

Ces paroles disaient assez que, dans une défaite, la conduite de Jackson serait celle de Rostopchine.

Bientôt la nouvelle faussement répandue que les membres de l’assemblée générale parlaient de livrer la Louisiane aux Anglais, faillit entraîner des conséquences fâcheuses. Le général en chef, instruit par le colonel Alexandre de Clouet d’un complot qui n’avait jamais existé, ordonna à Claiborne de s’enquérir du fait, et, s’il était vrai, de faire sauter l’assemblée. Le gouverneur crut prendre des mesures préventives en faisant fermer le lieu de ses séances. Les membres qui se présentèrent pour entrer trouvèrent à la porte des soldats qui leur croisèrent la baïonnette. On s’en plaignit au général en chef, qui fit cesser un ordre de choses si hostile et si préjudiciable à la cause de la liberté.

1815. Cependant, les Anglais s’étaient préparés à une nouvelle attaque, ils avaient élevé, en face de notre ligne, des retranchements dont le revêtement des embrasures se formaient de boucauts de sucre. Le 1er janvier, à neuf heures du matin, comme l’épaisseur du brouillard se fut dissipée, trois batteries, l’une au bord de l’eau, l’autre au milieu de la plaine, une autre auprès de la forêt, armées de trente pièces de gros calibre, commencèrent contre la ligue américaine un feu terrible, accompagné d’un grand nombre de fusées à la Congrève. Les républicains y répondirent avec tant de bonheur, qu’au bout d’une heure sept canons ennemis furent démontés. Quatre heures après, les Anglais abandonnèrent la batterie du bois, à trois heures du soir les deux autres se turent.

Mais le choc qui devait décider cette grande querelle se préparait insensiblement. Pakenham, général en chef de l’armée britannique, et cousin de Wellington, parvenu à faire débarquer tout son monde (douze à quinze mille combattants), hâtait de tout son pouvoir le coup qui devait terminer sa carrière.

battle of new orleans

battle of new orleans

Le 8 janvier, au point du jour, deux fusées éclatant à la fois, l’une à l’aile gauche, l’autre à la droite, donnèrent le signal de la charge. L’armée anglaise entière s’ébranla avec tant de rapidité, au bruit d’une canonnade épouvantable et d’une pluie de fusées à la Congrève, que les avant-postes américains n’eurent que le temps de se replier. Le brouillard favorisait la marche des ennemis, on les aperçut enfin à peu de distance de la ligne, en colonnes serrées, sur une profondeur de soixante à quatre-vingts hommes, marchant d’un pas ferme et rapide, l’arme au bras, et portant des fascines et des échelles. Ils se partageaient en deux divisions, commandées par Gibbs et Kean, aux ordres de Pakenham l’une se dirigeant contre le centre de la ligne américaine, l’autre contre la redoute de la Levée, qu’on n’avait pas eu le temps d’achever. Mais les Américains les attendaient, des soldats de marine, les forbans de Lafitte, des réfugiés français, tous excellents artilleurs, étaient à leurs pièces. L’intervalle entre les embrasures se remplissait de riflemen louisianais, thennesiens et kentuckiens, gens déterminés et tireurs habiles, qui ne manquaient jamais leur but. Disposés sur plusieurs rangs, les derniers devaient charger les armes et les passer aux autres, afin que le feu n’éprouvât aucun ralentissement. Sur les ailes et les derrières se déployaient la cavalerie, prête à s’élancer sur les vaincus. Jackson, qui pouvait à peine contenir leur impatience, attendit que l’ennemi fût à bout portant, alors il donna le signal, auquel ses soldats répondirent par trois acclamations bruyantes, suivies d’un feu roulant de toute la ligue. Les balles, les boulets, la mitraille, tombant sur les envahisseurs comme la grêle, arrêtèrent un moment leur audace. Ils continuèrent cependant d’avancer, sans tirer un seul coup, au milieu du feu terrible qui les dévorait. Quelques-uns étaient parvenus au bord du fossé, lorsque, foudroyés par nos braves, ils se replièrent en désordre. Deux fois Pakenham les ramena à la charge, la première, son cheval fut tué sous lui, la seconde, il reçut le coup mortel.

War of 1812 Edward Pakenham

War of 1812 Edward Pakenham

Un moment après, Gibbs et Kean, blessés, furent emportés du champ de bataille. Ce fut le signal d’une retraite précipitée. Le général Lambert, accourant avec la réserve, voulut en vain les arrêter; ils l’entraînèrent à plus de six arpents du lieu du combat, où ils se reformèrent de nouveau et revinrent à la charge. Le feu des Américains, qui n’avait pas cessé, et qui marquait sa trace dans leurs rangs, comme l’ouragan dans la forêt, les força tout à fait à lâcher pied. Ils se retirèrent, laissant la place couverte de mourants et de morts.

Edward Percy Moran (Battle of New Orleans

Edward Percy Moran (Battle of New Orleans

Un seul corps de douze cents hommes, l’aile gauche de Kean, faillit s’emparer de la redoute du fleuve. Le Colonel Robert Rennie, qui le commandait, malgré le feu du sloop de guerre et celui de la ligue, pénétra dans les retranchements à la tête de ses gens. Un coup de feu le renversa mort sur une pièce de canon. Ce colonel Rennie était un émigré français, ses soldats se retirèrent plus vite qu’ils n’étaient venus.

Cette attaque de Pakenham contre les Américains fut secondée par celle de Thornton contre la division Morgan, sur la rive droite du fleuve. Les troupes du premier s’élevaient à quinze cents hommes aguerris et bien armés; celles du second, à sept cents, et elles n’avaient la plupart que des piques et des fusils de chasse; les munitions de guerre même leur manquaient. L’avant-garde, enfoncée par les Anglais, se reforma derrière un moulin, et repoussa d’abord l’ennemi, qui revint à la charge. En ce moment, Morgan leur ordonna de battre en retraite. Thornton, avançant toujours, dirigea ses coups contre les Kentuckiens, qui lâchèrent pied, et emportèrent avec eux les autres bataillons. Mais leur retraite s’effectua en bon ordre.

À l’aspect de la déconfiture de l’armée de Pakenham, Thornton s’arrêta et opéra bientôt sa retraite.

Telle fut l’issue de la fameuse bataille de la Plaine Chalmette, que les Américains nomment bataille de la Nouvelle-Orléans. Elle coûta aux Anglais deux mille morts, sans compter les blessés et les prisonniers, et quatorze pièces de canon, et aux Américains, treize hommes, sept tués et six blessés. Elle n’avait duré que deux heures.

Les hommes qui se distinguèrent dans cette campagne mémorable furent les généraux Villeré, Carroll, Coffee, Garrigues-Flaujuc, le colonel Delaronde, le commodore Patterson, les majors Lacoste, Plauché, Hinds, le capitaine Saint-Gême, les lieutenants Jones, Parker, Mazent, les braves Lafitte, Bluche, Dominique; le Colonel Savary, homme de couleur; et une foule de Louisianais, Thennesiens, Kentuckiens et Français qu’il serait trop long de mentionner.

On peut avancer que la grande querelle de l’Indépendance s’est décidée dans cette bataille mémorable, si, comme l’a dit Jefferson, la première guerre avec l’Angleterre n’a été que la « guerre de la Liberté. »

Le major général John Lambert , qui prit le commandement de l’armée expéditionnaire, sollicita de Jackson, pour enlever les blessés et enterrer les morts, une suspension d’armes de vingt-quatre heures, qui lui fut accordée. Le 18 au soir, les Anglais quittèrent la sol louisianais, qu’ils foulaient depuis près d’un mois, laissant au pouvoir des Américains un grand nombre de boulets et dix-huit blessés, dont deux officiers. Un des chirurgiens, chargés de les soigner, remit au général en chef une lettre de Lambert, dans laquelle il implorait sa protection pour les hommes qu’il laissait derrière lui, en l’assurant que toute tentative hostile contre la Nouvelle-Orléans était pour le moment ajournée.

Le même jour, l’escadre qui assiégeait le fort Saint-Philippe depuis le 9, mit également à la voile. Deux bombardes, un brick, une goélette et un sloop de guerre, armés de canons et de mortiers de gros calibre, n’avaient pu s’emparer d’un fort défendu par quelques faibles pièces d’artillerie.

Andrew Jackson

Andrew Jackson

Andrew Jackson est le héros de cette guerre, comme Washington est le héros de la première guerre. Quelle distance entre ces deux hommes, qui sont parvenus aux mêmes honneurs et presque à la même célébrité! Ils ont bien tous deux une haute probité, une loyauté chevaleresque, le même génie militaire et le même héroïsme, mais Washington possède ce courage calme qui fixe la victoire, Jackson à ce courage téméraire qui la ravit. La temporisation prudente du premier, les combinaisons sages de ses manœuvres, triomphèrent de tous les obstacles et sauvèrent les États-Unis, en pareille circonstance, l’ardeur bouillante du second eut peut-être compromis l’avenir de la république, ou ne l’eut sauvé qu’à la manière des Scythes, en ravageant le pays. La fermeté, l’amour de la paix sont le partage de l’un, l’obstination, l’amour de la guerre et de la contradiction, celui de l’autre. Celui-ci a les passions violentes, celui-là, pleines de modération, mais ils portent tous deux le même dévouement à la chose publique. Jackson, doué d’une grande sagacité sur le champ de bataille, en manque au cabinet, Washington en montre dans toutes les circonstances. Le premier connaît le peuple à fond, le second possède toutes les connaissances. L’un et l’autre ont su se faire également chérir de leurs soldats. Si l’un ne met en usage que les mesures de vigueur, l’autre n’emploie que les moyens les plus sages et les plus conciliants. Washington en impose par sa grandeur d’âme, Jackson par son inflexibilité. Le premier, avant d’agir, consulte l’opinion publique, le second ne suit que son opinion et, quoique erronée, il l’impose aux masses. L’un fonde des institutions utiles, l’autre les renverse, au risque de ruiner son pays. Celui-ci, quand il lui plaît, foule aux pieds les droits et les libertés du peuple, celui-là sait toujours les respecter et les défendre. Le vainqueur de Cornwallis concilie les partis, apaise les troubles, se fait des amis, l’exterminateur de Pakenham aigrit les partis, jette les semences de troubles et se crée des ennemis. L’un mérite l’estime de toutes les nations par la sagesse de son gouvernement; l’autre les provoque, au risque d’allumer la guerre étrangère. Cependant, l’un et l’autre ont été les élus et les idoles du peuple, tant les routes différentes conduisent au même but, on peut les regarder comme le type des qualités les plus opposées entre elles.

Jackson était venu à la Louisiane imbu de préventions contre tout ce qui ne parlait pas sa langue, ainsi que contre tous les officiers du gouvernement. Les gens qui l’entouraient et qu’il fréquenta l’entretenaient dans ces idées dangereuses. La Louisiane était remplie de Français dont peu s’étaient fait naturaliser citoyens américains. Le chevalier de Touzac, consul de France à la Nouvelle-Orléans, ne pouvant lui-même se mettre à leur tête pour repousser un ennemi avec qui sa nation était en paix, fit tous ses efforts pour engager ses compatriotes à prendre les armes. La guerre, une des vocations des Français, ne les trouva pas rebelles, tous s’enrôlèrent avec joie, laissant la plupart leurs familles dans le besoin, qui furent secourues par l’assemblée législative.

La guerre terminée, ils demandèrent à Jackson un congé qu’il leur refusa. Cependant la paix était faite avec l’Angleterre, depuis le 24 décembre, l’amiral Cochrane en avait donné avis au général en chef américain. Une gazette de Charleston avait répandu, le 22 février, cette heureuse nouvelle dans la Louisiane, mais aucune dépêche officielle n’en était encore parvenue à Jackson. Alors, se prévalant de leurs droits, les Français obtinrent de leur consul un certificat de leur qualité d’étrangers, sur lequel on leur accorda enfin l’objet de leur demande. A la fin un si grand nombre se présenta muni de ces pièces officielles, que le général en chef, pour y remédier, crut n’avoir rien de mieux à faire que d’exiler au-delà de Bâton-Rouge les congédiés, ainsi que le consul, qui s’était montré si facile à accorder des certificats. Il s’emporta même jusqu’à accuser ce dernier de connivence avec l’ennemi. La plupart de ces gens étaient pauvres et chargés de familles qui avaient vendu pour subsister leurs meubles les plus nécessaires. Quelle existence auraient-ils traînée à Bâton-Rouge, village sans ressources pour leur industrie. C’était les vouer à une mort certaine. En vain des personnes influentes firent-elles valoir toutes ces raisons auprès du général en chef, en vain lui représentèrent-elles les services qu’ils avaient rendus, ainsi que ceux qu’ils pouvaient encore rendre, en vain lui firent-elles concevoir qu’ils étaient les meilleurs artilleurs de l’armée, et que c’était à eux peut-être qu’il devait les lauriers dont son front était orné. Jackson fut inexorable. Pourtant il avait dit en les voyant combattre: « – Je donnerais mon bras droit pour parler la langue de ces braves gens. » Mais le vainqueur des Indiens, était entouré d’hommes dont il ne pouvait attendre aucun conseil salutaire.

Quand on eut appris que le traité de paix, arrivé à Washington le 14 février, n’attendait plus que la sanction du Sénat, on espéra, mais en vain, que le général victorieux se relâcherait de son système despotique. Alors Louis Louailler parut sur la scène, c’était un Français naturalisé, un des représentants influents de l’assemblée législative, homme instruit, d’une grande fermeté, membre du comité des finances, chargé de subvenir aux besoins de l’armée. Le premier il avait fait la motion à la législature de rester en session permanente tout le temps de la guerre, et de ne point suspendre le droit de l’Habeas corpus. Dans un écrit véhément, mais juste, inséré dans le Courrier de la Louisiane du 3 mars, il osa exposer et mettre au grand jour les erreurs du général en chef, ainsi que sa conduite arbitraire. Jackson, emporté de sa nature, trouva encore dans son entourage des gens qui le portèrent à la violence. Le juge de la Cour de District des États-Unis, Dominick Augustin Hall, signa en faveur du membre de la législature un writ d’habeas corpu. Jackson fit incarcérer le juge ! ensuite, il fit traduire Louailler devant une cour martiale et porta contre lui sept chefs d’accusation : 1/ révolte, 2/ provocation à la révolte, 3/ mauvaise conduite, 4/ espionnage, 5/ désobéissance aux ordres supérieurs, 6/ libelle, 7/ manière indigne d’un militaire et contraire à la loi martiale. Le général Gaines présidait cette cour, elle acquitta Louailler. Jackson irrité, protesta dans les formes, mais en vain, contre un jugement qui cadrait si peu avec ses idées virulentes.

Dominic Augustin Hall

Dominic Augustin Hall

Aussitôt la paix proclamée et la milice licenciée, le général fit conduire le juge Hall hors des limites de la ville, avec défense d’y rentrer avant la ratification du traité, ou l’éloignement de l’escadre anglaise. Le peuple, qui avait vu avec peine l’arrestation du juge des Etats-unis, témoigna son indignation à l’égard de cette dernière mesure, aussi accueillit-il son retour avec des acclamations les plus vives. Il se rappelait sa conduite énergique à l’égard du général Wilkinson, huit ans auparavant, et se plaisait à reconnaître en lui un magistral impartial, intègre et ferme. Jackson avait agi avec prudence en faisant arrêter le seul homme capable de neutraliser ses mesures despotiques. Quand le juge Hall eut cité à son tribunal le général, qui avait foulé aux pieds l’autorité judiciaire et violé les droits de l’assemblée législative, le peuple applaudit à cet acte de justice. Jackson comparut, dédaigna de se justifier et fut condamné à une amende de mille piastres, qu’il paya sur-le-champ. Le juge avait des offenses personnelles à venger, il refusa de faire emprisonner l’homme qui venait de sauver la patrie, et le peuple applaudit encore plus à cet acte de clémence. Les partisans du général, les forbans de Lafitte, le firent entrer dans une voiture publique, au sortir du tribunal, et le traînèrent en triomphe jusqu’à la Bourse, où il leur adressa cette courte harangue :  » – Je me suis efforcé dans cette campagne, dit-il en concluant, de faire triompher notre constitution et nos lois. Aujourd’hui je viens de prouver le respect que je leur porte, lorsque j’aurais pu m’y refuser sans encourir aucun blâme. Mais je considère qu’un bon citoyen doit toujours obéissance à la loi, quelque injuste qu’elle puisse être, c’est pourquoi je me suis soumis à la sentence que vous avez tous entendus  prononcer. Souvenez-vous de l’exemple que je vous donne, d’une soumission aveugle au pouvoir judiciaire.« 

Le Congrès rendit à la Louisiane la justice qui lui était due: il considéra les services qu’elle avait rendus à la cause commune, le patriotisme chaleureux, le zèle ardent, le courage indomptable dont ses habitants avaient fait preuve. Il considéra les privations, les souffrances, les travaux, les dangers auxquels ils s’étaient soumis de grand cœur. Il apprécia cette générosité avec laquelle ils coururent au-devant de tous les besoins de l’armée, et au secours des blessés, amis ou ennemis. Il applaudit à la sollicitude paternelle de rassemblée législative, qui demeura en permanence tout le temps de la guerre, afin de mieux assurer le triomphe de la liberté, et décréta que la Louisiane avait bien mérité de la patrie.

 

d’après Histoire de la Louisiane par victor Debouchel

http://books.google.ca/books?id=USYVAAAAYAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Une réflexion sur “1812 à 1816 la Louisiane libre et victorieuse

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