Le mythe du bon Sauvage

Approche de définition

Louis Le Breton: Dessin d'un homme tatoué des îles Marquises , 1846.

Louis Le Breton: Dessin d’un homme tatoué des îles Marquises, 1846.

Le terme de sauvage vient du latin SELVATICUS signifiant « habitant de la forêt». Il renvoie donc à une espèce en contact direct avec la nature.

Les sauvages sont considérés comme vigoureux, simples, obéissants à la mère nature, généreux, libres de toute contrainte sociale ou politique, ignorants de la corruption, des sciences et des civilisations (description dans la célèbre lettre d’Amerigo Vespucci (1454-1512: Mundusnovus(1503).

Ces « sauvages » furent aussi désignés sous d’autres termes, ayant chacun des nuances différentes :

Sous le nom de BARBARE qui vient du Grec bárbaros (« étranger »)

Sous le nom de NATURELS, c’est-à-dire très proches des animaux ;

Sous le nom de CANNIBALES qui désigne plus particulièrement les anthropophages, associés dès le XVIème  siècle par Montaigne aux primitifs de l’Age d’or ;

sous le nom de nom de PRIMITIFS, qui renvoie plus particulièrement à l’Age d’or de l’humanité.

  Avant le dix-huitième siècle

Pierre Desceliers (carte du monde parchemin (british Museum)

Pierre Desceliers (carte du monde parchemin (british Museum)

 Dès la fin du quinzième siècle, Christophe Colomb en 1492, Vasco de Gama en 1497, Magellan en 1519, Jacques Cartier en 1534, avaient respectivement fait route vers l’Amérique, les Indes, le Canada. Leurs récits devinrent un genre littéraire très populaire. Ceux sont ces  grands voyages et leurs récits qui sont à l’origine du mythe du bon sauvage. Leurs éditions se multiplièrent, le public y trouvant son compte en frissons et en rêves. Le mythe du bon Sauvage avec un S majuscule se répandit.

Ces carnets de voyage révélèrent l’existence de d’autres peuples, d’autres coutumes, d’autres cultures, d’autres religions. L’Europe prit alors conscience qu’elle n’était plus seule au monde. Par ailleurs, Nicolas Copernic ( 1473 – 1543) démontra que la terre était ronde et qu’elle tournait, puis Galilée ( 1564-1642) prouva que la terre tournait autour du soleil. C’en était fini du géocentrisme, c’était la naissance de l’héliocentrisme. Tous ces éléments révolutionnèrent les systèmes de pensée, la diversité des hommes et des coutumes virent naître le relativisme.

Montaigne dans les « Essais », plus particulièrement dans « Des Cannibales et Des Coches »,  dressa un portrait de ce que l’on appellera au dix-huitième siècle le « bon sauvage » et vanta les mérites de ces peuples purs et innocents, à l’inverse des Européens, vils et cruels. Il fit l’éloge de leurs qualités morales, la loyauté, la franchise, le courage, la fermeté, la constance, ainsi que de leur bon sens et de leur habileté. Ils n’attachaient à l’or et aux pierres précieuses qu’une importance esthétique et ne s’en servaient que pour rendre leurs villes plus belles.  Ils ne connaissaient ni l’envie ni la jalousie et ne se s’adonnaient à aucune guerre de conquête. La propriété privée n’existait pas plus que la notion de classe sociale. À la sagesse des « barbares » qui étaient hospitaliers et qui vivaient tranquillement au sein d’une nature luxuriante, il opposa la cruauté des Européens qui ne pensaient qu’à s’enrichir, qu’à détruire, qu’à asservir. Il  accusa les conquistadors de pervertir ce « monde enfant », c’était déjà, au seizième siècle remettre en cause la colonisation, et faire le procès des civilisations policées.

Extrait de : Des Coches

    «  Que n’est tombé sous Alexandre ou sous ces ancien Grecs et Romains une si noble conquête, et une si grande mutation et altération de tant d’empires et de peuples, sous des mains qui eussent doucement poli et défriché ce qu’il y avait de sauvage, et eussent conforté et promu les bonnes semences que nature y avaient produites…. Au rebours, nous nous sommes servis de leur ignorance et inexpérience à les plier plus facilement vers la trahison, luxure, avarice et vers toute sorte d’inhumanité et de cruauté, à l’exemple et patron de nos mœurs. … Tant de villes rasées, tant de nations exterminées, tant de millions de peuples passés au fil de l’épée, et la plus riche et la plus belle partie du monde bouleversée pour la négociation des perles et du poivre ! Mécaniques victoires. Jamais l’ambition, jamais les inimitiés publiques ne poussèrent les hommes les uns contre les autres à si horribles hostilités et calamités si misérables. »

Au dix-huitième siècle

Les récits de voyages sont de plus en plus nombreux. Outre le récit de Bougainville, on peut citer : Les six voyages de Jean-Baptiste Tavernier ( 1605-1689), qui retracent son périple en Turquie, en Perse et en Inde; Nouveaux mémoires sur l’état présent de la Chine, de Louis Lecomte ( 1656-1729) ; Voyage en Perse et en Inde orientale de Jean Chardin ( 1643-1713) ; Dialogue de monsieur le Baron de Lahontan et d’un sauvage de l’Amérique, de Louis Armand de Lahontan ( 1666-1715). Ces récits, très appréciés du public de l’époque, véhiculent l’image idyllique du « bon sauvage » et de leur bonheur qui semble alors

canoé indien de Rugendas

canoé indien de Rugendas

incontestable : ils sont vigoureux, simples, obéissant à la mère nature, généreux, libres de toute contrainte sociale ou politique, ils sont ignorants de la corruption, des sciences et des civilisations, ils respectent une morale naturelle qui leur dicte le respect d’autrui et de faire le bien de tous. En aucun cas leur morale n’est subordonnée à l’idée de religion, ils se contentent de croire en une volonté suprême qui meut l’univers et la nature. Ces peuples nouveaux ne sont pas considérés comme inférieurs à l’homme civilisé, au contraire, ils inspirent l’admiration et ils incarnent une sorte de pureté originelle. Le dix-huitième siècle voit en eux la parfaite harmonie entre l’homme et la nature, loin de tous préjugés, de quelque ordre que ce soit.

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Le dix-huitième siècle utilise l’image du « bon sauvage » pour donner une leçon de relativisme. Le Tahitien de Diderot ou le Huron de Voltaire, par leurs modes de vie différents de ceux des Européens, donnent à voir une autre façon de vivre et d’être heureux. La diversité des attitudes, des comportements, permet un élargissement de l’esprit et il engendre la réflexion sur le sens de la vie. Dès lors, l’esprit critique se développe et permet de porter un regard nouveau sur soi et de se demander selon quelle légitimité l’Européen veut-il imposer ses façons de penser. Ce n’est pas sans raison si ce siècle appelé « des Lumières » s’interroge sur les fondements de la société dans laquelle, il vit et remet en cause certains de ses principes.

En effet, les pays découverts, libres de toute convention sociale politique ou religieuse, vivant en toute quiétude, sont l’occasion de dénoncer le poids de l’absolutisme royal, du conformisme social et religieux. L’intolérance et les inégalités sont au centre des préoccupations des philosophes du dix-huitième, preuve en est le sujet du concours proposé par  l’académie de Dijon en 1754 : « Quelle est l’origine de l’inégalité parmi les hommes et si elle est autorisée par la loi naturelle. » De plus, sans vouloir nier le progrès et ses avantages pour l’homme, à l’exclusion de Rousseau, les philosophes s’interrogent déjà sur certaines conséquences du progrès, tel un nouvel asservissement pour l’homme.

 Le « bon sauvage » : un mythe

Jean-Gabriel Charvet, édité par la société Joseph Dufour et Cie

Jean-Gabriel Charvet, édité par la société Joseph Dufour et Cie

 Un mythe, et non pas un réalité. Conformément à sa définition le mythe désigne un récit symbolique et figuratif qui révèle une vérité,  » un mensonge qui dit vrai », selon la formule de Cocteau. Le « bon sauvage » symbolise les aspects de la condition humaine et traduit ses aspirations à savoir, la quête du bonheur et d’une vie harmonieuse. En proposant une vision idyllique, utopique, du primitif naïf, bon, vivant en osmose parfaite avec la nature qui le fait vivre, le dix-huitième siècle exprime son désir d’un bonheur simple et traduit aussi ses angoisses. On peut y voir un regret d’une forme de paradis perdu. D’ailleurs, il convient de souligner que même Rousseau, dans la préface de son discours sur l’origine des inégalités, présente l’homme à l’état de pure nature comme étant un idéal et non une réalité : « …un état qui n’existe plus, qui n’a peut-être jamais existé, qui probablement n’existera jamais… » et dans le début de son discours, il précise que même à sa création, l’homme ne connaissait pas l’état de nature : « Il n’est même pas venu dans l’esprit de la plupart des nôtres ( philosophes) de douter que l’état de nature eût existé, tandis qu’il est évident, par la lecture des livres sacrés, que le premier homme, ayant reçu immédiatement des Dieu des lumières et des préceptes, n’était point lui-même dans cet état…. »

Le mythe du bon sauvage s’éteint peu après le XVIIIème. Cependant l’utopie du paradis perdu et de l’âge d’or, reflétant la nostalgie de l’homme quant à son passé, persista. On peut ainsi la retrouver dans certains poèmes de Baudelaire (entre autres).

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