Delphine LaLaurie

Ontario Sara Golish: Mercury Rising

Ontario Sara Golish: Mercury Rising

Mon nom ne vous dirait rien, je fais parti des anonymes extrait de la masse servile des nègres à une époque et un lieu où nous n’étions rien que des esclaves faisant le labeur éprouvant par trop pénible pour nos maîtres.

Appelez-moi Rosette, Nébula, Olympe, Lia, Léa… comme vous voulez, cela n’avait pas d’importance en son temps, cela n’en a plus aujourd’hui. Mon histoire est sans intérêt d’autant que ma vie fut courte, 13 années. Ce qui importe, c’est mon témoignage, ce que j’ai vu, ce que j’ai entendu, et je vais peut-être vous surprendre.

Je vais vous parler de l’être le plus immonde que j’ai été amené à rencontrer. Égoïste, méchante, vicieuse, perverse, manipulatrice…

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Sa vie commença en 1775, au sein d’une famille de cinq enfants. Elle fut prénommée Marie Delphine et fut élevée dans une plantation sur les bords du Mississippi. Elle était la fille de Louis Barthélemy Chevalier de Macarty, capitaine des troupes françaises, et de Marie Jeanne Anne L’Erable, une esclave affranchie, c’était tout du moins ce qui se disait dans les cuisines et qui finit par se dire ailleurs. Le couple n’en était pas moins considéré comme deux membres de la haute société créole blanche de La Nouvelle-Orléans. Ils tenaient leur fortune des banques, de la canne à sucre, du coton, de la piraterie et de la traite des esclaves. Sa mère, Marie Jeanne Anne L’Erable, serait morte en 1807 et son père, Chevalier de Macarty, en 1811, lors d’un prétendu soulèvement d’esclaves. Que n’a-t-on pas dit pour excuser ce qui suivit ?

Tout ce que je sais et qui tient d’avant ma venue, je le tiens de la nourrice de Marie Delphine, la bonne Manouma.

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Enfant, elle était capricieuse, un vrai garçon manqué. Dompter son caractère, pour en faire une demoiselle, fut un effort de tous les jours qui fatigua sa mère et usa trois gouvernantes. Son père, quant à lui, que sa joliesse et son caractère impétueux ravissaient, la gâtait sans limites. Jeune fille, sa beauté attira toutes les attentions, aussi bonnes que mauvaises, jalousie chez les filles et leurs mères qui voyaient en elle et sa fortune une rivale, pour les mêmes raisons, admiration et désir pour les hommes. Elle était d’une nature hautaine comme beaucoup de Créoles, d’autant que dès sa présentation dans la société des ragots coururent sur la clarté de son sang. Elle se cabra, ne décoléra pas. Ce fut à ce moment-là qu’elle commença à avoir des gestes irréfléchis et violents envers ses serviteurs, ce qui allait à l’encontre de l’éducation qu’elle avait reçue. Sa mère le lui fit remarquer et insista sur les conséquences que cela aurait sur sa réputation si cela venait à être remarqué. Elle lui expliqua qu’elle se devait d’être irréprochable en société. Elle prit sur elle, apprit à se maîtriser et à cacher ses impulsions.

Anne-Louis Girodet-Trioson (étude de Galaté

Anne-Louis Girodet-Trioson (étude de Galaté

Ce fut la période du défilé des prétendants. Elle était belle, ce qui était un atout non négligeable, mais elle avait surtout une dot sur laquelle bien des familles reluquées d’autant qu’elle était couplée avec l’influence d’une famille les plus en vue de La Nouvelle-Orléans. Devant le choix de prétendants, elle se fit difficile. Le temps passait et aucun parti ne trouvait grâce aux yeux de Marie Delphine. Son père finit par mettre un terme à cette incertitude basée sur des caprices d’enfant gâté. Aussi le 11 juin 1800, à l’âge de vingt-cinq ans, Delphine épousa Don Ramón de Lopez y Ángulo, un officier de haut rang espagnol, à la cathédrale Saint-Louis à La Nouvelle-Orléans. Le futur époux était un membre de la cavalerie du roi Charles d’Espagne, intendant du Trésor royal des provinces de Louisiane et de Floride occidentale, originaire de Galice en Espagne et fils de Sa Seigneurie Don Jose Antonio Lopez y Angula et de Dona Ana Fernande de Angule, fille de Dona Francisca Borja Endecis. Marie-Delphine n’eut rien à redire à cette glorieuse alliance. Ils s’installèrent dans le quartier français de la ville.

Peu de temps après l’achat de la Louisiane, en1804, le mari de Marie Delphine fut rappelé à la cour d’Espagne. La lettre, portant cette commande royale, indiquait que le jeune officier espagnol se devait de venir à la cour de Madrid afin qu’il lui soit remis le brevet de son nouveau poste. La Nouvelle-Orléans se mit à bruire de nouvelles contradictoires. L’une prétendait, que Don Ramon allait être nommé consul général d’Espagne, et l’autre qu’il était tombé en disgrâce auprès du roi, et que là était la raison de son retour en Espagne.

ACHILLE DEVERIA 1830

ACHILLE DEVERIA 1830

Il n’en resta pas moins que Don Ramón fit route vers Cuba avec Marie Delphine attendant leur premier enfant et une ribambelle de serviteurs. Arrivée à La Havane, Don Ramón se trouva dans l’incapacité d’aller plus avant. Marie Delphine décida d’aller sans plus attendre à Madrid au nom de son époux, pour beaucoup, c’était dans le but de plaider la cause de celui-ci. Toujours est-il, qu’elle revint à La Havane avec l’ordre signé du roi, ce dernier ayant été impressionné par son charme et sa grande beauté, dixit la cour madrilène. Malheureusement, Marie Delphine revint à La Havane pour apprendre que Don Ramón était mort entre temps dans des circonstances inconnues, du moins aucune, qu’elle put expliquer par la suite. Elle n’eut pas le temps de réaliser son deuil que les premières contractions de l’accouchement commencèrent. Elle donna naissance à une fille, Marie Borgia Delphine Lopez y Angulla de la Candelaria, que l’on surnomma par la suite Borquita, ce qui signifiait « petit Borja » du fait qu’elle avait été prénommée comme sa grand-mère paternelle.

Anne-Louis GIRODET de Roussy-Trioson

Anne-Louis GIRODET de Roussy-Trioson

N’ayant plus rien à faire à La Havane, remise de ses couches, Marie Delphine retourna à La Nouvelle-Orléans avec sa fille, d’autant que son époux n’avait, à sa surprise, laissé que des dettes.

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Quatre ans plus tard, en juin 1808, Marie Delphine épousa Jean Blanque, un banquier réputé, commerçant, avocat, législateur et marchand d’esclaves bien connu. Au moment de leur mariage, il acheta une maison au 409 rue Royale, à La Nouvelle-Orléans, pleine de charme, face à la rivière Mississippi juste en dessous des limites de la ville, afin d’y résider avec sa nouvelle famille.

De leur union naquirent quatre enfants, Marie Louise Pauline, Louise Marie Laure, Marie Louise Jeanne et Pierre Paulin.

marie laveau by xatrax

marie laveau by xatrax

La maîtresse de maison invita le gotha de la Nouvelle-Orléans, les créoles affluèrent à toutes les fêtes qu’elle organisa. S’il y avait des invités officiels, il y avait aussi des officieux. À des heures plus discrètes par des entrées tout aussi discrètes, on pouvait voir entrer le contrebandier Jean Lafitte ou la sorcière Marie Laveau. En fait, ces visites aussi discrètes fussent elles, n’étaient pas secrètes. Le général William CC Claiborne se servit de Jean Blanque comme intermédiaire auprès de Jean Laffitte et ses associés Baratarian qui venait de recevoir des propositions de certains officiers britanniques pour rejoindre les Anglais dans une attaque de La Nouvelle-Orléans. Nous savons depuis que Jean Laffitte tint à rester du côté des Louisianais. Quant à Marie Laveau, Marie Delphine depuis longtemps la faisait venir chez elle afin de la coiffer, comme beaucoup de Créoles. Bien évidemment comme toutes, elle attendait d’autres services de sa part. Marie Laveau, contrairement à la rumeur, ne l’aimait pas, mais elle ne pouvait faire fi de ces demandes. Dès sa première visite, elle avait vu des choses qui l’effrayaient et n’avait pu révéler la totalité de sa prédiction. Elle s’était contentée de dire à Marie Delphine, qu’elle se marierait trois fois, qu’elle serait riche et adulée, enfin ce que sa cliente voulait entendre. Elle lui fournit gris-gris, onguents, mauvais sorts et autres fariboles.

Après d’apparentes années de bonheur, Marie Delphine fut à nouveau veuve. Jean Blanque perdit la vie pendant l’année 1816, dans des circonstances aussi inattendues que suspectes. Les langues s’en donnèrent à cœur joie, on remit la couleur du sang de Marie Delphine sur la table, par la même occasion on prétendit qu’elle était aussi sorcière. Tout ceci déclencha des colères terribles dont ses esclaves firent les frais, seuls boucs émissaires à portée de main.

*

LaLaurie Mansion 1140 Royal corner New orléans

LaLaurie Mansion 1140 Royal corner New orléans

Le 25 juin 1825, Marie Delphine se remaria avec Léonard Louis Nicolas LaLaurie, un médecin de 10 ans de moins qu’elle. Pour la première fois, elle était tombée amoureuse de son futur époux. Le docteur Léonard Louis Nicolas LaLaurie, originaire de Villeneuve-sur-Lot, en France, était venu à La Nouvelle-Orléans pour établir une pratique. Comme la bonne société louisianaise critiquait son choix, elle décida d’en imposer encore plus. Elle commença par acheter une nouvelle maison, elle voulait rompre avec son passé. Cette nouvelle propriété se situait au 1140 rue Royale, à l’angle de cette rue et de celle de l’Hospital, c’était un magnifique immeuble de trois étages dans lequel elle emménagea lors de l’année 1832. Il était le plus haut bâtiment des alentours et de la coupole sur le toit, on pouvait regarder au-dessus du quartier jusqu’au Mississippi. Il était plutôt sobre vu de l’extérieur, malgré ses délicats ornements de fer forgé, par contre l’intérieur, prévu pour de grandes festivités, se révélait d’un luxe extravagant.

Stephen Scott Young

Stephen Scott Young

Ce fut à cette période, que j’arrivai dans cette maison, avec deux autres compagnes, dont l’une était une de mes sœurs, pour remplacer des chambrières qui quittaient la maison. Ces dernières suivaient leurs maîtresses, elles faisaient partie des cadeaux de mariage. Borquita, la première fille de ma maîtresse, épousa Placide Forstall, membre d’une famille distinguée de Louisiane, et Jeanne, une autre de ses filles, épousa Charles Auguste de Lassus, seul enfant de Don Carle de Lassus, ancien gouverneur de la Haute Louisiane, et plus tard gouverneur du poste de Bâton Rouge et de l’Ouest de la Floride quand nous étions encore sous la domination espagnole.

La première chose que je vis, ce furent les grilles de fer ouvragées à l’entrée de l’immeuble, puis une porte sculptée avec une image de Phœbus sur son char orné de guirlandes de fleurs. À l’intérieur, le sol du vestibule était en marbre noir et blanc, moi qui n’avais connu que des planchers, je n’osai marcher dessus. On me fit gravir un escalier en acajou avec une rampe en fer forgé que se déroulait sur les trois étages. Au deuxième étage, les portes d’acajou sculptées de motifs floraux et de visages humains ouvraient sur des salons brillants, illuminés par la flamme de centaines de bougies dans des lustres gigantesques. Les trois grands salons étaient reliés par des portes coulissantes ornées, les murs étaient décorés de rosaces en plâtre, de boiseries sculptées et les manteaux de cheminée étaient de marbre noir avec des pilastres cannelés. L’ensemble était meublé de la plus exquise des manières, les invités dînaient dans de la porcelaine européenne et évoluaient au milieu de tissus orientaux importés à grands frais. Les portes et les fenêtres étaient plaquées d’or et des peintures d’artistes célèbres décoraient les murs.

ACHILLE DEVERIA

ACHILLE DEVERIA

J’arrivai de la plantation dont ma maîtresse avait hérité de ses parents, j’étais ébloui d’autant que je devenais une esclave de maison, je n’irai jamais dans les champs. J’allais devenir une des chambrières de Madame LaLaurie.  J’étais très fière, car celle-ci était connue comme la créole française la plus influente de la ville, à la tête des affaires de la famille et menant grand train. Ses filles étaient reconnues comme les mieux habillées de La Nouvelle-Orléans. Ma maîtresse était considérée comme une des femmes les plus intelligentes et les plus belles de la ville. Elle était recherchée pour ses bals et ses galas grandioses, qu’elle organisait régulièrement. Ses soirées étaient fréquentées par tous les notables de La Nouvelle-Orléans, y compris par le juge Caponage, un ami très cher de celle-ci. Les invités de sa maison étaient choyés, leur hôtesse veillant au moindre de leur besoin. Ceux qui avaient son attention lors de ses merveilleuses soirées n’avaient de mots que pour elle. Elle était, selon leurs dires, une femme intelligente, douce, captivante, charmante et charmeuse. Ses manières raffinées et ses gestes gracieux étaient fréquemment soulignés.

ACHILLE DEVERIA

ACHILLE DEVERIA

Mais ce clinquant n’était que la face visible de ma maîtresse. Au-dessous de cette apparence délicate et raffinée, se cachait une femme cruelle, froide et probablement folle… et de cela, je devais en subir les affres.

Si l’hospitalité de ma maîtresse permettait de détourner l’attention de ses invités, cela n’empêchait pas certains de s’inquiéter de l’état de ses esclaves. Parmi ses hôtes les moins aveuglés, certains les trouvaient émaciés, faibles et visiblement en très mauvaise santé, ils allaient jusqu’à dire qu’ils faisaient peine à voir. Mais ceux qui ne voulaient pas voir, mettaient ces dires sur le compte de la jalousie et tenaient à faire remarquer qu’elle se montrait soucieuse de la santé de ses esclaves et tous ceux qui la visitaient pouvaient affirmer qu’elle était d’une gentillesse rare à leurs égards. De plus dès que ma maîtresse avait connaissance de médisances la concernant, les critiques étaient rayés de la liste des d’invités.

Achille Devéria

Achille Devéria

Parmi les serviteurs des maisons de la ville, un bruit fini par se propager, qui tout d’abord paru absurde, puis qui fut relayé par des témoignages et fini par atteindre les maîtres de ces derniers. Tout le monde savait que ma maîtresse faisait souvent venir notre reine du vaudou, Marie Laveau, aussi, on prétendit, que né des expériences de ma maîtresse et de son mari, la célèbre sorcière les aurait aidés dans une funeste tâche, celle de mettre au monde un enfant du Diable. Ma maîtresse ne sachant comment le maîtriser, elle l’aurait gardait enfermée dans une chambre au deuxième étage de sa maison rue Royale et ses cris sauvages et démoniaques pouvaient être entendus à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Lors d’une nuit particulièrement sombre, alors qu’une pluie violente s’abattait sur la ville, l’enfant du Diable aurait brisé ses lourdes chaînes avec ses dents et il aurait couru se cacher dans les bâtiments de la rue Bourbon, où il serait encore aujourd’hui. De tout cela, une partie était vraie, du dernier étage de la maison, on pouvait entendre des cris et des gémissements à donner des sueurs froides mêmes lors des plus grosses chaleurs dont nous pourvoyait notre pays. Ces plaintes ne venaient pas d’un enfant du diable enfermé dans le grenier de la maison, mais c’était sans aucun doute l’atelier du diable lui-même qui s’y était installé.

Loving Eugene

Loving Eugene

Les rumeurs étaient tenaces, et continuaient à se propager, plusieurs personnes étaient persuadées que Madame LaLaurie maltraitait ses esclaves. Elles soutenaient qu’elle se montrait dédaigneuse, cruelle et qu’elle abusait fréquemment de son autorité. Des voisins avaient remarqué à plusieurs reprises que ma maîtresse était sujette à de violentes colères, surtout lorsque ses serviteurs, et quelques fois ses filles, ne répondaient pas assez rapidement à ses directives. Cela était vrai, puisque ce fut comme cela, qu’un jour, elle m’envoya un vase à travers la figure et que pour l’avoir évité, je fus fouetté dans le patio devant les autres serviteurs de la maison.

Le temps vint, où les autorités ne purent, malgré la notoriété de ma maitresse, ignorer la persistante rumeur, aussi un avocat fut envoyé chez elle pour enquêter. Une loi, en vigueur à La Nouvelle-Orléans, interdisait le traitement cruel des esclaves. Bien sûr, il ne trouva aucune preuve tangible pouvant confirmer tous ses dires. Comme lors de toutes ses apparitions publiques, ma maîtresse prit grand soin d’être polie avec ses serviteurs et quand l’un d’eux sursauta au son de sa voix en la présence de l’avocat, elle le rassura le plus naturellement du monde afin de l’apaiser. Elle fit même remarquer à son invité, qu’elle avait déjà émancipé deux d’entre eux, Jean-Louis, en 1819 et, Devince, en 1832. Il rappela toutefois à ma maîtresse les lois sur l’esclavage. Il déclara par la suite n’avoir trouvé aucune preuve de méfaits ou de maltraitance et qu’en fait, il avait même trouvé Madame LaLaurie tout à fait charmante.

Malgré cette visite, les histoires sur les mauvais traitements que ma maîtresse infligeait à ses esclaves continuèrent à se propager et bientôt, nul ne put l’ignorer dans la ville. Il fut tenu pour certain qu’elle gardait une femme, une esclave très âgée, attachée aux fourneaux de sa cuisine. L’on racontait également, qu’elle était entrée dans une rage folle et qu’elle avait battu ses filles lorsqu’elle les avait surprises en train de nourrir ses esclaves affamés. Mais, où était la vérité?

delphine lalaurie mugshot by zsabreuserUn incident survint après la visite de l’avocat, qui permit cependant de confirmer les rumeurs. Ce jour-là, une des voisines des LaLaurie fut témoin d’un terrible événement dont la rue se fit l’écho. Elle était en train de gravir ses escaliers quand soudain, elle entendit un cri perçant. Cherchant l’origine de ce cri, elle aperçut alors Mme LaLaurie, en train de poursuivre l’une de ses esclaves, une petite fille âgée d’environ douze ans. En fait cette scène, dont j’étais l’objet, avait commencé de façon anodine. Ce jour-là, je remplaçai, auprès de ma maîtresse, une de mes aînées soi-disant souffrante. En fait, elle l’avait contrarié, aussi l’avait-elle enfermé dans le grenier, et nous savions tous, que ceux qui y entraient n’en ressortaient pas. J’étais tremblante de crainte, comme tous ceux d’entre nous qui s’approchaient de notre bourreau, car tout ce qui n’était que bavardage en dehors des murs de l’immeuble LaLaurie était vécu à l’intérieur. Nous ne pouvions nous plaindre des maltraitances que nous subissions, qui étions-nous face à une Macarty dont un des membres de la famille était maire de la ville. Nous avions bien espéré avec la venue de l’avocat que notre sort en serait modifié, mais rien. J’étais en train de brosser les cheveux de ma maîtresse lorsque je tombais sur un nœud. Irritée par le peu de considération que j’apportai à son délicat cuir chevelu, ma maîtresse rentra dans une colère folle. Elle saisit son fouet. Prise de panique, je m’enfuie de la chambre et me précipitai dans les escaliers. Ma maîtresse me poursuivit à la vue de tous, jusque dans la cour. Terrifiée, je montais alors par l’escalier en colimaçon extérieur de galerie en galerie, suivie par ma maîtresse plus que jamais en furie. Je me précipitai hors du belvédère et jaillit sur le toit, ma maîtresse toujours sur mes talons, lorsqu’elle s’approcha de moi, affolée, je reculai voulant échapper à sa punition. Je tombai du toit avec un bruit sourd dans la cour en dessous, sous l’œil effaré de la voisine. Je fus soulevé et porté dans la maison.  Je n’étais qu’une masse inerte, disloquée, silencieuse, un reste épars de l’humanité. À la nuit tombée, à la lueur des flambeaux, mon corps fut discrètement enterré dans un puits condamné, une simple fosse, juste au-dessous des cyprès de la cour, quant à mon âme cela devint une autre histoire. Je n’allai plus laissé en paix, ni ma maîtresse, ni quiconque dans cette maison et en cela j’allais être aidé des autres martyrs de ma maîtresse.

Ontario Sara Golish (Calypsoul

Ontario Sara Golish (Calypsoul

Tout d’abord, je vins visiter la voisine de ma maîtresse, et afin qu’elle n’oublie pas ce qui s’était passé, je parcourais la galerie chaque fois qu’elle sortait de chez elle. Son malaise fut si grand, qui lui fallu peu de temps pour aller voir les autorités. Elle affirma qu’à la nuit, une jeune fille était tombée morte, et qu’elle avait été enterrée dans un puits, en cela elle avait été appuyée par son époux et son fils qui avait vu la scène, le simagrée d’enterrement. Ils auraient bien voulu passer outre, porter plainte contre leurs illustres voisins les gênaient terriblement, mais leur épouse et mère ne l’entendait pas ainsi. C’était trop pour elle.

La rumeur de ma mort, moi, une jeune esclave, incita les autorités à lancer une nouvelle enquête sur la façon dont madame LaLaurie traitait ses esclaves. Cette fois, grâce au témoignage de sa voisine, il y eut suffisamment de preuves pour la condamner, même si la sentence fut dès plus légère. Ma maîtresse reçut une amende de 300 $ et elle dut renoncer à neuf de ses esclaves. Elle déclara à ses proches qu’elle n’était pour rien dans cette malheureuse affaire, qu’elle devait tout cela à la jalousie de sa voisine. Même si on l’accablait, elle n’était pas responsable de la mort de cette enfant. Elle réussit à convaincre un membre de sa famille de sa bonne foi et, par son intermédiaire, elle racheta ses anciens esclaves qui rejoignirent dès le lendemain leurs quartiers de la résidence rue Royale, eux qui pensaient être enfin sortis de ce cauchemar.

dozing Mamy Strother

dozing Mamy Strother

Je rentrai dans une colère noire, je traversais régulièrement la maison, renversant tout sur mon passage, faisant sursauter mes anciens compagnons d’infortune. Je fis tant et si bien que mon maître passa le plus clair de son temps en dehors de la maison au grand dédain de ma maîtresse. Comme rien ne se passait, je décidai de pousser la cuisinière à un geste extrême, alors que mes maîtres étaient l’un et l’autre absents.  Je l’amenai à un geste désespéré. Celle-ci, pauvre femme, de soixante-dix ans, qui avait connu ma maîtresse, enfant, était enchaînée à son poste de travail depuis bien longtemps, pour la punir d’une faute dont plus personne ne se souvenait. Ce jour-là, elle en avait fait une autre, elle avait par trop sucré un gâteau. En fait, j’avais versé à son corps défendant tout un pot de sucre. Anodine, la faute, me diriez-vous ? Vous n’auriez pas tord. Mais ma maîtresse s’était mise en colère juste au moment de partir, sous-entendant des représailles. Jouant sur cette peur, je renversai un pot, puis pendant que la pauvre vieille ramassait les morceaux, tout en maugréant, se demandant bien comment elle allait pouvoir expliquer cela, je renversai le pot au lait, puis je fis tomber un chiffon dans le foyer qui s’embrasa. Épuisée, la cuisinière décida de mettre le feu à la maison. Elle avait tellement peur d’être punie par sa Maîtresse et d’être envoyée dans ce maudit grenier, dont personne ne revenait, qu’elle préférait mourir.

Leg and Wrist Shackles Used on Slave Ship, 1784

Leg and Wrist Shackles Used on Slave Ship, 1784

À la vue des flammes, les voisins se précipitèrent dans la maison pour combattre l’incendie et tenter de sauver les meubles et autres objets de valeur. Il ne faut pas oublier que les incendies étaient la terreur de la ville. La Nouvelle-Orléans avait par deux fois était en partie détruite par cette catastrophe, aussi le rassemblement fut rapidement grand afin de porter de l’aide. Les secours, surpris, trouvèrent, alors que le feu faisait rage, ma maîtresse faisant tout son possible pour sauver ses bijoux et ses fourrures, poussant les gens qui lui demandaient où étaient ses gens, pourquoi ses esclaves ne l’aidaient pas. En plus d’ignorer la question, elle refusa de donner les clés des chambres des esclaves, poussant les gens à défoncer les portes de sa maison pour sauver les pauvres esclaves enfermés. C’est alors qu’en entrant dans le grenier, ils trouvèrent un spectacle digne de l’atelier du diable. Certains des pauvres malheureux étaient attachés à des tables d’opération de fortune, certains étaient enfermés dans des cages faites pour les chiens, d’autres enchaînés aux murs ou suspendus. Des morceaux de corps humains étaient dispersés tout autour de la pièce et des têtes et des organes étaient entassés dans des seaux. Des restes immondes étaient empilés sur des planches et à côté d’eux une collection de fouets et de battoirs. Des récipients étaient remplis de sang. De mémoire d’homme, on avait rarement vu plus horrible… Toutes les victimes étaient nues et celles qui n’étaient pas sur les tables étaient enchaînées au mur. Tous semblaient avoir subi des tortures et des expérimentations médicales démentielles. Certaines des femmes avaient eu leurs estomacs ouverts et leurs viscères étaient enroulés autour de leur taille. Une femme avait eu la bouche bourrée d’excréments animaux puis ses lèvres avaient été fermées et cousues.
Les hommes étaient dans un état tout aussi horrible. Certains avaient eu leurs ongles arrachés, un autre avait subi un changement de sexe « artisanal », deux autres avaient leurs langues cousues ensemble et certains avaient eu leurs parties génitales tranchées et avaient été énucléés afin que leurs orbites servent de chandelier. Un homme enchaîné avait un morceau de bois qui dépassait d’un trou, qui avait était percé au sommet de son crâne. On l’avait utilisé pour « remuer » son intelligence.

Certains pompiers s’évanouirent à cette vue. Les autres, horrifiés, s’enfuirent de la scène du drame et les médecins d’un hôpital voisin furent appelés. On ne sait pas exactement combien d’esclaves furent trouvés dans la « chambre des horreurs », le chiffre officiel fut de sept. Les tortures avaient été administrées de façon à ce que le décès ne soit pas rapide. Malgré tout, beaucoup d’entre eux étaient déjà morts depuis quelque temps. Quelques autres s’accrochaient toujours à la vie… Comme une femme dont les bras et les jambes avaient été amputés et la peau scarifiée pour ressembler à une monstrueuse chenille ou une autre qui avait été forcée dans une cage minuscule avec tous ses membres cassés et repositionnés avec des angles étranges comme ceux d’un crabe. Ceux-là étaient seulement inconscients ou pleuraient de douleur, suppliant d’être achevés afin de mettre un terme à leur misère. Tous les survivants moururent peu après.

Force fut de constater que les malheureux étaient confinés là depuis plusieurs mois, et que leurs existences étaient prolongées uniquement pour leur faire goûter les souffrances qu’une cruauté des plus raffinées pouvait leur infliger.

L’indignation fut à son comble. L’un des hommes, qui s’était précipité pour sauver les esclaves était le juge Jean-François Canonge, quand il interrogea mon maître sur l’état de ses esclaves, il eut pour toute réponse : « — certaines personnes feraient mieux de rester chez elles plutôt que de venir dans les maisons des autres pour dicter des lois et ses mêler de leurs affaires. »

Achille Deveria

Achille Deveria

Jérôme Bayon de l’abeille, témoin de tout cela, publia un compte rendu de l’événement et cita ceux qui avaient découvert le quartier des esclaves LaLaurie. Cet article de journal réveilla l’indignation publique.  D’autres journaux titrèrent « Criminelle et coupable » et « Le démon, dans le corps d’une femme ». Étrangement, Il fut convenu par tous, que Madame LaLaurie, ma maîtresse seule,  était responsable de ces horreurs et que son mari devait savoir, mais avait joué les aveugles. Bien que cela fut incohérent, elle seule catalysait les accusations, la jalousie larvée de tous sembla fondre sur elle comme la foudre. Ne pensez pas que je veuille l’excuser, mais malgré l’horreur, il ne faut pas oublier la justice.

Le lendemain matin de la parution, de nombreux habitants de La Nouvelle-Orléans commencèrent à se rassembler devant le manoir de la rue Royale. Au bout de quelques heures, la foule était si dense qu’il était impossible de se tenir debout sur le trottoir d’en face. Les gens sifflaient et huaient Mme LaLaurie, qui cherchaient à l’apercevoir. Certains demandaient son scalp et d’autres portaient à la main une corde pour la pendre. Au moment de sa promenade quotidienne, Delphine, imperturbable et tout en élégance, comme à son habitude, sortit sur le trottoir, et avec son mari, monta dans sa berline. Leur fidèle cocher, un créole noir, nommé Bastien, sur le siège, hué par la populace, fouetta les chevaux, les mena au grand galop, faisant son chemin hors de la ville. le temps que la foule ne réalise la voiture était trop loin pour être rattrapée.

Frustrés et ivres de rage, les citoyens s’attaquèrent alors au manoir, et tout ce qui pouvait être détruit le fut. Un shérif et ses officiers arrivèrent rapidement sur les lieux pour disperser la foule, mais c’était trop tard. La propriété de la rue Royal avait subi d’importants dommages, et il en restait presque rien que les murs. Quelques jours plus tard, les forces de police, se souvenant de mon histoire, creusèrent la cour de la maison LaLaurie et de nombreux cadavres humains furent exhumés. D’autres furent également découverts dans le parc, dont celui d’un enfant.

Pendant ce temps, mes maîtres atteignirent, le Bayou Saint-Jean, où une goélette les attendait près de la rive, le capitaine fut payé d’une poignée d’or. Mes maîtres se rendirent à Mandeville, sur le lac Pontchartrain, à la maison de Louis Coquillon. Là, ma maîtresse signa un sous seing à un avocat pour donner ses droits à son beau-fils Placide Forstall responsable de ses affaires, tandis que son mari signait un document similaire en faveur d’un autre beau-fils de sa femme, Auguste de Lassus. De Mandeville mes maîtres firent leur chemin jusqu’à Mobile, où un navire les emporta en France.

Ne croyez pas que je les ai laissés en paix… et si elle mourut en France, personne ne peut dire comment, quant à mon maître il fut tout autant puni.

keith Lacour: Lalaurie House / New Orleans

keith Lacour: Lalaurie House / New Orleans

Quant à moi, je m’installai au 1140 rue Royale, avec l’ensemble des victimes de Marie Delphine Macarty, plus connue sous le nom de Delphine LaLaurie. Tous ceux qui prétendirent s’installer dans les lieux reconstruits, n’y restèrent pas longtemps, amplifiants les fantasmes sur la cruauté de mon ancienne maîtresse. Dieu sait, que ce qu’elle avait fait était suffisant, mais que voulez-vous, à croire que l’horreur n’est jamais assez grande, tout du moins pour ceux qui ne l’ont pas subite.

Certains diront que c’est un conte, une histoire qui a gagné en férocité à travers ses innombrables redites et qu’il y a de grandes probabilités pour que l’histoire originale de plus d’un siècle soit devenue avec le temps une grossière exagération. Certains prétendent que ma maîtresse a été la première victime du journalisme à scandale dans ce pays et qu’elle a été diffamée. Il y a ceux qui dénoncent l’exactitude historique, ceux qui prétendent qu’une bonne histoire ne doit jamais être sacrifiée et crucifiée sur la croix de la vérité.

cour

cour

Toujours est-il, qu’il y a quelques années, les nouveaux propriétaires de la maison, en la restaurant, trouvèrent une tombe hâtivement creusée cachée à l’arrière de la maison au-dessous du plancher en bois. Des restes humains avaient été déposés là, sans soin, ni cérémonie et l’enquête, qui fut menée à l’époque, conclut à l’origine récente des corps. Était-ce le cimetière privé de Madame LaLaurie, comme le pensèrent certains, ou un vieux cimetière indien comme le déclara le propriétaire de l’immeuble, dans une tentative désespérée de sauver la réputation des lieux? Marie Delphine LaLaurie avait-elle démonté des sections du plancher de la maison afin d’enterrer rapidement des cadavres et ainsi éviter de sortir et être remarquée ? La découverte des corps explique t’elle le mystère de la disparition fréquente des esclaves de ma maîtresse… reste à savoir combien de victimes celle-ci a bien pu tuer !… Et combien d’elles continuent à errer dans ce monde ?

Tout ceci n’empêche pas les cris perçants, les gémissements et les hurlements lugubres qui retentissent encore dans la maison toutes les nuits.

Notes de l’auteur : j’ai brodé en utilisant plusieurs sources dont la fiabilité n’est pas toujours acquise et selon un parti pris tout en m’appuyant sur l’histoire.

Marquise au portrait

marquise au portrait  de Barbara Lecompte

marquise au portrait de Barbara Lecompte

Quelle délicieuse et envoûtante lecture, écrite au cordeau de la sensibilité. Roman ou biographie, qu’importe, c’est le voile levé sur l’âme de l’artiste, sur l’âme de son art. Quelle découverte enchanteresse ou la précision des mots nous portent vers la compréhension de l’acte créatif, cette recherche sans fin. Quelle joie d’entendre l’écho qui amène et porte l’œuvre finale.

Nul besoin d’en rajouter, mon plaisir fut intense, familier et doux à l’âme.

Franz Von Hierf

« Artiste fier et tourmenté, le pastelliste Maurice Quentin de La Tour, alors au faîte de sa carrière, reçoit une commande d’importance : un portrait de la marquise de Pompadour. La favorite devra patienter cinq ans. Mais qui mieux que ce fou de La Tour pour saisir l’âme de ses modèles ? En témoigne sa galerie de portraits prestigieux, ceux du roi, de la reine, de la dauphine, du maréchal de Saxe mais aussi de ses amis philosophes, Voltaire, Rousseau et d’Alembert.
Caracolant de la cour de Versailles à Paris, Maurice Quentin de La Tour nous emporte dans son sillage, tout en se livrant à une saisissante introspection. »

Avec Marquise au portrait, son troisième roman, Barbara Lecompte revisite la vie et l’œuvre de La Tour. Elle nous dévoile, derrière l’orgueil et la maladresse de l’artiste, la sensibilité et la fragilité qui alimentèrent sa création.

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Marie Laveau, une sorcière pas comme les autres

Ma vie fut comme un lever de soleil de La Nouvelle-Orléans, nimbée de brumes, comme celles qui en volutes, rampant depuis le fleuve, envahissent les rues de la ville  et engloutissent tous ses contours, irradiant confusément l’espace, effaçant du même coup certains détails. Tout était beau, mystérieux, mais qu’est-ce qui était vrai, qu’est-ce qui était faux ? Nul ne le savait. Moi, à peine plus que les autres. Je suis un fantasme, un rêve pour la plupart des gens, mais qu’y puis-je ? Je suis et je n’ai pas vraiment fait exprès.

La Fille Quadroon par Robert Gavin

La Fille Quadroon par Robert Gavin

Mon arrière-grand-mère prénommée Marguerite par son maître était arrivée du Sénégal à bord d’un navire négrier, le « Saint-Ursin ». Elle avait miraculeusement survécu à ce terrible et effroyable voyage à bord de l’un de ces tombeaux flottants, un cauchemar qui valait l’enfer. Elle fut vendue à peine arrivée à La Nouvelle-Orléans au créole Henry Roche-Belaire. L’acte de vente commençait par : « en cette année 1743, le maître-cordonnier, Henry Roche-Belaire, achète une négresse d’environ sept années qu’il dénomme Marguerite… ». Cet artisan vivait à l’orée de la ville comme beaucoup de ces corps de métier, laissant près du port les demeures des armateurs et des riches créoles. Son maître n’était pas riche, il avait pu l’acquérir, car elle était chétive et que son encanteur pensait qu’elle avait peu de temps devant elle. C’était peu connaître le désir rageur de vivre de toutes les femmes de ma famille. Comme son maître n’avait point de femme en son foyer, elle fit dès son plus jeune âge toutes les taches inhérentes à l’entretien de la maison et des soins domestiques. Quand vint une maîtresse, ses taches n’en furent guère allégées, elle continua son labeur journalier. Elle rêva longtemps de son pays d’origine et berça d’histoires de ses ancêtres sa fille Catherine qui vint au monde une dizaine d’années plus tard. Son père était Jean Belaire, l’autre esclave du maître.

boilly (la famille africaine

boilly (la famille africaine

Ma grand-mère Catherine était fort belle, même si sa peau était encore foncée. À peine pubère, elle fut violentée par son maître, elle eut un premier enfant prénommé Marguerite puis deux autres Catherine et Joseph. Il se lassa d’elle comme il s’était lassé de sa femme, comme il avait quelques problèmes d’argent, il la vendit. Avec déchirement, elle dut laisser ses enfants et subir pendant encore plusieurs années, trois autres maîtres, le dernier l’émancipa. Entre-temps, ses enfants avaient eux aussi été émancipés par leur  maître et père. Ma grand-mère prit le jour de son émancipation le nom d’Henry, patronyme de son premier maître et le père de ses enfants, elle voulait avoir le même nom que celui de ses enfants. On sut jamais vraiment comment, mais elle aménagea avec ses trois enfants dans une maison sans prétention de la rue Sainte-Anne. Il s’avéra toutefois qu’elle en avait la possession.

Marguerite, sa fille aînée, était encore plus belle que sa mère et sa grand-mère, peut être par ce que sa peau était plus blanche, elle avait la couleur de l’ambre. Malgré son jeune âge, elle faisait déjà tourner les têtes, sa mère décida de profiter de cet atout, elle se démena pour que Marguerite puisse être présentée au « bal du cordon-bleu », qui se tenait huit ou dix fois l’an, et où se négociaient des liaisons avec de riches créoles blancs, auprès des parents des jeunes filles, moyennant de substantiels dédommagements. Elles devenaient alors des placées. Évidemment, cela vous choque peut-être, mais ces mariages de la main gauche avaient fini par donner lieu, chez les Créoles blancs et de couleurs, à une subtile hiérarchie fondée sur la proportion supposée du mélange sanguin. Pour nous, créoles de couleurs, plus nous gravitions les marches de cette hiérarchie, plus nous nous éloignons de l’esclavage, ma grand-mère économisa donc et confectionna à celle qui allait être ma mère, une belle robe de soie blanche qui mettait sa carnation en valeur.

scott burdick

scott burdick

Marguerite devint la placée d’Henri Darcantel, un planteur de Saint-Domingue, qui lui donna une maison et une fille Marie-Louise, avant que de disparaître ruiné. Il était fou de Marguerite, il avait décidé de refaire fortune et avait pris un navire, mais il oublia de lui dire, l’orgueil du mâle sans doute. La belle Quarteronne, qu’était ma mère, prise au dépourvu resta désemparée, jusqu’au moment où Charles Laveau, un homme de couleur libre de belle prestance, propriétaire d’une épicerie, décida de la consoler. Il la fit rêver, prétendit être le fils de Charles Laveau Trudeau, arpenteur-général de Louisiane et l’abandonna dès qu’il obtint ce qu’il voulait. Il lui laissa comme souvenir une fille qu’elle prénomma Marie, c’était moi. Cette année là, la France récupérait la Louisiane, pour la dernière fois elle devenait française. Certains toutefois prétendirent que j’étais née sept ans plus tôt comme si je n’avais pas vécu assez longtemps.

Enfin, par chance, ma mère vit revenir Henri Darcantel, fortune refaite, qui, toujours épris d’elle, lui pardonna ma naissance à condition de m’éloigner, et lui prouva sa magnanimité en lui donnant deux autres enfants, ma sœur Marguerite et mon frère Antoine. Ma mère, le cœur serré, me confia à sa mère, ma grand-mère Catherine qui m’éleva. Ce n’était qu’à deux rues, puisque ma mère habitait de l’autre côté de la rue des Remparts dans le nouveau faubourg Tremé, mais cela semblait le bout du monde.

faubourg Tremé

faubourg Tremé

Je me suis consolée de cet abandon, persuadée d’être la fille d’un riche planteur. Personne ne me contraria, ni ma mère ni ma grand-mère. En grandissant, je devins, paraît-il, encore plus belle que ma mère, ce qui était peu dire. J’étais de grande stature, les cheveux noirs ondulés, que je cachai toujours dans un tignon savamment noué, l’œil d’un vert limpide qui ne cillait guère, le teint à peine mat. Ma grand-mère Catherine m’éduqua avec soin, avec beaucoup de religion, et me fit fréquenter assidûment la Cathédrale de Saint-Louis. J’allais à l’école chez les Ursulines où comme beaucoup de jeunes filles créoles de couleurs, je reçus une éducation exemplaire. J’aidai ma grand-mère auprès des indigents, qu’elle soignait à l’aide de décoctions et d’onguents fabriqués par ses soins et qu’elle nourrissait à l’occasion.

hayez susannah at her bath

hayez susannah at her bath

Ce fut à la cathédrale Saint-Louis, qu’un dimanche, je rencontrai celui qui pour la première fois fit battre mon cœur, Jacques Paris, un quarteron libre, charpentier de son état et venant de Saint-Domingue. Ma mère m’envisageait un meilleur avenir, et aurait voulu faire de moi une placée puisque cela lui avait réussi, mais ma grand-mère Catherine ne voulut rien entendre, elle estimait qu’il était temps pour notre famille de sortir du rang, aussi Jacques Paris fut agréé par ma grand-mère et par moi-même. Le père Antonio de Sedella nous maria.

Le nouveau mari, qu’était mon Jacques,  était arrivé dans le flux des nouveaux immigrants venus de Saint-Domingue et qui se composaient de planteurs blancs et de milliers d’esclaves ainsi que de gens de couleur libres. Il avait rapporté des connaissances qui venaient de la terre de ses ancêtres. C’étaient des pratiques religieuses et magiques venues d’Afrique associées au culte catholique, les nouveaux arrivants qui fuyaient les révoltes d’esclaves, nommaient cette religion le Vaudou. Je fus tout d’abord rétive, car elle m’inquiétait, ce qui faisait rire mon mari, puis quand je me rendis compte qu’elles pouvaient m’aider, notamment à soigner les différents maux des indigents que je continuai à soigner avec ma grand-mère, j’appris vite.

marché de Saint Domingue 1770s

marché de Saint Domingue 1770s

Mon mariage commença sous les meilleurs auspices, il me donna deux filles Marie-Angelie et Félicité puis il tourna mal. Jacques était d’un naturel autoritaire et malgré mon jeune âge, je ne m’en laissais pas compter. D’après ma grand-mère Catherine, j’avais de qui tenir, je pouvais paraître effrontée tant j’avais d’assurance, disons le: j’avais du caractère. Le tournant inattendu vint de mon mari lui-même. Il m’emmena un dimanche sur la place Congo où la ville de La Nouvelle-Orléans venait d’autoriser la pratique du culte Vaudou, pour être exact les autorités avaient autorisé les nègres, les esclaves donc, à se rassembler pour danser et chanter, sans vraiment savoir ce qu’ils faisaient réellement. La place était un vaste pré entouré de piquets et de palissades, au nord du quartier français, au centre du nouveau faubourg Tremé, celui de ma mère. Si les créoles blancs n’y rentraient pas, ce contentant de reluquer de loin ce qu’il prenait pour un spectacle primitif et pour certain érotique, les créoles de couleurs, eux, bien que se sentant nettement supérieurs aux nègres, pénétraient à l’intérieur conscient de ce qui s’y passait. J’avoue ne pas avoir été à l’aise sur l’instant, tant j’avais été élevée dans le but de m’éloigner de la condition de la plupart des nègres qui déambulaient dans l’espace et qui amenaient une promiscuité non désirée. J’avançais ramenant ma jupe vers moi pour qu’elle ne touchât point les êtres que je croisai, je me détendis lorsque je reconnus quelques indigents que je soignai avec ma grand-mère. Dès ma première visite, le destin s’annonça. La vieille prêtresse du culte, Sanité Dédé, officiait au son des tambours et des danseuses, elle en appelait aux Loas. Quand le sacrifice du coq fut fini, ses yeux se révulsèrent, elle se tourna vers moi, et d’une voix rauque, elle prédit « — tu seras à Erzulie, et tu seras la plus grande. » Je sursautai à l’annonce et, entraînant mon mari, je quittai les lieux, le cœur trépidant. Deux jours plus tard, la Sanité Dédé était devant ma porte et suite à cette visite, je fréquentai les premiers lieux de rassemblement vaudou au Bayou de Saint-Jean et aux abords du lac Pontchartrain. Si je fus tout d’abord réticente, je fus ensuite empli de ces connaissances, mes dons se révélèrent et s’amplifièrent. Mais ces dons me firent voir ce que mon mari n’avait pas prévu, ce furent ses multiples conquêtes qui entraînèrent de multiples disputes lors desquelles Jacques s’avéra violent ce que je ne pus tolérer.

Un matin, j’annonçai au voisin que Jacques était reparti à Saint-Domingue. Les regards suspicieux se tournèrent alors vers moi et de sordides rumeurs commencèrent à se propager. Si certains pensaient que Jacques avait, tout simplement, fui ses responsabilités et qu’il était effectivement retourné dans son pays d’origine, d’autres affirmaient que moi, loin d’être une femme soumise, je m’en étais débarrassé. Il se disait partout que mes nouveaux pouvoirs m’avaient servi dans cette étrange disparition. Ils avaient raison.

Devenue veuve, je devins pour tous la veuve Paris et je retournai avec mes filles rue Sainte-Anne chez ma grand-mère Catherine, et comme il fallait bien vivre je commençai à coiffer les riches créoles blanches. Ma première cliente, ce qui plus tard fit jaser, fut Delphine LaLaurie. Contente de mes services, elle le fit savoir.

Ma notoriété devint de plus en plus grande et les dames créoles faisaient de plus en plus appel à moi autant pour mes mains expertes pour les coiffer que pour pouvoir me confier leurs secrets et leurs peines de cœur. Je savais écouter et entendre leur désir. Elles espéraient, bien évidemment, qu’étant devenue une prêtresse de mon culte, j’userais de mes pouvoirs occultes pour les aider à résoudre leurs problèmes personnels. Je ne les contrariai pas, voire je les satisfaisais.

QUARTERONNE

QUARTERONNE

Ce fut à cette période, je n’avais pas vingt ans, que je gagnai sans le vouloir ma renommée en utilisant mes dons pour faire acquitter un jeune homme accusé de meurtre. Un riche créole, en plein désarroi, était venu me voir afin de me demander de l’aide pour son fils. Le jeune homme avait été arrêté pour un meurtre qu’il n’avait pas commis, du moins ce qui me fut certifié, et étant sur le point d’être jugé, aucun doute n’était permis quant au sort qui l’attendait.Le père me promit de m’offrir une maison si je réussissais à sauver son fils. Certains affirmèrent que, la nuit qui précéda le procès, je me rendis à la cathédrale Saint-Louis pour prier, avec trois piments de Guinée dans la bouche que je déposai, le lendemain matin, sous la chaise du juge qui, à la stupeur générale, disculpa l’accusé. D’autres que j’aurai, en réalité, menacé un témoin qui craignait particulièrement la magie noire, influençant ainsi le verdict, bien évidemment, c’était un peu des deux, ou peut être autre chose, quant à la maison que j’avais soi-disant reçue en gage, elle appartenait déjà à ma grand-mère Catherine qui l’avait achetée bien avant ma naissance.

À partir de cette histoire, beaucoup prétendirent que je pouvais transformer leurs désirs en réalité, ce que je ne démentais pas, car au fil du temps les subsides que je retirai de tout ceci étaient plus importants que ceux de la coiffure. Bien sûr, j’écoutais leurs confidences et fabriquais de petits gris-gris, des talismans, des amulettes ou des philtres d’amour en fonction de leurs requêtes. Chargés de pouvoirs maléfiques ou bénéfiques, les gris-gris étaient constitués d’entrailles de poulet ébouillanté, d’excréments canins, de sel, de poudre noire, de safran, d’herbes aromatiques ou vénéneuses, parfois d’eau bénite et, devaient être placés dans l’oreiller de la personne à influencer. Comme il arrivait, bien évidemment, qu’un souhait se réalise de temps à autre, et plus souvent que ne le pense les septiques, ma réputation de sorcière Vaudou s’étaya au fil des années et avec elle ma fortune. Évidemment, les mauvaises langues ou simplement ceux qui étaient trop cartésiens pour croire à mes dons prétendaient, que je soudoyais les domestiques des maisons afin d’obtenir divers renseignements, comme s’il fallait payer pour faire parler les domestiques, et je n’avais pas besoin d’eux pour recevoir des confidences, tout le monde parlait sur tout le monde et ceci sous le sceau du secret. Mais il est plus facile de douter et de remettre en question ce que l’on ne comprend pas. Toujours est-il qu’au fil du temps je me mis à jouir d’une certaine influence, ainsi que d’une extraordinaire réputation de voyante. C’est aussi année-là, qu’à sa demande, je remplaçai, la vieille prêtresse Sanité Dédé, je devins la plus grande Mambo de Louisiane. Évidemment, mille bruits coururent prétendant que j’avais ensorcelé les autres prétendantes au point de les anémier.

Est-ce mon nouveau pouvoir, ma beauté qui suscitait bien des jalousies, mes dons dont certains doutaient, toujours est-il que plus d’un ragot circulait à mon sujet les uns plus extravagants que les autres.

Marie Laveau et grand Zombi

Marie Laveau et grand Zombi

Les uns soutenaient que dans ma maison de la rue Sainte-Anne, un chat noir et un coq au plumage doré me tenaient compagnie et que j’hébergeais aussi un serpent de trois mètres, nommé Grand Zombi, ce n’était pas faux. Ce dernier n’était toutefois pas aussi grand, il m’avait sauvé la vie alors que je cueillais des herbes aux alentours de la ville, il foudroya un de ses congénères deux fois plus grand. Pour le remercier, je l’adoptai, il reposait habituellement dans un vase d’albâtre qui trônait dans ma maison. À l’une de mes clientes qui s’extasiait au sujet du vase, après avoir sursauté devant le grand Zombi, qui de nature curieuse en était sorti, je prétendis qu’il m’était un jour tombé du ciel. Évidemment, ce qui m’amusa ce fut les ouï-dire qui enflèrent, au point qu’un jour j’en rajoutai. Après avoir prétendu que mon vase était tombé du ciel, je soutins qu’il m’avait été offert par le duc d’Orléans, qui devint le roi Louis-Philippe de France. Mais comme les gens croient le plus invraisemblable, personne ne réalisa que j’avais à peu près quatre ans quand le futur souverain avait visité notre ville, cela ne les empêcha pas de répéter cette ineptie. J’assurais aussi que le marquis de La Fayette avait voulu faire ma connaissance lors de son séjour à La Nouvelle-Orléans, et qu’il m’avait affectueusement embrassée. En fait, il n’a jamais voulu m’embrasser et ne fut guère content de ce que je lui prédis, malheureusement pour lui je ne me suis pas trompé.

Enfin, une chose était sûre, je n’utilisai pas mes dons que pour satisfaire les riches Créoles. Je continuai à porter fréquemment secours aux indigents et proposai régulièrement mes services pour m’occuper des blessés de guerre et des malades lors des épidémies de fièvre jaune et de choléra fort courant dans notre ville. Issue d’une longue lignée de guérisseuses, je tenais de ma grand-mère Catherine le secret des herbes curatives et je travaillais sans relâche, soignant les corps autant que les esprits. J’en apprenais encore plus par les Indiennes que je recueillais dans la cour de ma maison et qui en échange de cet hébergement m’expliquaient leurs recettes. Mes remèdes étaient bien plus efficaces que ceux de la médecine traditionnelle, j’étais réputée pour sauver beaucoup de vie, aussi faisait-on souvent appel à moi. Mais tout ceci ne fait pas rêver, alors comme si ma magie ne suffisait pas, les on-dit en rajoutaient.

LE SQUARE CONGO

LE SQUARE CONGO

Lors des nuits de pleine lune, en un lieu isolé au bord du lac Pontchartrain, car la place Congo sous le regard des créoles blancs ne suffisait pas, j’officiais. Les cérémonies d’initiation se déroulaient sous ma présidence enlacée de mon bienfaiteur, mon serpent Grand-Zombi. Un peu de décorum aide à la croyance. À l’intérieur d’un cercle tracé sur le sol avec du sel se succédaient des danses frénétiques, rythmées par des tam-tams, des transes, des flagellations, des cris, etc… l’alcool, tafia et rhum amplifiait la libération des esprits. Erzulie, le Baron Samedi et ses Gédés alors me visitaient et à la stupeur de beaucoup j’annonçai bien des vérités à venir.

La rumeur affirmait qu’en plus je frayais avec les crocodiles et que je parlais à Lucifer en personne. Buvant du sang frais, préparant d’horribles breuvages écœurants, je dansais, à la lueur des flammes, au milieu de sorcières secouées par le démon et possédées par l’esprit du Grand Zombi, comme quoi l’ignorance et la peur qui en suinte sont la porte de tous les fantasmes. Il faut dire que si l’on en croyait mes adeptes d’alors, une croix tracée avec du sel sur le seuil de celui ou de celle à qui l’on veut du mal engendrait troubles et insomnies, une pièce de 10 cents portée à la cheville protégeait du mauvais sort et s’enduire les seins d’une certaine crème dont je gardais le secret paraît les plus plates des femmes d’irrésistibles attraits. Le merveilleux de tout temps aide à vivre.

Si j’étais respectée pour mes dons de guérisseuses et pour mon fabuleux sens des affaires, j’étais également crainte. Outre les soupçons d’empoisonneuse qui pesaient sur moi, mes pratiques Vaudous me valaient une sulfureuse réputation.

voodoo-dance-1885-granger

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Avec tout ça, cinq années s’étaient passées depuis la mort de Jacques Paris quand je croisais la route de Christophe Duminy de Glapion qui faisait parti des Dragons, un régiment de cavalerie de Louisiane. Il était blanc, originaire de Louisiane, et issu d’une famille de la noblesse française. J’étais si amoureuse que j’acceptais d’être sa placée, ce qui me restait de sang noir ne nous laissait guère de choix. Cela ne nous satisfit pas, alors pour pouvoir nous marier, mon cher et tendre utilisa un audacieux stratagème, il se fit passer pour un homme de couleur. Un mensonge de plus ou de moins dans ma vie ne changeait pas grand-chose, si ce n’est que personne ne si retrouvait, aussi on nous laissa faire. Les plus pragmatiques jurèrent que ce n’était que faribole, et alors ?

De plus, on ne refusait rien à Marie Laveau et que personne ne sut jamais ce qu’il était advenu de mon précédent mari ne m’empêcha pas d’obtenir enfin , sans acte d’inhumation, un certificat de décès au nom de Jacques Paris. Suite à cela, j’épousai Christophe Duminy de Glapion. Je fus heureuse comme nulle femme n’a pu l’être. Le bonheur et la prospérité s’installèrent dans ma vie , j’acquis deux esclaves et Marie-Héloïse Euchariste, Marie-Louise, Marie-Philomene et Archange vinrent agrandir ma famille. Mais, notoriété oblige, comme si cela ne suffisait pas, la rumeur prétendit que j’avais eu 15 enfants dont certains furent dénommés Paris du nom de mon défunt mari et d’autres qui reçurent le nom de Glapion. Lorsque l’on demanda à l’une de mes filles combien j’avais eu d’enfants, elle répondit en français quinze enfants et petits enfants, mais l’anglo-saxon qui l‘avait questionné ne comprit pas la subtilité et comme il était journaliste cela entra dans ma postérité.

Marie Laveau

Marie Laveau

Mais tout ceci ne fut pas le plus absurde, de nombreuses rumeurs rapportèrent que j’avais eu un enfant diabolique et que j’avais aidé Delphine LaLaurie à en concevoir un. En fait, j’avais donné naissance à six filles, ce qui ne convenait guère à mon mari qui souhaitait désespérément un fils, aussi lorsque je suis tombée enceinte pour la septième fois, j’ai demandé l’intervention de l’une de mes amies, adepte du Vaudou tout comme moi. On prétendit qu’elle ne n’aimait guère et qu’elle aurait lancé une terrible malédiction sur l’enfant à naître : « si c’était un garçon il serait le fils du Diable ». Apparemment, d’après la légende, elle aurait obtenu satisfaction. À sa naissance, le pauvre enfant aurait présenté des cornes, des yeux rouges, des sabots, des griffes et une queue. Diabolique, il aurait fréquemment tenté de me mordre ainsi que ses sœurs, et l’on disait même qu’il dévorait les nourrissons du voisinage. Pour interrompre tout cela, il semblerait que j’ai fini par l’étrangler de mes propres mains une nuit où il faisait ses dents. Une autre version de cette même histoire affirmait que je l’avais enfermé au grenier et qu’il aurait été retrouvé mort et momifié lorsque ma maison s’était effondrée, je vous rappelle que ma maison est encore debout. Enfin depuis, l’enfant maléfique errerait dans les rues. Une dernière racontait que j’avais décidé de castrer mon diabolique bébé, car je ne voulais pas permettre à quelque chose d’aussi mauvais de se reproduire, cette assertion était crédible. Mais comme rien n’est simple, alors que je lui jetais un très puissant sortilège vaudou, ses deux testicules ensanglantés seraient tombés sur le sol et se seraient transformés immédiatement en deux entités démoniaques qui m’auraient aussitôt attaqué me tuant presque. Terrifiée, je me serai alors débattue, mais aurai fini par m’évanouir de douleur et quand je repris mes esprits, l’enfant du Diable aurait disparu. Pour finir, l’on disait également que je fréquentai Delphine LaLaurie, que je l’avais initiée aux secrets de la sorcellerie et du Vaudou, et que nous étions très liées, c’était mal me connaître. J’aurai aidé Delphine et son mari à concevoir un enfant diabolique dont je serai devenue la nourrice par la suite, le nourrissant d’absinthe et de sang de chèvres. Au moment de sa fuite, Delphine aurait abandonné l’enfant qui depuis hanterait La Nouvelle-Orléans.

La vérité fut simple, je fis une fausse couche et lorsque sur ma route se présenta un petit orphelin de sept ans, sans hésitation je l’adoptai et le ramenai dans ma maison, mais c’était moins en accord avec ma réputation.

Malheureusement, mon bonheur fut de courte durée, le temps du bonheur est toujours trop court, vingt ans plus tard, Christophe mourut brutalement, dans de soi-disant circonstances obscures.

Marie Laveau

Marie Laveau

Mais la vie continue, j’étais rapidement devenue une femme influente. Des gens venaient de toute la Louisiane pour me consulter et l’on m’attribuait tous les pouvoirs. Les notables et les diverses personnalités politiques de La Nouvelle-Orléans firent partie de ma clientèle. Je fus aussi une redoutable femme d’affaires, je n’avais guère le choix, 6 filles et leur famille en plus de grand-mère Catherine à nourrir. Parmi mes relations d’affaires, je fréquentai des personnalités louisianaises telles que Rosette Rochon, fille d’un riche planteur et armateur de Mobile et d’une esclave, une créole de couleur tout comme moi qui avais fort bien réussie après avoir hérité de son père, l’ancien pirate contrebandier Jean Lafitte, le spéculateur immobilier Laurent Ursain Guesnon et le chef de la communauté noire Jean-Louis Dolliole.

Ce fut à cette période que, ma fille, Marie-Philomène et moi-même avons fait construire sur les bords du lac Pontchartrain « La Maison-Blanche » et que sans le vouloir, enfin pas vraiment, nous avons créé mon éternelle jeunesse, mon éternité. Le temps étant venu où la fatigue de l’âge me prenait de tant à autres, bien qu’il ne semblait pas avoir de prise sur moi, je déléguai à ma fille Marie Philomène les cérémonies dans les bayous par trop éprouvante pour moi, désormais. Elle me ressemblait tellement que certain croyaient que j’avais le don d’ubiquité, on nous prenait pour des jumelles, cela explique peut-être pourquoi une fois morte, certains crurent me croiser, à moins qu’ils m’aient vraiment vu, qui peut savoir? Enfin c’est cette caractéristique qui nous donna l’idée. Ma fille fut à l’origine de nombreux philtres, potions et élixirs et si elle prenait très au sérieux son rôle de prêtresse, elle vendait également des billets aux curieux  « amateurs de sensations fortes » qui demandaient à assister aux cérémonies, il n’y a pas de petits profits. Marie Philomène allait d’ailleurs acquérir une renommée presque aussi grande que la mienne dans la pratique du Vaudou, si ce n’est que l’on croyait toujours que c’était moi. Notre ressemblance était si impressionnante que cela fit croire à ma jeunesse éternelle, ce qui ma foi n’est pas désagréable.

Enfin en dehors de ce compliment, un autre ragot se propagea. On me dit propriétaire d’une maison close, dans laquelle ma fille et moi organisions des parties fines pour de riches hommes blancs de La Nouvelle-Orléans et des cérémonies secrètes. L’on y dansait avec de jeunes beautés noires, complètement nues, choisies par moi-même, l’on y buvait beaucoup aussi, la fête se terminait en orgie. Je ne participais à rien, encore heureux. Il paraîtrait que je me contentais de regarder tout en me balançant dans mon rocking-chair placé à l’angle de la pièce. Il y a du vrai, bien sûr, en fait de maison close, c’était une maison agréable avec vue sur le lac, ou j’officiais avec mes prêtresses, des femmes plus ou moins jeunes, mais toutes quarteronnes, ce qui alimentait les fantasmes et comme on prenait très au sérieux mon jugement quand il s’agissait de faire les contrats de nos futures placées, je servais d’entremetteuse entre nos filles et les riches créoles, j’étais arrivée à un âge où je servais de marraine au bal des quarteronnes.

Jean-Pierre Ulrick (Marie Laveau

Jean-Pierre Ulrick (Marie Laveau

On me prêta d’autres dons. J’avais en horreur les exécutions publiques, aussi je visitais fréquemment les condamnés à mort afin de leur apporter quelques réconforts, l’on raconte qu’un jour, émue par l’histoire de deux accusés, je leur assurai qu’ils ne seraient pas pendus. Le moment venu, lorsque le bourreau poussa la trappe, les deux cordes attachées autour du cou des condamnés cassèrent au même moment. Tout le monde supposa, bien évidemment, que les cordes s’étaient cassées sous ma volonté de grande prêtresse. En constatant cela, le bourreau, craignant l’étendue de mes pouvoirs, décida d’exécuter les criminels suivants en huit clos. Comme quoi ma réputation sulfureuse avait quelques avantages.

une autre anecdote raconte que visitant Antoine Cambre, condamné à la peine capitale, un homme qui se montrait terrifié à l’idée du gibet, je lui apportai un filé gombo de ma confection afin de le consoler. Le lendemain, le malheureux était retrouvé mort dans sa cellule, mais il avait au moins réussi à échapper au supplice tant redouté. Ainsi grandit encore ma légende.
À cette même période, soit vingt ans après la mort de mon époux, je perdis pour ainsi dire tous mes biens, la maison blanche au bord du lac fut emportée lors d’une terrible tempête, ma maison de la rue Sainte-Anne fut saisie pour dette, je fus toutefois autorisée à y rester grâce à la générosité d’un ami qui la racheta. Moi, mes filles et mes petits enfants y séjournèrent jusqu’à la fin de ma vie qui fut encore longue et encore pleine d’étrangeté.

Ceux qui passaient devant ma maison entourée d’une frêle et haute clôture au-dessus de laquelle un arbre ou deux était visible, ne remarquaient pas, par la porte ouverte, la vieille dame décrépite aux cheveux neigeux, au sourire paisible et dont les traits étaient éclairés de contentement. Ils n’auraient pu croire que c’était la terrible Marie Laveau, d’autant que c’était une de mes petites-filles qui avait repris la place de reine du vaudou.

Un mercredi, je sombrais dans le sommeil, qui ne connaît pas de réveil. Ceux avec qui j’étais lié d’amitié s’entassèrent dans la petite chambre où j’étais exposée, à leur surprise celle qui avait été si bonne avec eux souriait même dans la mort.

Je mourus donc le 16 juin 1881, le lendemain, les journaux de La Nouvelle-Orléans annoncèrent que le corps décapité de Marie Laveau avait été découvert au sommet de la tour de sa propre maison. Comme quoi rien n’empêche les gens de rêver aux mystères de la vie.

Je fus enterrée avec ma tête au cimetière de Saint-Louis de La Nouvelle-Orléans.

Ne cherchez pas ce qui est vrai ou faux, prenez ce qui vous amuse, moi j’ai vécu plus de 80 ans, croyez-moi, c’était bien suffisant. AH… AH… AH…

 

Marie Laveau, fille de Marguerite Darcantel, petite-fille de Catherine Henri, arrière-petite-fille de Marguerite…

Notes de l’auteur : j’ai brodé en utilisant plusieurs sources dont la fiabilité n’est pas toujours acquise et selon un parti pris tout en m’appuyant sur l’histoire.