Marie Laveau, une sorcière pas comme les autres

Ma vie fut comme un lever de soleil de La Nouvelle-Orléans, nimbée de brumes, comme celles qui en volutes, rampant depuis le fleuve, envahissent les rues de la ville  et engloutissent tous ses contours, irradiant confusément l’espace, effaçant du même coup certains détails. Tout était beau, mystérieux, mais qu’est-ce qui était vrai, qu’est-ce qui était faux ? Nul ne le savait. Moi, à peine plus que les autres. Je suis un fantasme, un rêve pour la plupart des gens, mais qu’y puis-je ? Je suis et je n’ai pas vraiment fait exprès.

La Fille Quadroon par Robert Gavin

La Fille Quadroon par Robert Gavin

Mon arrière-grand-mère prénommée Marguerite par son maître était arrivée du Sénégal à bord d’un navire négrier, le « Saint-Ursin ». Elle avait miraculeusement survécu à ce terrible et effroyable voyage à bord de l’un de ces tombeaux flottants, un cauchemar qui valait l’enfer. Elle fut vendue à peine arrivée à La Nouvelle-Orléans au créole Henry Roche-Belaire. L’acte de vente commençait par : « en cette année 1743, le maître-cordonnier, Henry Roche-Belaire, achète une négresse d’environ sept années qu’il dénomme Marguerite… ». Cet artisan vivait à l’orée de la ville comme beaucoup de ces corps de métier, laissant près du port les demeures des armateurs et des riches créoles. Son maître n’était pas riche, il avait pu l’acquérir, car elle était chétive et que son encanteur pensait qu’elle avait peu de temps devant elle. C’était peu connaître le désir rageur de vivre de toutes les femmes de ma famille. Comme son maître n’avait point de femme en son foyer, elle fit dès son plus jeune âge toutes les taches inhérentes à l’entretien de la maison et des soins domestiques. Quand vint une maîtresse, ses taches n’en furent guère allégées, elle continua son labeur journalier. Elle rêva longtemps de son pays d’origine et berça d’histoires de ses ancêtres sa fille Catherine qui vint au monde une dizaine d’années plus tard. Son père était Jean Belaire, l’autre esclave du maître.

boilly (la famille africaine

boilly (la famille africaine

Ma grand-mère Catherine était fort belle, même si sa peau était encore foncée. À peine pubère, elle fut violentée par son maître, elle eut un premier enfant prénommé Marguerite puis deux autres Catherine et Joseph. Il se lassa d’elle comme il s’était lassé de sa femme, comme il avait quelques problèmes d’argent, il la vendit. Avec déchirement, elle dut laisser ses enfants et subir pendant encore plusieurs années, trois autres maîtres, le dernier l’émancipa. Entre-temps, ses enfants avaient eux aussi été émancipés par leur  maître et père. Ma grand-mère prit le jour de son émancipation le nom d’Henry, patronyme de son premier maître et le père de ses enfants, elle voulait avoir le même nom que celui de ses enfants. On sut jamais vraiment comment, mais elle aménagea avec ses trois enfants dans une maison sans prétention de la rue Sainte-Anne. Il s’avéra toutefois qu’elle en avait la possession.

Marguerite, sa fille aînée, était encore plus belle que sa mère et sa grand-mère, peut être par ce que sa peau était plus blanche, elle avait la couleur de l’ambre. Malgré son jeune âge, elle faisait déjà tourner les têtes, sa mère décida de profiter de cet atout, elle se démena pour que Marguerite puisse être présentée au « bal du cordon-bleu », qui se tenait huit ou dix fois l’an, et où se négociaient des liaisons avec de riches créoles blancs, auprès des parents des jeunes filles, moyennant de substantiels dédommagements. Elles devenaient alors des placées. Évidemment, cela vous choque peut-être, mais ces mariages de la main gauche avaient fini par donner lieu, chez les Créoles blancs et de couleurs, à une subtile hiérarchie fondée sur la proportion supposée du mélange sanguin. Pour nous, créoles de couleurs, plus nous gravitions les marches de cette hiérarchie, plus nous nous éloignons de l’esclavage, ma grand-mère économisa donc et confectionna à celle qui allait être ma mère, une belle robe de soie blanche qui mettait sa carnation en valeur.

scott burdick

scott burdick

Marguerite devint la placée d’Henri Darcantel, un planteur de Saint-Domingue, qui lui donna une maison et une fille Marie-Louise, avant que de disparaître ruiné. Il était fou de Marguerite, il avait décidé de refaire fortune et avait pris un navire, mais il oublia de lui dire, l’orgueil du mâle sans doute. La belle Quarteronne, qu’était ma mère, prise au dépourvu resta désemparée, jusqu’au moment où Charles Laveau, un homme de couleur libre de belle prestance, propriétaire d’une épicerie, décida de la consoler. Il la fit rêver, prétendit être le fils de Charles Laveau Trudeau, arpenteur-général de Louisiane et l’abandonna dès qu’il obtint ce qu’il voulait. Il lui laissa comme souvenir une fille qu’elle prénomma Marie, c’était moi. Cette année là, la France récupérait la Louisiane, pour la dernière fois elle devenait française. Certains toutefois prétendirent que j’étais née sept ans plus tôt comme si je n’avais pas vécu assez longtemps.

Enfin, par chance, ma mère vit revenir Henri Darcantel, fortune refaite, qui, toujours épris d’elle, lui pardonna ma naissance à condition de m’éloigner, et lui prouva sa magnanimité en lui donnant deux autres enfants, ma sœur Marguerite et mon frère Antoine. Ma mère, le cœur serré, me confia à sa mère, ma grand-mère Catherine qui m’éleva. Ce n’était qu’à deux rues, puisque ma mère habitait de l’autre côté de la rue des Remparts dans le nouveau faubourg Tremé, mais cela semblait le bout du monde.

faubourg Tremé

faubourg Tremé

Je me suis consolée de cet abandon, persuadée d’être la fille d’un riche planteur. Personne ne me contraria, ni ma mère ni ma grand-mère. En grandissant, je devins, paraît-il, encore plus belle que ma mère, ce qui était peu dire. J’étais de grande stature, les cheveux noirs ondulés, que je cachai toujours dans un tignon savamment noué, l’œil d’un vert limpide qui ne cillait guère, le teint à peine mat. Ma grand-mère Catherine m’éduqua avec soin, avec beaucoup de religion, et me fit fréquenter assidûment la Cathédrale de Saint-Louis. J’allais à l’école chez les Ursulines où comme beaucoup de jeunes filles créoles de couleurs, je reçus une éducation exemplaire. J’aidai ma grand-mère auprès des indigents, qu’elle soignait à l’aide de décoctions et d’onguents fabriqués par ses soins et qu’elle nourrissait à l’occasion.

hayez susannah at her bath

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Ce fut à la cathédrale Saint-Louis, qu’un dimanche, je rencontrai celui qui pour la première fois fit battre mon cœur, Jacques Paris, un quarteron libre, charpentier de son état et venant de Saint-Domingue. Ma mère m’envisageait un meilleur avenir, et aurait voulu faire de moi une placée puisque cela lui avait réussi, mais ma grand-mère Catherine ne voulut rien entendre, elle estimait qu’il était temps pour notre famille de sortir du rang, aussi Jacques Paris fut agréé par ma grand-mère et par moi-même. Le père Antonio de Sedella nous maria.

Le nouveau mari, qu’était mon Jacques,  était arrivé dans le flux des nouveaux immigrants venus de Saint-Domingue et qui se composaient de planteurs blancs et de milliers d’esclaves ainsi que de gens de couleur libres. Il avait rapporté des connaissances qui venaient de la terre de ses ancêtres. C’étaient des pratiques religieuses et magiques venues d’Afrique associées au culte catholique, les nouveaux arrivants qui fuyaient les révoltes d’esclaves, nommaient cette religion le Vaudou. Je fus tout d’abord rétive, car elle m’inquiétait, ce qui faisait rire mon mari, puis quand je me rendis compte qu’elles pouvaient m’aider, notamment à soigner les différents maux des indigents que je continuai à soigner avec ma grand-mère, j’appris vite.

marché de Saint Domingue 1770s

marché de Saint Domingue 1770s

Mon mariage commença sous les meilleurs auspices, il me donna deux filles Marie-Angelie et Félicité puis il tourna mal. Jacques était d’un naturel autoritaire et malgré mon jeune âge, je ne m’en laissais pas compter. D’après ma grand-mère Catherine, j’avais de qui tenir, je pouvais paraître effrontée tant j’avais d’assurance, disons le: j’avais du caractère. Le tournant inattendu vint de mon mari lui-même. Il m’emmena un dimanche sur la place Congo où la ville de La Nouvelle-Orléans venait d’autoriser la pratique du culte Vaudou, pour être exact les autorités avaient autorisé les nègres, les esclaves donc, à se rassembler pour danser et chanter, sans vraiment savoir ce qu’ils faisaient réellement. La place était un vaste pré entouré de piquets et de palissades, au nord du quartier français, au centre du nouveau faubourg Tremé, celui de ma mère. Si les créoles blancs n’y rentraient pas, ce contentant de reluquer de loin ce qu’il prenait pour un spectacle primitif et pour certain érotique, les créoles de couleurs, eux, bien que se sentant nettement supérieurs aux nègres, pénétraient à l’intérieur conscient de ce qui s’y passait. J’avoue ne pas avoir été à l’aise sur l’instant, tant j’avais été élevée dans le but de m’éloigner de la condition de la plupart des nègres qui déambulaient dans l’espace et qui amenaient une promiscuité non désirée. J’avançais ramenant ma jupe vers moi pour qu’elle ne touchât point les êtres que je croisai, je me détendis lorsque je reconnus quelques indigents que je soignai avec ma grand-mère. Dès ma première visite, le destin s’annonça. La vieille prêtresse du culte, Sanité Dédé, officiait au son des tambours et des danseuses, elle en appelait aux Loas. Quand le sacrifice du coq fut fini, ses yeux se révulsèrent, elle se tourna vers moi, et d’une voix rauque, elle prédit « — tu seras à Erzulie, et tu seras la plus grande. » Je sursautai à l’annonce et, entraînant mon mari, je quittai les lieux, le cœur trépidant. Deux jours plus tard, la Sanité Dédé était devant ma porte et suite à cette visite, je fréquentai les premiers lieux de rassemblement vaudou au Bayou de Saint-Jean et aux abords du lac Pontchartrain. Si je fus tout d’abord réticente, je fus ensuite empli de ces connaissances, mes dons se révélèrent et s’amplifièrent. Mais ces dons me firent voir ce que mon mari n’avait pas prévu, ce furent ses multiples conquêtes qui entraînèrent de multiples disputes lors desquelles Jacques s’avéra violent ce que je ne pus tolérer.

Un matin, j’annonçai au voisin que Jacques était reparti à Saint-Domingue. Les regards suspicieux se tournèrent alors vers moi et de sordides rumeurs commencèrent à se propager. Si certains pensaient que Jacques avait, tout simplement, fui ses responsabilités et qu’il était effectivement retourné dans son pays d’origine, d’autres affirmaient que moi, loin d’être une femme soumise, je m’en étais débarrassé. Il se disait partout que mes nouveaux pouvoirs m’avaient servi dans cette étrange disparition. Ils avaient raison.

Devenue veuve, je devins pour tous la veuve Paris et je retournai avec mes filles rue Sainte-Anne chez ma grand-mère Catherine, et comme il fallait bien vivre je commençai à coiffer les riches créoles blanches. Ma première cliente, ce qui plus tard fit jaser, fut Delphine LaLaurie. Contente de mes services, elle le fit savoir.

Ma notoriété devint de plus en plus grande et les dames créoles faisaient de plus en plus appel à moi autant pour mes mains expertes pour les coiffer que pour pouvoir me confier leurs secrets et leurs peines de cœur. Je savais écouter et entendre leur désir. Elles espéraient, bien évidemment, qu’étant devenue une prêtresse de mon culte, j’userais de mes pouvoirs occultes pour les aider à résoudre leurs problèmes personnels. Je ne les contrariai pas, voire je les satisfaisais.

QUARTERONNE

QUARTERONNE

Ce fut à cette période, je n’avais pas vingt ans, que je gagnai sans le vouloir ma renommée en utilisant mes dons pour faire acquitter un jeune homme accusé de meurtre. Un riche créole, en plein désarroi, était venu me voir afin de me demander de l’aide pour son fils. Le jeune homme avait été arrêté pour un meurtre qu’il n’avait pas commis, du moins ce qui me fut certifié, et étant sur le point d’être jugé, aucun doute n’était permis quant au sort qui l’attendait.Le père me promit de m’offrir une maison si je réussissais à sauver son fils. Certains affirmèrent que, la nuit qui précéda le procès, je me rendis à la cathédrale Saint-Louis pour prier, avec trois piments de Guinée dans la bouche que je déposai, le lendemain matin, sous la chaise du juge qui, à la stupeur générale, disculpa l’accusé. D’autres que j’aurai, en réalité, menacé un témoin qui craignait particulièrement la magie noire, influençant ainsi le verdict, bien évidemment, c’était un peu des deux, ou peut être autre chose, quant à la maison que j’avais soi-disant reçue en gage, elle appartenait déjà à ma grand-mère Catherine qui l’avait achetée bien avant ma naissance.

À partir de cette histoire, beaucoup prétendirent que je pouvais transformer leurs désirs en réalité, ce que je ne démentais pas, car au fil du temps les subsides que je retirai de tout ceci étaient plus importants que ceux de la coiffure. Bien sûr, j’écoutais leurs confidences et fabriquais de petits gris-gris, des talismans, des amulettes ou des philtres d’amour en fonction de leurs requêtes. Chargés de pouvoirs maléfiques ou bénéfiques, les gris-gris étaient constitués d’entrailles de poulet ébouillanté, d’excréments canins, de sel, de poudre noire, de safran, d’herbes aromatiques ou vénéneuses, parfois d’eau bénite et, devaient être placés dans l’oreiller de la personne à influencer. Comme il arrivait, bien évidemment, qu’un souhait se réalise de temps à autre, et plus souvent que ne le pense les septiques, ma réputation de sorcière Vaudou s’étaya au fil des années et avec elle ma fortune. Évidemment, les mauvaises langues ou simplement ceux qui étaient trop cartésiens pour croire à mes dons prétendaient, que je soudoyais les domestiques des maisons afin d’obtenir divers renseignements, comme s’il fallait payer pour faire parler les domestiques, et je n’avais pas besoin d’eux pour recevoir des confidences, tout le monde parlait sur tout le monde et ceci sous le sceau du secret. Mais il est plus facile de douter et de remettre en question ce que l’on ne comprend pas. Toujours est-il qu’au fil du temps je me mis à jouir d’une certaine influence, ainsi que d’une extraordinaire réputation de voyante. C’est aussi année-là, qu’à sa demande, je remplaçai, la vieille prêtresse Sanité Dédé, je devins la plus grande Mambo de Louisiane. Évidemment, mille bruits coururent prétendant que j’avais ensorcelé les autres prétendantes au point de les anémier.

Est-ce mon nouveau pouvoir, ma beauté qui suscitait bien des jalousies, mes dons dont certains doutaient, toujours est-il que plus d’un ragot circulait à mon sujet les uns plus extravagants que les autres.

Marie Laveau et grand Zombi

Marie Laveau et grand Zombi

Les uns soutenaient que dans ma maison de la rue Sainte-Anne, un chat noir et un coq au plumage doré me tenaient compagnie et que j’hébergeais aussi un serpent de trois mètres, nommé Grand Zombi, ce n’était pas faux. Ce dernier n’était toutefois pas aussi grand, il m’avait sauvé la vie alors que je cueillais des herbes aux alentours de la ville, il foudroya un de ses congénères deux fois plus grand. Pour le remercier, je l’adoptai, il reposait habituellement dans un vase d’albâtre qui trônait dans ma maison. À l’une de mes clientes qui s’extasiait au sujet du vase, après avoir sursauté devant le grand Zombi, qui de nature curieuse en était sorti, je prétendis qu’il m’était un jour tombé du ciel. Évidemment, ce qui m’amusa ce fut les ouï-dire qui enflèrent, au point qu’un jour j’en rajoutai. Après avoir prétendu que mon vase était tombé du ciel, je soutins qu’il m’avait été offert par le duc d’Orléans, qui devint le roi Louis-Philippe de France. Mais comme les gens croient le plus invraisemblable, personne ne réalisa que j’avais à peu près quatre ans quand le futur souverain avait visité notre ville, cela ne les empêcha pas de répéter cette ineptie. J’assurais aussi que le marquis de La Fayette avait voulu faire ma connaissance lors de son séjour à La Nouvelle-Orléans, et qu’il m’avait affectueusement embrassée. En fait, il n’a jamais voulu m’embrasser et ne fut guère content de ce que je lui prédis, malheureusement pour lui je ne me suis pas trompé.

Enfin, une chose était sûre, je n’utilisai pas mes dons que pour satisfaire les riches Créoles. Je continuai à porter fréquemment secours aux indigents et proposai régulièrement mes services pour m’occuper des blessés de guerre et des malades lors des épidémies de fièvre jaune et de choléra fort courant dans notre ville. Issue d’une longue lignée de guérisseuses, je tenais de ma grand-mère Catherine le secret des herbes curatives et je travaillais sans relâche, soignant les corps autant que les esprits. J’en apprenais encore plus par les Indiennes que je recueillais dans la cour de ma maison et qui en échange de cet hébergement m’expliquaient leurs recettes. Mes remèdes étaient bien plus efficaces que ceux de la médecine traditionnelle, j’étais réputée pour sauver beaucoup de vie, aussi faisait-on souvent appel à moi. Mais tout ceci ne fait pas rêver, alors comme si ma magie ne suffisait pas, les on-dit en rajoutaient.

LE SQUARE CONGO

LE SQUARE CONGO

Lors des nuits de pleine lune, en un lieu isolé au bord du lac Pontchartrain, car la place Congo sous le regard des créoles blancs ne suffisait pas, j’officiais. Les cérémonies d’initiation se déroulaient sous ma présidence enlacée de mon bienfaiteur, mon serpent Grand-Zombi. Un peu de décorum aide à la croyance. À l’intérieur d’un cercle tracé sur le sol avec du sel se succédaient des danses frénétiques, rythmées par des tam-tams, des transes, des flagellations, des cris, etc… l’alcool, tafia et rhum amplifiait la libération des esprits. Erzulie, le Baron Samedi et ses Gédés alors me visitaient et à la stupeur de beaucoup j’annonçai bien des vérités à venir.

La rumeur affirmait qu’en plus je frayais avec les crocodiles et que je parlais à Lucifer en personne. Buvant du sang frais, préparant d’horribles breuvages écœurants, je dansais, à la lueur des flammes, au milieu de sorcières secouées par le démon et possédées par l’esprit du Grand Zombi, comme quoi l’ignorance et la peur qui en suinte sont la porte de tous les fantasmes. Il faut dire que si l’on en croyait mes adeptes d’alors, une croix tracée avec du sel sur le seuil de celui ou de celle à qui l’on veut du mal engendrait troubles et insomnies, une pièce de 10 cents portée à la cheville protégeait du mauvais sort et s’enduire les seins d’une certaine crème dont je gardais le secret paraît les plus plates des femmes d’irrésistibles attraits. Le merveilleux de tout temps aide à vivre.

Si j’étais respectée pour mes dons de guérisseuses et pour mon fabuleux sens des affaires, j’étais également crainte. Outre les soupçons d’empoisonneuse qui pesaient sur moi, mes pratiques Vaudous me valaient une sulfureuse réputation.

voodoo-dance-1885-granger

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Avec tout ça, cinq années s’étaient passées depuis la mort de Jacques Paris quand je croisais la route de Christophe Duminy de Glapion qui faisait parti des Dragons, un régiment de cavalerie de Louisiane. Il était blanc, originaire de Louisiane, et issu d’une famille de la noblesse française. J’étais si amoureuse que j’acceptais d’être sa placée, ce qui me restait de sang noir ne nous laissait guère de choix. Cela ne nous satisfit pas, alors pour pouvoir nous marier, mon cher et tendre utilisa un audacieux stratagème, il se fit passer pour un homme de couleur. Un mensonge de plus ou de moins dans ma vie ne changeait pas grand-chose, si ce n’est que personne ne si retrouvait, aussi on nous laissa faire. Les plus pragmatiques jurèrent que ce n’était que faribole, et alors ?

De plus, on ne refusait rien à Marie Laveau et que personne ne sut jamais ce qu’il était advenu de mon précédent mari ne m’empêcha pas d’obtenir enfin , sans acte d’inhumation, un certificat de décès au nom de Jacques Paris. Suite à cela, j’épousai Christophe Duminy de Glapion. Je fus heureuse comme nulle femme n’a pu l’être. Le bonheur et la prospérité s’installèrent dans ma vie , j’acquis deux esclaves et Marie-Héloïse Euchariste, Marie-Louise, Marie-Philomene et Archange vinrent agrandir ma famille. Mais, notoriété oblige, comme si cela ne suffisait pas, la rumeur prétendit que j’avais eu 15 enfants dont certains furent dénommés Paris du nom de mon défunt mari et d’autres qui reçurent le nom de Glapion. Lorsque l’on demanda à l’une de mes filles combien j’avais eu d’enfants, elle répondit en français quinze enfants et petits enfants, mais l’anglo-saxon qui l‘avait questionné ne comprit pas la subtilité et comme il était journaliste cela entra dans ma postérité.

Marie Laveau

Marie Laveau

Mais tout ceci ne fut pas le plus absurde, de nombreuses rumeurs rapportèrent que j’avais eu un enfant diabolique et que j’avais aidé Delphine LaLaurie à en concevoir un. En fait, j’avais donné naissance à six filles, ce qui ne convenait guère à mon mari qui souhaitait désespérément un fils, aussi lorsque je suis tombée enceinte pour la septième fois, j’ai demandé l’intervention de l’une de mes amies, adepte du Vaudou tout comme moi. On prétendit qu’elle ne n’aimait guère et qu’elle aurait lancé une terrible malédiction sur l’enfant à naître : « si c’était un garçon il serait le fils du Diable ». Apparemment, d’après la légende, elle aurait obtenu satisfaction. À sa naissance, le pauvre enfant aurait présenté des cornes, des yeux rouges, des sabots, des griffes et une queue. Diabolique, il aurait fréquemment tenté de me mordre ainsi que ses sœurs, et l’on disait même qu’il dévorait les nourrissons du voisinage. Pour interrompre tout cela, il semblerait que j’ai fini par l’étrangler de mes propres mains une nuit où il faisait ses dents. Une autre version de cette même histoire affirmait que je l’avais enfermé au grenier et qu’il aurait été retrouvé mort et momifié lorsque ma maison s’était effondrée, je vous rappelle que ma maison est encore debout. Enfin depuis, l’enfant maléfique errerait dans les rues. Une dernière racontait que j’avais décidé de castrer mon diabolique bébé, car je ne voulais pas permettre à quelque chose d’aussi mauvais de se reproduire, cette assertion était crédible. Mais comme rien n’est simple, alors que je lui jetais un très puissant sortilège vaudou, ses deux testicules ensanglantés seraient tombés sur le sol et se seraient transformés immédiatement en deux entités démoniaques qui m’auraient aussitôt attaqué me tuant presque. Terrifiée, je me serai alors débattue, mais aurai fini par m’évanouir de douleur et quand je repris mes esprits, l’enfant du Diable aurait disparu. Pour finir, l’on disait également que je fréquentai Delphine LaLaurie, que je l’avais initiée aux secrets de la sorcellerie et du Vaudou, et que nous étions très liées, c’était mal me connaître. J’aurai aidé Delphine et son mari à concevoir un enfant diabolique dont je serai devenue la nourrice par la suite, le nourrissant d’absinthe et de sang de chèvres. Au moment de sa fuite, Delphine aurait abandonné l’enfant qui depuis hanterait La Nouvelle-Orléans.

La vérité fut simple, je fis une fausse couche et lorsque sur ma route se présenta un petit orphelin de sept ans, sans hésitation je l’adoptai et le ramenai dans ma maison, mais c’était moins en accord avec ma réputation.

Malheureusement, mon bonheur fut de courte durée, le temps du bonheur est toujours trop court, vingt ans plus tard, Christophe mourut brutalement, dans de soi-disant circonstances obscures.

Marie Laveau

Marie Laveau

Mais la vie continue, j’étais rapidement devenue une femme influente. Des gens venaient de toute la Louisiane pour me consulter et l’on m’attribuait tous les pouvoirs. Les notables et les diverses personnalités politiques de La Nouvelle-Orléans firent partie de ma clientèle. Je fus aussi une redoutable femme d’affaires, je n’avais guère le choix, 6 filles et leur famille en plus de grand-mère Catherine à nourrir. Parmi mes relations d’affaires, je fréquentai des personnalités louisianaises telles que Rosette Rochon, fille d’un riche planteur et armateur de Mobile et d’une esclave, une créole de couleur tout comme moi qui avais fort bien réussie après avoir hérité de son père, l’ancien pirate contrebandier Jean Lafitte, le spéculateur immobilier Laurent Ursain Guesnon et le chef de la communauté noire Jean-Louis Dolliole.

Ce fut à cette période que, ma fille, Marie-Philomène et moi-même avons fait construire sur les bords du lac Pontchartrain « La Maison-Blanche » et que sans le vouloir, enfin pas vraiment, nous avons créé mon éternelle jeunesse, mon éternité. Le temps étant venu où la fatigue de l’âge me prenait de tant à autres, bien qu’il ne semblait pas avoir de prise sur moi, je déléguai à ma fille Marie Philomène les cérémonies dans les bayous par trop éprouvante pour moi, désormais. Elle me ressemblait tellement que certain croyaient que j’avais le don d’ubiquité, on nous prenait pour des jumelles, cela explique peut-être pourquoi une fois morte, certains crurent me croiser, à moins qu’ils m’aient vraiment vu, qui peut savoir? Enfin c’est cette caractéristique qui nous donna l’idée. Ma fille fut à l’origine de nombreux philtres, potions et élixirs et si elle prenait très au sérieux son rôle de prêtresse, elle vendait également des billets aux curieux  « amateurs de sensations fortes » qui demandaient à assister aux cérémonies, il n’y a pas de petits profits. Marie Philomène allait d’ailleurs acquérir une renommée presque aussi grande que la mienne dans la pratique du Vaudou, si ce n’est que l’on croyait toujours que c’était moi. Notre ressemblance était si impressionnante que cela fit croire à ma jeunesse éternelle, ce qui ma foi n’est pas désagréable.

Enfin en dehors de ce compliment, un autre ragot se propagea. On me dit propriétaire d’une maison close, dans laquelle ma fille et moi organisions des parties fines pour de riches hommes blancs de La Nouvelle-Orléans et des cérémonies secrètes. L’on y dansait avec de jeunes beautés noires, complètement nues, choisies par moi-même, l’on y buvait beaucoup aussi, la fête se terminait en orgie. Je ne participais à rien, encore heureux. Il paraîtrait que je me contentais de regarder tout en me balançant dans mon rocking-chair placé à l’angle de la pièce. Il y a du vrai, bien sûr, en fait de maison close, c’était une maison agréable avec vue sur le lac, ou j’officiais avec mes prêtresses, des femmes plus ou moins jeunes, mais toutes quarteronnes, ce qui alimentait les fantasmes et comme on prenait très au sérieux mon jugement quand il s’agissait de faire les contrats de nos futures placées, je servais d’entremetteuse entre nos filles et les riches créoles, j’étais arrivée à un âge où je servais de marraine au bal des quarteronnes.

Jean-Pierre Ulrick (Marie Laveau

Jean-Pierre Ulrick (Marie Laveau

On me prêta d’autres dons. J’avais en horreur les exécutions publiques, aussi je visitais fréquemment les condamnés à mort afin de leur apporter quelques réconforts, l’on raconte qu’un jour, émue par l’histoire de deux accusés, je leur assurai qu’ils ne seraient pas pendus. Le moment venu, lorsque le bourreau poussa la trappe, les deux cordes attachées autour du cou des condamnés cassèrent au même moment. Tout le monde supposa, bien évidemment, que les cordes s’étaient cassées sous ma volonté de grande prêtresse. En constatant cela, le bourreau, craignant l’étendue de mes pouvoirs, décida d’exécuter les criminels suivants en huit clos. Comme quoi ma réputation sulfureuse avait quelques avantages.

une autre anecdote raconte que visitant Antoine Cambre, condamné à la peine capitale, un homme qui se montrait terrifié à l’idée du gibet, je lui apportai un filé gombo de ma confection afin de le consoler. Le lendemain, le malheureux était retrouvé mort dans sa cellule, mais il avait au moins réussi à échapper au supplice tant redouté. Ainsi grandit encore ma légende.
À cette même période, soit vingt ans après la mort de mon époux, je perdis pour ainsi dire tous mes biens, la maison blanche au bord du lac fut emportée lors d’une terrible tempête, ma maison de la rue Sainte-Anne fut saisie pour dette, je fus toutefois autorisée à y rester grâce à la générosité d’un ami qui la racheta. Moi, mes filles et mes petits enfants y séjournèrent jusqu’à la fin de ma vie qui fut encore longue et encore pleine d’étrangeté.

Ceux qui passaient devant ma maison entourée d’une frêle et haute clôture au-dessus de laquelle un arbre ou deux était visible, ne remarquaient pas, par la porte ouverte, la vieille dame décrépite aux cheveux neigeux, au sourire paisible et dont les traits étaient éclairés de contentement. Ils n’auraient pu croire que c’était la terrible Marie Laveau, d’autant que c’était une de mes petites-filles qui avait repris la place de reine du vaudou.

Un mercredi, je sombrais dans le sommeil, qui ne connaît pas de réveil. Ceux avec qui j’étais lié d’amitié s’entassèrent dans la petite chambre où j’étais exposée, à leur surprise celle qui avait été si bonne avec eux souriait même dans la mort.

Je mourus donc le 16 juin 1881, le lendemain, les journaux de La Nouvelle-Orléans annoncèrent que le corps décapité de Marie Laveau avait été découvert au sommet de la tour de sa propre maison. Comme quoi rien n’empêche les gens de rêver aux mystères de la vie.

Je fus enterrée avec ma tête au cimetière de Saint-Louis de La Nouvelle-Orléans.

Ne cherchez pas ce qui est vrai ou faux, prenez ce qui vous amuse, moi j’ai vécu plus de 80 ans, croyez-moi, c’était bien suffisant. AH… AH… AH…

 

Marie Laveau, fille de Marguerite Darcantel, petite-fille de Catherine Henri, arrière-petite-fille de Marguerite…

Notes de l’auteur : j’ai brodé en utilisant plusieurs sources dont la fiabilité n’est pas toujours acquise et selon un parti pris tout en m’appuyant sur l’histoire.

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