Au début du 19ème siècle, entretenir une maîtresse pour un homme riche était une pratique fort banale dans le monde entier. Dans le sud des États-Unis, en Louisiane et spécialement à La Nouvelle-Orléans cette forme de pratique avait sa particularité, un homme blanc riche se devait d’entretenir une femme de couleur. Ce système appelé plaçage était initié par les pères qui amenaient leur fils au bal des quarteronnes choisir celle qui serait leur placée.
Ces femmes le plus souvent métisses, quarteronnes ou octavonnes, que la loi considérait comme noires, même si elles étaient des femmes libres et non des esclaves, n’avaient guère d’options pour vivre dans cette société qui semblait libre et permissive et qui en fait était très codée. Ces jeunes filles étaient élevées par leur mère afin de conclure un mariage de la main gauche, elles acquerraient tout ce qu’une femme de qualité se devait de savoir. Sous le chaperonnage de leurs mères et de leurs tantes, elles étaient présentées à leur futur souscripteur lors d’un bal resté célèbre, le bal des quarteronnes. Dès qu’elles étaient remarquées, un marchandage se faisait entre la mère de la jeune fille choisie et le créole intéressé, ils établissaient conjointement un contrat de plaçage dans lequel était notifiée une allocation généreuse, des serviteurs et une maison, celle-ci devant devenir un deuxième foyer pour le signataire. En retour, les jeunes femmes se devaient d’être disponibles, obéissantes, et surtout discrètes. Dans le meilleur des cas, ces contrats duraient toute une vie, les enfants allaient parfois jusqu’à hériter de leur père. Bien que connu de tous, tout le monde fermait les yeux sur cette pratique, les épouses légitimes, les premières, tant que la discrétion de toutes les personnes impliquées était assurée.
Seulement l’accord tacite ne fut pas toujours respecté, alors…
Monsieur Labranche était un riche planteur de canne à sucre, et comme tous les nantis de la ville, il tenait son rang. Comme beaucoup, il avait ce que l’on appelait une placée, une quarteronne de toute beauté dénommée Mélissa.
Comme il s’éloignait rarement de La Nouvelle-Orléans, il la visitait souvent. Mélissa avait une petite maison à quelques rues seulement de l’angle des rues Royale et Saint-Pierre où habitait monsieur Labranche. Il y menait une seconde vie confortable sans que son épouse ne s’en doutât, tout au moins officiellement.
Tout cela aurait pu perdurer, mais monsieur Labranche décéda subitement. Il eut des obsèques dignes de son statut, desquelles Mélissa resta à l’écart par bienséance.
Malheureusement, certains des amis du défunt furent moins délicats, deux d’entre eux firent part du deuxième foyer de monsieur Labranche et de sa placée à sa veuve.
Après quelques recherches malaisées et délicates, Madame Labranche situa la maison de Mélissa. Bien que cela fut surprenant, elle l’invita à prendre le thé, sous prétexte de discuter des arrangements futurs.
Mélissa pensa bien que c’était extraordinaire, mais accepta l’invitation. Elle supposa que son amant avait pris des dispositions testamentaires que la veuve se sentait obligée de réaliser. La Nouvelle-Orléans en avait vu d’autres, on jasait encore de la maison de la rue Dumaine, qu’avait léguée monsieur Jean à sa placée.
La Veuve Labranche invita Mélissa à sa table afin de prendre un thé qu’elle servit elle même, et avec maladresse elle tenta de faire la conversation avec la femme qui avait partagé le lit de son mari…
elle s’y obligea, retenant son invitée, jusqu’au moment où les poudres de sommeil qu’elle avait mis dans son thé firent leur effet. Une fois endormie et dans l’incapacité de résister, elle traîna la jeune femme inconsciente jusqu’au troisième étage. Loin de la rue où elle aurait pu être entendue, elle l’enchaîna au mur. Elle laissa Mélissa lentement mourir de faim. Les gémissements pitoyables de la malheureuse ne touchèrent pas la conscience de la veuve qui logeait au deuxième étage.
Madame Labranche continua à vivre encore 15 ans, sous le cadavre pourrissant de la placée sans être inquiétée.
Une femme du Sud ne se comporte pas toujours comme une Dame…
Des années plus tard, le bâtiment devint un restaurant. Quelle ne fut pas la stupeur du personnel de l’établissement quand ils virent des objets se déplacer tous seuls et même traverser la pièce comme si on les projetait. Les Serveurs apeurés signalèrent au fil du temps deux spectres, deux femmes, qui étaient tous deux très agités.
Au troisième étage, les meubles bougeaient, probablement le fantôme de Mélissa, la créature éthérée faisait déplacer les objets, les projetant au travers de la pièce de colère. La Veuve Labranche était plus visible, à plusieurs reprises sur la galerie du deuxième étage, une femme élégante à la chevelure hirsute, en robe bleue, fut aperçue, elle semblait très déprimée.
Tout cela rendait les gens nerveux et agités, les apparitions glaçaient le sang de ceux qui les apercevaient. Ces entités n’avaient pas besoin de jeter des choses à travers la pièce… dans la panique, les témoins auraient tout cassé.
Quant à Jean Baptiste Labranche, nul n’en faisait mention. Il semblerait qu’il ait sagement choisi de rester à l’écart des deux femmes.
Notes de l’auteur : j’ai brodé en utilisant plusieurs sources dont la fiabilité n’est pas toujours acquise et selon un parti pris tout en m’appuyant sur l’histoire.
A reblogué ceci sur La légende de Martinus (A NOLA)et a ajouté:
Petite anecdote façon Halloween
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